vendredi 10 avril 2020

la nature de l'homme

Semis de confinement, jour 1.

En fait, non : ce n'est pas réellement l'érémitisme le fil rouge du bouquin que j'évoquais hier.
L'ouvrage étant placé sous l'ombre réelle ou supposée de Michel Foucault, j'aurais dû m'y attendre. Il faut dire qu'il met un temps à s'infléchir, l'air de rien, comme pour transporter le lecteur ailleurs sans qu'il s'en aperçoive...

Finalement à travers ces portraits de "sauvages", et notamment la figure de Theodore Kaczynski, militant anti-technologique plus connu du grand public sous le nom d'Unabomber, se dessine la grande question de "conduire sa vie".
Un commentaire de l'œuvre de Foucault, cité dans le livre : " La question de la tekhnê, pour Foucault, se situe donc non seulement au croisement du rapport à soi et du rapport aux autres, mais n'est pas dissociable d'une expérience (c'est en ce sens qu'on peut parler de matérialité, y compris quand l'expérience en question est spirituelle : elle engage des manières de conduire sa propre existence, d'en problématiser les modes). Et cette expérience, en ce qu'elle travaille le rapport à soi, produit - invente, modifie, expérimente de manière inédite - précisément ce soi dont elle a fait sa matière. Soi n'est bien entendu pas, dans ce contexte, le nom d'une identité ou d'une position, c'est la matière même de l'expérimentation de la tekhnê - et c'en est également le résultat, le produit sans cesse remis à l'ouvrage, modifié, plié à la logique créative d'un devenir sans terme." (Judith Revel dans la revue Tracé, 2009)

Philippe Artières nous mène aux militances d'aujourd'hui et aux Zones À Défendre, puis quelques pages avant la fin à l'évocation d'Ivan Illich et de son livre, Société sans école. Du coup, j'ai vraiment du mal rétrospectivement à croire à cette fausse ingénuité, en ouverture, concernant Paul Goodman et son bouquin non moins célèbre, Growing up Absurd.

Encore un extrait, sous la plume de Theodore Kaczynski, qui vit reclus dans la nature : "Ce qui est important, c'est que lorsque vous vivez dans les bois plutôt que de leur rendre visite, la beauté fait partie de votre vie plutôt que de la regarder de l'extérieur.
[...] En rapport avec cela, une partie de l'intimité avec la nature que vous acquérez est l'affûtage de vos sens. Non pas que votre audition ou votre vue deviennent plus aiguës, mais vous remarquez davantage les choses. En ville, on a tendance à être tourné vers l'intérieur, d'une certaine manière. Votre environnement est rempli d'images et de sons non pertinents, et vous êtes conditionnés à en bloquer la plupart hors de votre conscience. Dans les bois, vous prenez conscience que votre conscience est tournée vers l'extérieur, vers votre environnement, vous êtes donc beaucoup plus conscient de ce qui se passe autour de vous." 

Une image, pour finir, qui associe l'enfermement et la nature, et qui est citée quelques lignes avant le point final du livre. C'est une image d'Eugene Richards, prise dans un hôpital psychiatrique pénitentiaire. Le chevreuil fait partie d'un programme de zoothérapie.

Le Dossier sauvage, de Philippe Artières, est publié aux éditions verticales.

Lima, Ohio, Hospital for the criminally insane, 1981.
Prise sur le blog journaleuse.com

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