Cette nuit, j'ai rêvé de Nadine.
Immensité : voilà ce que je ressens lorsque je rêve d'une personne disparue. Comme si mon corps était l'espace d'une narration affective d'où jamais ne s'absenteront les êtres aimés, une sorte de hall de gare, de salle des pas retrouvés. Le songe en lui-même n'était pas très joyeux, il se déroulait dans un cadre professionnel. De fait c'était le décor de mes relations avec Nadine, avec qui je n'étais pas assez proche pour me dire son ami. Je la considérais comme une copine, mais l'annonce de sa maladie nous a rapprochés d'une façon singulière. Une vilaine maladie, la sclérose latérale amyotrophique, qui l'a emportée bien vite.
Je pense très souvent à Nadine et c'était heureux, ce matin, de se réveiller pour la nouvelle année avec sa silhouette en tête, de goûter cette impression étrange de se sentir hanté par elle.
En réalité je m'étais plus ou moins décidé à écrire un billet sur la relaxation psychanalytique, et l'écriture me fait dévier. Pas seulement l'écriture, aussi la couverture d'un livre de la mère de Nadine, Ruth, consacré à Joyce McDougall, que j'ai déjà cité et dont la présence dans mon champ de vision a sans doute conditionné cet écrit.
Donc le 23 décembre un lecteur anonyme mais avisé réclamait un "post" sur la relaxation psychanalytique selon Sapir.
Puisque je ne la pratique ni en tant que psy, ni en tant que patient, je n'ai d'autre légitimité que celle d'un observateur curieux pour en parler. D'autre part ma lecture, voire ma compréhension de cette relaxation sont teintées d'un certain regard sur la psychanalyse (qui pourra paraître réducteur) ainsi que de mes exigences en matière de thérapie qui prennent en compte, pour faire large et le dire vite, la psychothérapie dite humaniste.
Tout cela pour affirmer que je ne suis pas la bonne personne pour présenter cette relaxation psychanalytique et que je vais tout de même le faire, m'appuyant sur Traverse, cet ouvrage que je détiens et qui est une publication de l'Areps (association de relaxation psychanalytique Sapir).
Mes propos seront sûrement caricaturaux mais cet espace public du Web permettra que les commentateurs avisés commentent et avisent.
Il y a un double mouvement. D'un côté une histoire de la relaxation qui, instaurée en milieu médical dans les années 50 et 60, se teinte de psychanalyse ; de l'autre, la recherche de la part de psychanalystes contemporains d'un cadre nouveau, qui prendrait en compte le corps et le ressenti, pour sortir d'une psychanalyse uniquement langagière.
De l'aspect historique je connais peu de choses, hormis de ce j'ai lu dans l'ouvrage cité ci-dessus et glané sur le Net. Dans les années cinquante arrive en France le training autogène de Schultz, une méthode de relaxation très formatée : les choses à dire (ex : "je suis calme" "mon bras est lourd" etc) , la durée progressives des séances, etc. À noter, le "relaxateur" peut toucher le patient.
Michel Sapir à cette époque pratique des cures de sommeil pour les malades hyper tendus à l'hôpital Rotschild. Il y a dans le milieu médical, une forme d'engouement pour les techniques de relaxation, qui tend à multiplier les expériences. À tel point qu'en 1960, Sapir crée un enseignement de la relaxation (différentes méthodes) en hôpital. Bien vite la relaxation ouvre, dans un contexte médicalisé, une brèche qui laisse place à autre chose que le malade réduit à un organe malade face à un médecin : il est question du corps, de comment il s'exprime, de la psyché.
Et bien vite aussi, Sapir s'aperçoit que faire des séances de relaxation régulièrement avec des patients qui parlent d'eux... ça louche sacrément du côté de la psychanalyse (lui même à fait une analyse dans les années 50). Il s'écarte de plus en plus de la méthode Schultz et officialise le fait que la relaxation soit "psychologisée". Les inductions que donnent le "relaxateur" – c'est-à-dire les instructions verbales ou les moments de toucher – deviennent plus libres, moins codifiées, finalement adaptées à une relation transférentielle. Les années soixante sont aussi celles qui voient la traduction française du livre de Balint, "Le médecin, son malade et la maladie". Petit à petit, on passe d'une relaxation psychologisée à une psychanalyse à médiation corporelle.
À côté de cet historique présenté à la serpe, il y a donc l'interrogation de psychanalystes sur leur pratique. N'est-on pas forcément en relation quand on est "pris" dans le jeu du transfert ? Et de quelle façon ? Comment aider à se connaître soi-même si on ne questionne pas le ressenti corporel ? Comment vivre avec le corps si celui-ci n'est observé que lorsqu'il est malade ? Que fait-on des imprégnations vécues par l'individu avant l'accès au langage et donc avant la verbalisation ? ...
À l'évidence la liste des questions serait longue, qui justifie que l'on donne au corps, aux ressentis corporel et émotionnel, et à la relation psy patient un autre cadre d'expression que celui de la cure traditionnelle "freudo-freudienne", où souvent, entre le fauteuil de l'un et le divan de l'autre, même le simple regard manque. C'est l'objet des réflexions engagées par ces "psychanalystes relaxateurs"
Extrait : " La suggestion est abandonnée, ainsi que les consignes mais les inductions demeurent, l'induction verbale et le toucher, car ce sont bien elles qui produisent ces effets si féconds dans une relation assumée comme transférentielle par les thérapeutes à l'écoute du sujet.
Dans son ouvrage La relaxation à inductions variables, M. Sapir [...] précise les deux principes fondamentaux qui guident cette induction : "Le premier est simple, le discours de l'induction doit se rapporter toujours au corps, qu'il s'agisse du corps entier ou partiel, de sa surface ou de son dedans, d'un corps immobile ou en mouvement, en situation, à condition de ne jamais déformer la vérité anatamo-physiologique. Ce qui ne veut pas dire que ce disours n'ait pas un sens symbolique ou qu'il évite de fantasmer sur le corps [...] La deuxième est plus complexe : l'induction est faite avons-nous dit à partir de ce que le relaxateur perçoit, sent et sait du relaxant. Rien n'est préparé à l'avance, toute stéréotypie est évitée".
On lit, dans cette dernière phrase, une volonté toute phénoménologique.
Traverse, relaxation psychanalytique, coll. Champs du corps, Areps, éd. L'Harmattan.
La relaxation à inductions variables, Michel Sapir, éd. La pensée sauvage.
Immensité : voilà ce que je ressens lorsque je rêve d'une personne disparue. Comme si mon corps était l'espace d'une narration affective d'où jamais ne s'absenteront les êtres aimés, une sorte de hall de gare, de salle des pas retrouvés. Le songe en lui-même n'était pas très joyeux, il se déroulait dans un cadre professionnel. De fait c'était le décor de mes relations avec Nadine, avec qui je n'étais pas assez proche pour me dire son ami. Je la considérais comme une copine, mais l'annonce de sa maladie nous a rapprochés d'une façon singulière. Une vilaine maladie, la sclérose latérale amyotrophique, qui l'a emportée bien vite.
Je pense très souvent à Nadine et c'était heureux, ce matin, de se réveiller pour la nouvelle année avec sa silhouette en tête, de goûter cette impression étrange de se sentir hanté par elle.
En réalité je m'étais plus ou moins décidé à écrire un billet sur la relaxation psychanalytique, et l'écriture me fait dévier. Pas seulement l'écriture, aussi la couverture d'un livre de la mère de Nadine, Ruth, consacré à Joyce McDougall, que j'ai déjà cité et dont la présence dans mon champ de vision a sans doute conditionné cet écrit.
Donc le 23 décembre un lecteur anonyme mais avisé réclamait un "post" sur la relaxation psychanalytique selon Sapir.
Puisque je ne la pratique ni en tant que psy, ni en tant que patient, je n'ai d'autre légitimité que celle d'un observateur curieux pour en parler. D'autre part ma lecture, voire ma compréhension de cette relaxation sont teintées d'un certain regard sur la psychanalyse (qui pourra paraître réducteur) ainsi que de mes exigences en matière de thérapie qui prennent en compte, pour faire large et le dire vite, la psychothérapie dite humaniste.
Tout cela pour affirmer que je ne suis pas la bonne personne pour présenter cette relaxation psychanalytique et que je vais tout de même le faire, m'appuyant sur Traverse, cet ouvrage que je détiens et qui est une publication de l'Areps (association de relaxation psychanalytique Sapir).
Mes propos seront sûrement caricaturaux mais cet espace public du Web permettra que les commentateurs avisés commentent et avisent.
Michel Sapir |
De l'aspect historique je connais peu de choses, hormis de ce j'ai lu dans l'ouvrage cité ci-dessus et glané sur le Net. Dans les années cinquante arrive en France le training autogène de Schultz, une méthode de relaxation très formatée : les choses à dire (ex : "je suis calme" "mon bras est lourd" etc) , la durée progressives des séances, etc. À noter, le "relaxateur" peut toucher le patient.
Michel Sapir à cette époque pratique des cures de sommeil pour les malades hyper tendus à l'hôpital Rotschild. Il y a dans le milieu médical, une forme d'engouement pour les techniques de relaxation, qui tend à multiplier les expériences. À tel point qu'en 1960, Sapir crée un enseignement de la relaxation (différentes méthodes) en hôpital. Bien vite la relaxation ouvre, dans un contexte médicalisé, une brèche qui laisse place à autre chose que le malade réduit à un organe malade face à un médecin : il est question du corps, de comment il s'exprime, de la psyché.
Et bien vite aussi, Sapir s'aperçoit que faire des séances de relaxation régulièrement avec des patients qui parlent d'eux... ça louche sacrément du côté de la psychanalyse (lui même à fait une analyse dans les années 50). Il s'écarte de plus en plus de la méthode Schultz et officialise le fait que la relaxation soit "psychologisée". Les inductions que donnent le "relaxateur" – c'est-à-dire les instructions verbales ou les moments de toucher – deviennent plus libres, moins codifiées, finalement adaptées à une relation transférentielle. Les années soixante sont aussi celles qui voient la traduction française du livre de Balint, "Le médecin, son malade et la maladie". Petit à petit, on passe d'une relaxation psychologisée à une psychanalyse à médiation corporelle.
Michael Balint |
À l'évidence la liste des questions serait longue, qui justifie que l'on donne au corps, aux ressentis corporel et émotionnel, et à la relation psy patient un autre cadre d'expression que celui de la cure traditionnelle "freudo-freudienne", où souvent, entre le fauteuil de l'un et le divan de l'autre, même le simple regard manque. C'est l'objet des réflexions engagées par ces "psychanalystes relaxateurs"
Extrait : " La suggestion est abandonnée, ainsi que les consignes mais les inductions demeurent, l'induction verbale et le toucher, car ce sont bien elles qui produisent ces effets si féconds dans une relation assumée comme transférentielle par les thérapeutes à l'écoute du sujet.
Dans son ouvrage La relaxation à inductions variables, M. Sapir [...] précise les deux principes fondamentaux qui guident cette induction : "Le premier est simple, le discours de l'induction doit se rapporter toujours au corps, qu'il s'agisse du corps entier ou partiel, de sa surface ou de son dedans, d'un corps immobile ou en mouvement, en situation, à condition de ne jamais déformer la vérité anatamo-physiologique. Ce qui ne veut pas dire que ce disours n'ait pas un sens symbolique ou qu'il évite de fantasmer sur le corps [...] La deuxième est plus complexe : l'induction est faite avons-nous dit à partir de ce que le relaxateur perçoit, sent et sait du relaxant. Rien n'est préparé à l'avance, toute stéréotypie est évitée".
On lit, dans cette dernière phrase, une volonté toute phénoménologique.
Traverse, relaxation psychanalytique, coll. Champs du corps, Areps, éd. L'Harmattan.
La relaxation à inductions variables, Michel Sapir, éd. La pensée sauvage.
merci de cette ouverture...
RépondreSupprimerJe m'interroge alors sur le comment se vit le contre-transfert dans cette nouvelle expérimentation? Et notamment sur le plan corporel côté thérapeute.
L'auteur aborde-t-il ce que cela ouvre de nouveau et de différent de la cure psychanalytique orthodoxe?
Il me semble que questionner le contre transfert est aussi une des interrogations et piste de recherche dans laquelle s'aventurent les psychanalystes de la nouvelle génération.
Yolande
On reconnaît-là une question de professionnel : évidemment la question du contre-transfert est primordiale. Ce que je n'ai pas précisé, c'est que l'ouvrage de l'Areps est un livre collectif, où se mêlent réflexions théoriques, vignettes cliniques, contrepoints ou textes "de traverse". L'extrait que j'en ai donné vient d'un écrit signé Marie-France Biard.
RépondreSupprimerDans un paragraphe intitulé Transfert, contre-transfert, elle évoque Freud ("Donner trop peu à quelqu'un parce qu'on l'aime trop, c'est faire du tord au malade et c'est une faute technique")et Winnicott (article "la haine dans le contre transfert") pour signaler que "jusqu'alors le contre-transfert constituait un problème résiduel pour l'analyste, il devient progressivement un outil permettant un autre accès à l'inconscient du patient [...]. Ce que ressent l'analyste [...] ce qu'il éprouve [...] sont autant d'indicateurs de ce qui se passe dans la cure qui ne se résume plus au décodage des mécanismes inconscients, dans la parole et par la parole."
Cette toute dernière notation intéressera tout particulièrement les gestaltistes...
Pour les réponses à tes autres questions, elles se trouvent aussi en partie dans ce livre que je te prêterai avec plaisir :)
Et une autre question (et je m'arrête là)
RépondreSupprimerpourquoi "Menahem" dans les libellés?
Yolande
Quel œil! Le volume de la collection Psychanalystes d'aujourd'hui, éditions Puf, consacré à Joyce McDougall, est signé de Ruth Menahem. Je l'avais cité dans un billet précédent, mais je n'ai créé le libellé qu'à l'occasion de ce billet-là.
RépondreSupprimerMerci pour cet essai de clarification, qui me fait penser au chemin que j'ai parcouru grâce à la sophrologie... avant la Gestalt, et qui me facilite l'accès à ce que me raconte mon corps ! Et à l'ouverture, en effet sur le transfert, la subjectivité des ressenti et l'usage que l'on peut en faire : un champ qui ne fait que s'ouvrir, encore, pour moi...
RépondreSupprimerClaude
Pour prolonger cette réflexion, Gilles Delisle dit une chose qui me parait extrêmement pertinente: (je cite de mémoire) "c'est dans le transfert que le patient reproduit et c'est dans la relarion qu'il répare".
RépondreSupprimerJe m'interroge sur le fait d'avoir une action directe sur le corps de manière suggestive voire inductive et de la pertinence ou pas d'une forme de régression (que j'imagine que cette méthode facilite??) pour accéder à la "réparation". En gestalt il n'y a à priori pas de recherche en ce sens,à contrario pour la psychanalyse. Toutes ces questions pour l'instant sans réponses claires, malgré une réflexion intense ces derniers mois à propos du toucher.
Régressif ? Neni ! Phénoménologique ! De là, le trait d'union avec la Gestalt. Et ça ne "répare pas " (même si ça fait du bien, ça donne accès à une autre conscience, et le début d'autre chose peut alors s'enclancher...
RépondreSupprimerQuoique... pour comprendre la phénoménologie, il faut aussi régresser dans ses à priori et représentations, alors, ... encore un chemin qui mène à Rome ?!
Claude