Remettre à demain jusqu'au jour où il n'y a plus de demain et que c'est l'heure de prendre l'avion (les amateurs de métaphore apprécieront).
Aujourd'hui j'avais rendez-vous à 15 heures avec le chirurgien pulmonaire et ma convocation demandait d'être là 20 minutes avant l'heure de la consultation afin de pouvoir passer au secrétariat. J'ai pas mal bossé les jours précédents pour pouvoir terminer plus ou moins mon boulot à 13 heures et avoir le temps d'atteindre cet endroit du bout du monde, heureusement desservi par le RER (Cité Universitaire).
Ce que je n'avais pas anticipé et dont j'ai pris la mesure petit à petit, c'est que cet Institut mutualiste où je devais me rendre fonctionne exactement comme un hôpital. C'est-à-dire qu'une fois que vous avez mis le pied dans ce lieu, vous devenez une sorte de chose, capable de mouvements, susceptible de répondre par la parole, mais parfaitement déshumanisée. Vous êtes, devant chaque interlocuteur, quelqu'un qui n'existe que pour ce dont cet interlocuteur à besoin à ce moment précis. Et c'est tout. Toute tentative d'exister en dehors de ce code-là est perçue comme déplacée, absurde ou vaguement abusive.
Dans la salle d'accueil A, je vois la lumière décroître lentement par la fenêtre. Ça fait déjà un moment que j'ai questionné la secrétaire du docteur Gé qui m'a annoncé un retard
de 20 minutes.
Autour de moi les gens qui attendent sont la plupart en duo : en couple, ou des femmes d'un certain âge avec leur mère, la fille est l'accompagnante ou l'accompagnée, c'est selon. Une de ces femmes se met à pleurer.
C'est bien de venir à deux car ça oblige le personnel à considérer que vous êtes une chose capable de mouvements, susceptible de répondre par la parole... mais aussi parfois en rapport avec d'autres choses capables de mouvements etc.
Mais comme il est impensable de vouloir être considéré autrement, voilà pourquoi il est normal d'être reçu par le docteur Gé à 16 h 20 alors que vous êtes sur place depuis 14 h 45, et que celui-ci n'ait pas un mot d'excuse. (Le "lapsus" est vivifiant, j'avais tapé un "mort d'excuse".)
De celui-ci je n'apprends pas grand chose de neuf puisque le pneumologue, le docteur Té, m'avait déjà bien détaillé mon cas et l'opération à réaliser. Le docteur Gé se veut calme, précis, rassurant, il réexplique quant il en a l'occasion que la tumeur n'est pas maligne.
À un moment de la conversation, voulant préciser que la période post opératoire va dépendre aussi de l'état général de mes poumons il dit "puisque vous avez été fumeur vos poumons sont malades". Qu'il utilise le terme de malade, ça fait un petit déclic dans ma tête que je ne sais pas trop comment interpréter. Pourquoi n'a-t-il pas dit "vos poumons risquent de cicatriser moins bien que ceux d'un non fumeur", ou bien "les tissus risquent de répondre moins bien" ?...
En fait je crois comprendre un peu plus tard quand, alors même qu'il avait répondu à ma question "non il n'y aura pas d'examens complémentaires à faire", il annonce que je vais être convoqué pour un petscan, puis un scan ordinaire, puis...
Pour lui une frontière nous sépare. Moi je suis le malade, lui il est le chirurgien. Voilà pourquoi ce n'est pas grave, et même logique, de me dire tout de go "vos poumons sont malades" plutôt que "on verra comment votre organisme réagit". De même que les examens à faire ne sont pas considérés de mes compétences, mais de ses prérogatives à lui. C'est un planning, une organisation qui lui revient à lui, moi je ne suis qu'un des éléments de cet agencement.
Tout de même, comme je suis donc un client chiant, que je m'absente deux semaines, quasi injoignable, qu'il y a aussi les fêtes de fin d'année, le planning est un peu serré à mettre au point. On décide d'une intervention pour le 20. La secrétaire, sympa et efficace par ailleurs, est très étonnée que j'ai envie prendre le temps de consulter mes proches sur les dates. Pour elle, me proposer le rendez-vous de l'anesthésiste et du scan le même jour relève presque de la faveur, ou de la mission impossible (cependant effectuée avec le sourire).
En sortant je passe au bureau d'admission pour préparer l'entrée qui se fera le 19 décembre. C'est le troisième secrétariat que je fais dans l'après-midi, pour lequel j'attends aussi un petit bout de papier numéroté dans la main : même questions, mêmes documents qu'a l'arrivée. On s'interroge : c'est une demande de la CNIL que le fichier des malades ne soit pas accessible par deux ordinateurs distants de 20 mètres, ou bien on a fait des économies de cable ici ? Mais rien de tout cela n'est grave dans ce monde où le temps ne compte pas, pour vous, les choses capables de mouvements et susceptible de répondre par la parole. Malades de surcroît.
Ce parcours du combattant, je l'ai bien connu... et j'aime beaucoup comment tu le mets en lumière ici..
RépondreSupprimerComme si le simple fait d'être malade faisait que l'on perde toute dignité,...humanité. C'est un peu la même chose dans certains service sociaux ou d'aide aux "victimes"...
Je t'embrasse,
Flore-Emma
Je me disais ces derniers temps que j'allais changer d'hôpital pour aller me faire examiner , histoire de montrer que j'étais libre de ne pas accepter d'être considérée comme un robot qui a besoin de pièces détachées.
RépondreSupprimerFinalement, changer de lieu ne changera rien, me dis-je à la lecture de ton billet. Face à nous: des "presque" morts vivants! Chouette, tout à coup je nous sens encore plus vivants....Bonnes vacances au pays du sourire. Take care
Ta souris