mardi 30 décembre 2014

l'hôpital qui rend fou


C'est la partie "gaie" du service,
la partie réfectoire, avec ça et là,
des décorations de Noël. 
Ce soir c'est la première fois qu'elle ne m'embrasse pas quand je la quitte. Elle garde les lèvres fermées contre la joue que j'ai avancée : en signe de protestation ou plus vraisemblablement parce que c'est plus fort qu'elle, que c'est trop dur cette douleur qui lui est infligée. Ma mère est hospitalisée ici depuis cinq jours.

Deux minutes avant elle me disait :
- Je t'aime tellement, depuis toujours, depuis la première fois que je t'ai vu, même petit. 
Pourtant ce sentiment ne l'aide pas à traverser l'épreuve du séjour hospitalier, l'amour est impuissant devant l'angoisse de dormir dans cette chambre moche, avec une autre pensionnaire à côté et dans le couloir, plus loin, "les autres cons" comme elle dit. Et tout le reste qui est incompréhensible pour elle, et cette nourriture immangeable, elle qui d'habitude goûte tout avec plaisir.

Pour moi aussi c'est dur. Ce serait sans doute plus facile si j'escomptais de cette hospitalisation le moindre bénéfice comme certains membres de ma famille plus confiants que moi dans la médecine. Du coup j'ai le sentiment d'être complice d'une maltraitance faite à ma mère pour un profit dérisoire. 
Et tous ces soirs, l'un après l'autre, où elle me demande, le visage marqué d'incomprehension :
- Mais pourquoi toi tu peux partir d'ici et pas moi?
Je comprends que certains préfèrent abandonner leurs parents à l'institution plutôt que de supporter cette mise en accusation.

La première journée, c'était Vol au dessus d'un nid de coucou. Je m'étais préparé à mettre mon esprit critique en sommeil mais sur place c'était impossible. Les locaux vétustes, le personnel médical maladroit, bruyant, indélicat. Aucune chambre individuelle. Le médecin qui prend les déments pour des idiots.
Qu'est-ce qu'on fait là?

Le troisième jour elle m'a dit posément :
- Je commence vraiment à en avoir marre, j'ai hâte de rentrer chez moi.
J'étais content qu'elle se rappelle qu'elle avait un chez elle. Elle a renchérit :
- Un moment dans la journée, je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai cru que j'habitais ici. J'ai eu peur, mais peur, c'était horrible.
Les mains sur le visage, comme Le cri, de Munch.

Maintenant, on ne peut plus vraiment avoir d'échange parce qu'elle ne pense qu'a partir. Pendant quelques instants on peut lire le journal, ou regarder une reproduction de Van Gogh, mais elle est ailleurs, elle revient à ça.
- Je crois qu'il vaudrait mieux se tirer d'ici.
- J'aimerais bien être ailleurs, dans la rue près de chez moi à faire des courses.
- Je pense que là, c'est le bon moment pour partir.
- On part ensemble?

Dans ce service de neuro gériatrie, on essaye sur elle un traitement anti épilepsie car elle fait des micro crises : son cerveau disjoncte, c'est comme si on coupait le courant, elle s'absente d'un coup, s'évanouit. En général c'est quand elle s'angoisse, ou quand sa tête a trop mouliné, si on l'a trop sollicitée.
Malheureusement ce service de neuro gériatrie l'angoisse tellement qu'elle en fait tous les soirs, maintenant, des crises. Qu'est-ce qu'on fait là ?

jeudi 25 décembre 2014

s'accrocher

Elle est contente de cet assemblage-là
aussi. "C'est très joli, cette couleur",
commente-t-elle.
J'ai plein de livres sur les mères en ce moment à la maison.
L'un, que je viens de terminer, est un roman graphique de Alison Bechdel, c'est la suite de Fun Home, grand succès international du genre autobiographie, il s'intitule : C'est toi ma maman ? Il est dense, un peu confus car subtil, entremêlant les époques, tout à fait intéressant pour qui s'interesse à la psy puisque l'auteur y relate ses séances, ses rêves, ses lectures de Winnicott, d'Alice Miller etc.


Le deuxième, que j'ai "sous le coude" depuis quelques mois et que j'arrive tout juste à feuilleter ces derniers jours, est le livre d'un infirmier, William Réjault, sur les maisons de retraite. Le titre est sinistre, comme son contenu : Maman, est-ce que ta chambre te plaît ? suivi du sous-titre Survivre en maison de retraite.
J'en lis quelques pages, j'ai la nausée, je regarde ailleurs, j'ai envie de pleurer mais je me retiens.

Le troisième enfin, que l'on m'a prêté cette semaine, c'est Une femme, signé d'Annie Ernaux. Vie, vieillesse et mort de la mère de l'auteur. Je ne l'ai pas encore ouvert, je le réserve pour un jour de tranquillité, un jour de grasse matinée.

Ma mère, avec sa maladie, a pour l'instant opéré un chemin inverse de celui que j'avais imaginé. J'ai déjà été en contact avec des proches de malades d'Alzheimer, et je me souviens de leurs difficultés devant l'oubli ("Quand elle ne va plus me reconnaître..."), l'impossibilité de communiquer.

Maman propose tout autre chose pour l'instant. Elle découvre qu'elle a besoin de l'autre avec une forme de brutalité : c'est dérangeant pour elle, elle est maladroite avec ça. 
Elle réclame de la présence, de l'échange, de la compréhension. 

Elle dit, expliquant pourquoi elle n'aime pas les réunions avec trop de monde :
-"J'aime bien être le centre de toutes les attentions."
Puis :
-"Je ne m'intéresse pas beaucoup aux autres." Sublimement ingrate.


J'ai l'impression d'avoir parlé plus avec elle depuis qu'elle est malade que pendant toute mon enfance.

jeudi 18 décembre 2014

l'ours, le mouton et le dragon


La phase de jeu avec les vernis
à ongles paraît terminée.
Ma mère est folle donc. Les médecins utilisent ce mot - la démence - qui résonne bizarrement à mes oreilles car le terme désigne une célèbre "gay party" mensuelle à Bruxelles, foule dense de barbus extasiés torse nu.

Ce n'est pas très dérangeant qu'elle soit dingue. Sauf quand elle sort le soir seule dans la rue, ou qu'elle utilise de façon périlleuse les plaques électriques, comme c'est arrivé récemment au cours d'une semaine où chaque jour elle a inauguré des comportements nouveaux.

De toute façon, c'est une rebelle, à sa manière : elle prend sur elle, énormément, et puis soudain ça pète, à partir d'un petit rien qu'elle a décrypté comme une volonté de réduire sa liberté. Un mouton-dragon. J'avoue que j'ai un profond respect pour sa capacité à cracher le feu.

Hier soir je lui apporte un ours en peluche. ça fait un moment que je voulais lui donner, je me suis décidé parce qu'il est dans l'air qu'on l'hospitalise une semaine pour tester l'effet des antidépresseurs sur son humeur. Je ne savais pas trop comment elle allait l'accueillir.
- "Tu vois, comme ça quand tu es seule tu peux le regarder et tu te souviens qu'en fait tu n'es pas seule, tu peux penser à moi."

Elle semble contente, elle pose sa tête sur ma poitrine comme elle le fait quand elle est touchée.
Pendant que je prépare le dîner, je l'entends qui parle à l'ours, mais je ne peux pas le décrypter comme un signe d'adoption car maintenant elle parle souvent aux objets.
-"Mais tu vas arrêter de lui monter sur la tête", dit-elle à un morceau d'aubergine qui chevauche un tronçon de courgette quand elle remue les légumes.
Puis, finalement, elle qualifie la peluche, elle dit : le bébé.

Le soir c'est à nouveau le rituel de l'histoire lue au lit. On a terminé le livre de Ruffin, on pourrait tout aussi bien le recommencer puisqu'elle ne se souvient de rien mais j'ai apporté une anthologie de nouvelles japonaises. Ce n'est pas un très bon choix, car ces historiettes sont souvent graves, et ce n'est pas ce qui lui convient, elle aime le joyeux.
On amène la peluche dans le lit. Elle s'endort pendant la lecture, comme chaque fois. Quand je l'embrasse avant de partir, je lui rappelle que le petit ours est à ses côtés, je vois à son regard qu'elle ne comprend pas. Elle se tourne vers lui, puis vers moi et corrige :
- "Ah, le bébé !"

vendredi 12 décembre 2014

Duchamp vs Koons : Jeff k.o.

Je suis finalement allé voir une exposition que je pensais zapper, la rétrospective Jeff Koons. Il faut dire que je n'apprécie pas beaucoup cet art contemporain de divertissement, dont Koons est le symbole, quand bien même je connais son travail depuis la série des aspirateurs (The New), moins tape à l'oeil que ses productions récentes.

Elle m'a plutôt réjoui cette présentation, tant il me semble que l'imposture y paraît éclatante. 

Malgré les cartels explicatifs tentant de justifier telles ou telles créations - les horribles grands formats multicolores censés renouer avec la tradition des ateliers (on se pince !) ou la dernière série de peintures, navrants collages -, toutes les oeuvres rivalisent de..., de rien.
Bon test : celles que je ne connaissais qu'en photo ne m'apportent rien de plus dans le face-à-face réel. A, avec lequel je visite l'expo, fait le même constat : cette sculpture qu'il croyait de taille modeste, il la découvre imposante..., mais rien ne se produit. Le kitsch ne suffit pas à faire sens même s'il fait facilement vendre.

On passe d'une pièce à l'autre traînant un ennui profond. Parfois on s'émerveille de la beauté de Paris au travers des vitres, vision dérangée par une vilaine sculpture, chaton émergeant d'une chaussette sur un fil à linge ou cœur clinquant digne d'une boîte de chocolats de supermarché.
Oui, il est clair que Koons n'est ni un peintre, ni un sculpteur, ni un photographe..., mais ça ne fait pas de lui un artiste contemporain qui transcenderait toutes ces disciplines, comme le fit Duchamp avec esprit, exposé quelques mètres plus loin.
Dans l'espace muséal, la juxtaposition de ces kooneries fait penser à des rebuts de parc d'attraction relégués dans un entrepôt, une vilaine brocante triste et morne de choses qu'on n'ose pas jeter car on les a achetées trop cher et qui bientôt seront mises à la benne par nos héritiers.
Jeff Koons : Caniche, 1991.
Marcel Duchamp : Nu descendant un escalier, n°1, 1911.

Au même étage heureusement se trouve l'exposition "Marcel Duchamp, la peinture, même," qui, si elle doit nous emmener dans le sillage de Duchamp peintre, débute de façon significative par une photo. Car dans les premières décennies du siècle dernier, l'artiste Marcel est en mouvement(s), jamais exactement là où il pourrait être. Toujours cherchant, parfois trouvant, joueur de mots et d'échecs, marieur ésotérique, vitrier chirurgien..., la liste serait longue des signifiants pour essayer de le cerner. Lui pourrait nous faire descendre tous les escaliers du monde, à poil, on serait partant.

Centre Pompidou : Duchamp, jusqu'au 5 janvier. Koons, jusqu'au 27 avril.

mercredi 3 décembre 2014

hot god


Plus christique que jamais (Christine Boutin doit être aux anges), Conchita Wurst (petite moule saucisse) est l'égérie du casque sans fil Parrot.

Association d'idées inévitable avec l'incroyable nouvelle de Flaubert, Un cœur simple. 
Extrait : 
"À l'église, elle contemplait toujours le Saint-Esprit, et observa qu'il avait quelque chose du perroquet. Sa ressemblance lui parut encore plus manifeste sur une image d'Epinal, représentant le baptême de Notre-Seigneur. Avec ses ailes de pourpre et son corps d'émeraude, c'était vraiment le portrait de Loulou.
L'ayant acheté, elle le suspendit à la place du comte d'Artois - de sorte que, du même coup d'œil, elle les voyait ensemble. Ils s'associèrent dans sa pensée, le perroquet se trouvant sanctifié par ce rapport avec le Saint-Esprit, qui devenait plus vivant à ses yeux et intelligible. Le Père, pour s'énoncer, n'avait pu choisir une colombe puisque ces bêtes-là n'ont pas de voix, mais plutôt un des ancêtres de Loulou. Et Félicité priait en regardant l'image, mais de temps en temps se tournait un peu vers l'oiseau."

Le texte existe aux Éditions mille et une nuits.

lundi 1 décembre 2014

des cons nippons

Katsushika Hokusai (photo Museo delle culture 2014,
Lugano/archive iconographique)

Les corps sont vrillés, les bras souvent s'étreignent, les joues se touchent, parfois les lèvres se joignent, et, dans une mer mouvante de tissus de kimono, de motifs, de drapés, soudain des jambes nues pliées, ouvertes, écartées, dévoilent un coït éclatant, cernés de poils d'encre, forêts miniatures. Parfois on peine à saisir immédiatement où commence le corps de l'un, où s'arrête le corps de l'autre.
Du con, et des contorsionistes.

Le voyeur est celui qui regarde l'estampe ou le carnet imprimé, parfois il est aussi intégré dans ces "images de printemps", spectateur volontaire derrière un panneau de papier de riz ou un voilage transparent, parfois involontaire comme ce bambin qui ne lâche pas le sein de sa mère alors que le corps de celle-ci est le théâtre (no, yes) d'une rencontre titanesque, une vulve mer et sable et un pénis arbre et roc.
Paysage, trait d'encre, tracé de la fente et du bâton.

Beaucoup de postures donc, mais peu de pratiques : on gamahuche et on s'enfile surtout dans ce Japon-là. Un seul cunnilingus explicite dans toute l'expo, tiré, il est vrai, du recueil " Faire l'amour au Nouvel an"... Ce n'est pas tous les jours fête. Quelques scènes proposent des trios.

La beauté surprend sur les visages où une économie de lignes restitue extase, amour, violence, tendresse, ardeur, abandon, urgence... 

L'art de l'amour au temps des geishas, jusqu'au 15 février 2015, Pinacothèque de Paris.

jeudi 27 novembre 2014

gyoza bar


Enfin j'ai eu le temps de passer à ce Gyoza bar ouvert il y a peu passage des Panoramas (au 56).

Mode d'emploi : y aller tôt (12h30) ou plus tard (14h00) pour éviter le rush des bureaux avoisinants; ne pas hésiter à entrer même si ça a l'air complet, il y a une salle en sous-sol.
Petite déception : il n'y a pas de choix de garniture du gyoza, tous sont au porc, légume et épices, il faut seulement décider si on veut 8 ou 12. 

La viande vient de chez Desnoyer, la star actuelle en matière de viande, la petite sauce est travaillée, acidulée. On a l'impression de manger quelque chose de design,vaguement mode, comme le décor qui joue la sobriété. Ce n'est pas renversant mais bon et agréable.

Autres détails : il existe une seconde adresse 38, rue de Saintonge. La maison propose aussi des formules à emporter. Et possède un site, qui vous enverra vers des articles plus renseignés que le mien (on vous dira même qui est le chef japonais qui est derrière tout cela...)

Et pour les curieux de Paris ("mais pourquoi ça s'appelle le passage des Panoramas ?"), petit coup d'oeil ici, ou sur Wiki, là.

lundi 24 novembre 2014

mère en pièces

Quel est le lien entre la psyché et le cerveau ?
Comme il est troublant ce voyage auquel ma mère nous convie. Faut avoir le coeur bien accroché : le relief est russe, pour ce qui est des montages.

Assemblage de pièces de puzzle
par ma mère : elle en est satisfaite. "je crois
que c'est plutôt pas mal", dit-elle. 
La maladie, qui la rend déficiente pour tout ce qui est de l'ordre de la logique, ne l'empêche pas de connaître une vie intérieure intense où elle se montre parfois d'une acuité inédite.
Souvent elle me questionne de façon évasive sur mon travail ("Y'a du monde ? Tu es content ?") et je sais qu'elle ignore ce que je fais. Contrairement à ce qu'on peut lire ici et là ( Par exemple sur le Huffington Post, Les 5 choses à ne jamais dire à une personne atteinte d'alzheimer : ne pas lui demander s'il se souvient de telle ou telle chose), je la considère comme un interlocuteur à part entière, capable d'assumer ses oublis ou de vouloir les dissimuler, à sa guise. Elle reconnaît son ignorance et je lui propose de deviner mon métier.
-" Tu dois pouvoir trouver, tu sais bien ce que j'aime ..."
Elle se méprend sur la dernière phrase, et la saisit pour elle-même.
"Ce que j'aime ? Oh non, je n'ai jamais rien dit de ce que j'aimais, de peur que l'on se moque de moi. J'ai toujours... (elle ne trouve pas les mots, fait de la main le geste sinueux du poisson slalomant entre les joncs). On ne sait jamais, sinon c'est trop facile."
Cet aveu me sidère, tant il décrit son essence même, son refoulement structurel. Je l'ai vu, enfant, dès que j'ai été en âge de comprendre ces fonctionnements-là : sa double contrainte (honte), vis-à-vis de sa belle famille et de sa famille d'origine, tentant d'intégrer celle-ci (bourgeoise) et trahissant de ce fait l'autre (populaire). Et l'entendre toujours affirmer, des choses difficiles de son passé : "Non, ça, je ne peux pas en parler."

Plus tard dans la soirée, après avoir évoqué des souvenirs d'enfance, elle dit doucement, tendrement :
- "Je ne les supportais pas mes parents. J'ai beaucoup culpabilisé parce que je ne les supportais pas."

Je m'interroge encore : comment son cerveau peut fonctionner sur ce mode là et hoqueter pour d'autres tâches ? Il y a quelque jours je lui ai offert un puzzle pour voir si cela pouvait meubler un peu son ennui. Elle était tellement "idiote" devant les pièces que j'ai dû vérifier qu'elle percevait bien les couleurs. Disons que en théorie elle les distingue, mais que la théorie et la pratique sont deux choses différentes. Idem pour les formes. J'étais vraiment stupéfait de son incapacité, même deux pièces que je lui donnais à emboîter, elle n'y arrivait pas, essayait l'assemblage de façon absurde puis décrétait "non, ça ne va pas". Elle serait aujourd'hui incapable de ranger triangle bleu, carré jaune et rond rouge dans une boîte à formes pour bébé.

Ce soir, je tente à nouveau de l'intéresser au puzzle, pour identifier si son incapacité est permanente ou fluctuante. Je ne me souviens plus exactement du déroulé de notre conversation autour du jeu en mille morceaux, nous parlons des déjeuners du midi que nous lui préparons puis j'essaye de la faire parler sur comment elle voit sa vie.
-"J'ai envie d'autre chose", affirme-t-elle clairement et volontairement.
-"D'autre chose ? Mais pourquoi pas! Simplement il faut que tu nous aides si tu veux autre chose, que tu dises ce que tu veux. Il faut que tu dises ce dont tu as envie, ce qu'il te faut."
-"Mais ce n'est pas facile, ça vient de loin."
(Elle fait des moulinets avec ses mains pour montrer : loin derrière. Je pense à son enfance, sans savoir si c'est à cela qu'elle fait allusion. Elle a l'air songeur et agité, et pourrait aussi bien poursuivre posément que partir dans un délire narratif.)
-"Même avant, à chaque fois que je faisais quelque chose de bien, ce n'était jamais pour moi, quand j'étais l'aînée." (Elle était l'aînée de huit enfants)
J'enchaîne :
-"Mais maintenant tu es grande, tu peux dire ce que tu veux."
-"Mais j'ai toujours... (Elle s'interrompt, secoue la tête, grimace). Avec toi je peux le dire parce que j'ai confiance. Les autres je n'ai pas confiance."
-"Mais qu'est-ce que tu risques ? Il n'y a pas de risque à dire ce que tu veux."
-"Mhumm, peut-être."





jeudi 20 novembre 2014

les mots, le meilleur, le bon

Elle perd le langage. Elle fut une lectrice dévorante, une cruciverbiste exigeante. Ma mère n'est plus rien de cela.
Elle aime les emballages. Parce que les emballages affichent le nom de la chose, c'est rassurant. Il y a eu une période où, à la préparation du dîner où au cours de celui-ci, la lecture des étiquettes lui paraissait une activité en soi.
"Sel de mer. La Baleine. Iodé. Iodé, ah ben je me demande bien pourquoi ? Qu'est-ce qu'ils ne vont pas chercher. La Baleine, c'est le meilleur."
"Roquefort. Société. Affiné en caves naturelles. Société, c'est le meilleur. C'est celui que je prends toujours."

 En terme alimentaire, elle trouve tout excellent. Petit poulet aux hormones de la friterie, ou poulet fermier de la boucherie, à la chair jaune, elle dira de la même façon :

"Il est très bon. Je rêve ou il est meilleur que d'habitude ? Tu le trouves où?"
Elle ne sait plus que cela s'appelle un poulet. Parfois, comme elle ne connaît pas le terme adéquat pour désigner un aliment, elle commence :

- "Je ne sais pas s'il faut dire ils ou elles, mais ils sont très bons."
Hier soir, goûtant les légumes variés qui accompagnent un poisson :
-" Ils sont bien, en vert."
Moi :
-"Les légumes, ceux qui sont verts, ce sont des courgettes."
-"Des courgettes ? C'est bon à savoir."

Elle ne s'attaque plus à un livre car c'est devenu une activité fatigante : si elle lit à haute voix les gros titres d'un magazine, on entend comment maintenant elle doit décomposer lentement le mot en syllabes, comme les enfants qui apprennent à lire.

Avec tout cela je me demandais ce qu'elle comprenait des histoires que je lui raconte le soir dans son lit, d'autant plus qu'il nous faut plusieurs couchers pour venir à bout de l'une d'elles. Une de ces nouvelles (c'est toujours le même livre de Rufin) se termine sur un happy end : deux anciens amants ne se sont pas revus depuis quarante ans, vont-ils se retrouver ? La réponse arrive à la dernière ligne du texte : c'est oui. Je la crois à moitié endormie mais ma mère se redresse vivement sur son oreiller :

-"Oh, je suis contente, c'est bien, ça donne presque envie de pleurer."

mercredi 19 novembre 2014

deuil et présence

"... Elle ne se leurrait pas en imaginant qu'il était parti pour un long voyage dont il reviendrait tôt ou tard. Si la perte et la peine étaient trop grandes pour être mesurées, la solitude apportait remède à ce qu'elles avaient d'insupportable. C'était un temps de décuplement de la conscience, de contemplation, duquel naîtrait une autre manière d'agir, au plus près de la perception qu'elle avait désormais de l'existence, de sa finitude et du mystère qui, par la porte de la mort, pénétrait la vie toute entière. Sa vie se poursuivait autrement, agrémentée de la présence forte, mais légère et bienveillante, de l'être aimé, en soi et hors de soi. Elle l'avait perdu, elle était descendue dans les ténèbres et elle l'y avait cherché. A l'inverse d'Orphée, elle ne s'était pas retournée puisqu'il la précédait sur le chemin. Et tandis qu'on la priait de faire le deuil de l'autre, elle aimait à faire le deuil d'elle-même."

Jeanne Labrune, Visions de Barbès, éditions Grasset.

mardi 18 novembre 2014

le Jihad, le réel, l'imaginaire et le symbolique

Je ne sais pas encore très bien où va me mener ce billet, mais cela fait un moment que j'éprouve le besoin de noter deux trois choses à propos de la communication du prétendu Etat islamique. J'ai regardé toutes ses vidéos.

Je me souviens d'un matin où une amie, découvrant dans le journal une capture d'écran de la vidéo montrant la décapitation de James Foley, m'avait dit qu'elle était furieuse qu'on lui ait donné à voir, qu'elle ne souhaitait pas regarder ces images car c'était "les faire gagner". On découvrait alors, sur la photo publiée, la mise en scène qu'on allait retrouver plus tard encore, le supplicié à genoux vêtu de orange, le bourreau cagoulé avec son couteau, le décor de sable etc.
Moi, au contraire de cette amie, curieux, sans aucune intention morbide, de voir le dispositif, ce qu'on voulait nous montrer, par où on voulait nous saisir, j'avais déjà visionné la vidéo dans la nuit avant la publication de ce quotidien. C'était le 19 août.

L'émotion a grandie en Europe avec le meurtre du deuxième otage, Steven Sotloff, le 2 septembre, et en cherchant la vidéo intégrale sur Internet, je m'étais aperçu que d'autres "décapitations spectacle" avaient eu lieu, dont je n'avais pas entendu parler, vraisemblablement car elles ne concernaient pas des ressortissants occidentaux. Il y avait eu celle d'un combattant kurde, à Moussoul, dont je n'ai pas trouvé le nom, et celle d'un otage libanais, Ali el Sayyed (le 28 août) qui allait être suivie de celle d'un de ses compatriotes, soldat aussi, Abbas Medlej (le 6 septembre).
Ces exécutions-la étaient visuellement différentes : le kurde, gardé par des hommes à mitraillettes, était habillé de orange devant la mosquée de Mossoul, à ma connaissance uniquement photographié et non filmé ; les libanais, eux, étaient exécutés brutalement avec leurs habits personnels dans un environnement campagnard.
En cherchant ces documents je trouvai aussi une décapitation ancienne, 2004, celle de l'américain Nicholas Berg par Zarquaoui, la victime déjà vêtue de couleur orange.

Ces trois dernières vidéos transgressaient la règle implicite qui interdit de montrer la mort en direct, tant et si bien que le film de l'exécution de Berg fut longtemps qualifié de "fake" par certains (un snuff movie, comment cela était-ce possible?)
Finalement, ce que je pouvais constater c'est que les films d'exécutions destinés au public européen étaient moins sauvages, moins sanglants que ces vidéos où la décollation de la tête était parfois filmée entièrement, efforts ou maladresse de l'acharné bourreau compris, et la tête parfois brandie à bout de bras à la fin. C'est surtout qu'ils étaient plus réfléchis et qu'une exécution de sang froid a vraisemblablement plus de poids qu'un carnage pulsionnel.

Je crois que ce qui m'a marqué également dans un premier temps c'est la surprise de découvrir le corps humain aussi fragile, ou plus exactement qu'il existât une zone du corps aussi primordiale et aussi vulnérable que le cou : le sang, l'air et la moelle épinière passent par ce maigre cylindre que rien ne protège. Je ne l'avais jamais réalisé.
Le deuxième étonnement c'était d'entendre et de voir des hommes clamer "Dieu est grand" alors même qu'ils détruisaient un être vivant ligoté. Ma faculté de compréhension reste à ce seuil.

Du coup j'ai regardé d'autres choses encore, conjointes à ces atrocités. J'ai consulté des comptes Twitter de supporters de l'Etat islamique, hommes et femmes. Vocabulaire restreint, orthographe débile, propos fanatiques et inflation du mot "vrai" : la vraie religion, le vrai chemin, le vrai islam, le vrai vêtement pour la femme, etc. Et déclarations d'intention du genre : "Déciiiiiidé à partiiiiiiiiir!!!", graphie adolescente à l'appui.

Il m'a fallu une certaine vidéo cet été, datée de la toute fin du mois d'août, pour comprendre un peu mieux ce qui était à l'œuvre. C'est un film qui montre l'exécution de dizaines et de dizaines de soldats syriens. Ils ont été dépouillés de leurs vêtements, ils avancent en groupe, les mains sur la tête puis réunies dans le dos, protégés de leur seul sous vêtement. L'image par moment est involontairement très belle : sur une immensité de sable clair, ces corps presque nus montrent des camaïeux de peaux brunes et ocres, ils semblent d'archaïques modelages d'argile, une bande d'antilopes juste changées en hommes par des dieux malicieux. La fragilité des corps -papyrus, ivoire, cannelle, Christ de bois sculpté, brindilles sèches - contraste avec la rudesse des bourreaux sur équipés, qui les houspillent, les blessent, certains patrouillant en 4x4 et usant des onomatopées que les bergers utilisent pour mener leurs troupeaux. Je ne sais plus si le film montre l'exécution finale des soldats - c'est vraisemblable -, ce qui m'en reste c'est l'image de la joie qui habitent les bourreaux, une joie presque extatique à l'idée de la destruction à venir, leurs rires clairs, sans retenue. Ils n'ont d'autre visée que la mort. La mort est leur horizon, leur énergie, leur ressort, leur respiration. Leur dieu.

La dernière livraison audiovisuelle du pseudo État islamique est encore très différente, et intéressante à ce titre. C'est la vidéo récente qui annonce la décapitation de Kassig et de 18 soldats syriens. Je la décris, car peu de media ont explicité ce qui y est donné à voir.
Le début du film (il dure une quinzaine de minutes) est un interminable clip retraçant la chronologie de l'émergence et de l'établissement de l'État islamique : panneaux datés, images d'archives, tout n'est que destructions, explosions et exécutions sommaires au son de "Allahou akbar", avec commentaire vantant les mérites des fils de l'islam. 
Vient ensuite la partie qui concerne les 18 décapitations des soldats, mises en scène de façon très cinématographique, les codes visuels simplistes mais travaillés frisant une esthétique de jeu vidéo. Les duos bourreau-victime se déplacent en file indienne, et passent devant une boîte de bois où chacun des bourreaux retire son couteau, kling-zip, bruitage ad hoc. Je n'imagine pas combien de temps ils ont répété pour arriver à cela. Les gros plans sur les visages sont multiples, aussi bien des assassins que des prisonniers, même lorsque ceux-ci sont à terre, alignés (ce qui permettra un plan englobant je ne sais combien de cous tranchés). Et ces plans sur les visages durent longtemps, on use de ralentis  permettant l'identification et donnant au tout un effet de bande annonce façon Koh Lanta, où chaque participant doit être mémorisé. Dans un article sur le Net, j'ai lu l'expression "gros plans obscènes" : je pense que cela fait allusion aux gros plans sur les visages des victimes, mais ce n'est pas l'impression que cela m'a donné. Il y a une vraie scenarisation, un moment de suspens avant l'exécution, et alors qu'il va égorger sa victime, "Jihadi John", si c'est bien lui, marque un temps pour plonger ses yeux au centre de la caméra. 
Ensuite vient une troisième partie, où "jihadi John", l'assassin archétype qui s'adresse aux occidentaux (debout, en tenue noire, cagoule et couteau), parle face à la caméra avec, l'air de rien, la tête ensanglantée de Kassig à ses pieds.
En gros, il y a donc un temps pour inscrire l'Ei dans l'Histoire, de façon symbolique; un temps qui fonctionne sur l'imaginaire, comme une bande annonce de télé réalité (oui, toi aussi devient un héros du Jihad et passe à la télé); et le troisième temps, roc du réel, corps castré. Soit : la loi, le désir et la toute puissance.









vendredi 14 novembre 2014

mon portrait

Elle a retrouvé le goût des vernis à ongles...
C'est un dimanche, j'arrive un peu plus tôt que d'habitude avec, dans mon sac, un carnet de croquis, des crayons noirs et une gomme. J'avais dans l'idée de proposer à ma mère : je fais ton portrait, puis tu fais mon portrait, puis on recommence, et encore. Comme je n'ai pas pratiqué le dessin depuis longtemps, j'étais assuré de faire aussi mal qu'elle, et que cela pourrait être l'occasion de franches rigolades devant les crobards disgracieux.

Finalement, cette fin d'après-midi se passe autrement, ma mère est dans une phase de lucidité et de capacité d'expression très intense, elle raconte son ressenti, plutôt négatif, à voir autour d'elle tous les intervenants extérieurs (toilette, déjeuner, ménage etc). 

C'est troublant  de l'entendre se prononcer aussi clairement, même si d'expérience je sais que dans une demi-heure, elle pourrait tenir un discours très différent. Ce n'est pas que l'un annule l'autre, au contraire, le bon et le mauvais se superposent. C'est qu'elle vit - et nous fait vivre par la même occasion - cette ambiguité : il y a des choses détestables dont on ne peut, ni ne veut, se passer.

Donc il est un peu tard pour se mettre au dessin, mais je le lui propose tout de même, pour voir comment elle réagit. On essaye. Elle a un peu de mal à prendre en compte qu'elle ne doit pas bouger pendant que je la dessine, du coup je recommence, puis esquisse un portrait qui ne lui ressemble pas et paraît la phase médiane d'un morphing de Michel Galabru à Simone Veil (vieille).

Quand son tour arrive de me dessiner, l'expression "une poule qui a trouvé un couteau " me vient à l'esprit. Elle dit "je n'y arriverai pas", regarde la feuille en écarquillant grand les yeux, l'incline pour voir la lumière jouer à sa surface, me scrute puis fixe des points derrière moi, assez en hauteur, que j'imagine des détails de l'armoire devant laquelle je me tiens. Cela dure ainsi un moment, elle semble lire des messages dans les reflets de la lumière sur la page, grimace beaucoup et redit : "je n'y arriverai pas".
Pour l'aider, je trace rapidement un ovale sur le papier, un cou, l'amorce de deux épaules : "tu vois, tu peux continuer, faire les bras, les cheveux..."
Elle crayonne des traits pour les bras sans lever la tête vers moi puis recommence son manège : mimiques étranges, regard qui se pose sur moi puis loin plus haut, elle semble tout de même griffoner quelque chose avec difficulté. J'abrège ce moment que j'imagine pas très agréable pour elle, la mettant en échec et, qui sait ?, en inconfort physique (elle a peut être des problèmes de vision que nous n'avons pas identifiés ?). 

Alors, je découvre son dessin, plus élaboré que je ne le pensais, et qui m'étonne profondément (la face comme un masque africain et les deux points au-dessus à gauche, très noirs, sur lesquels elle est revenue plusieurs fois). 
Au même moment je l'entends dire :
"Je ne sais pas ce que je pourrais rajouter. Des dents, peut-être ?"


mercredi 5 novembre 2014

pas comme les autres

Pendant un temps, ma mère a été sujette à de petites attaques de panique. Ça arrivait comme un orage tropical.
C'est le beau fixe et soudain, patatra, rien ne va plus, elle se sent proche du malaise. 

Les crises sont légères, pour impressionnantes qu'elles furent au début, avant qu'on expérimente qu'elles se dissipent rapidement, comme elles sont venues, au gré du vent. Elle a elle-même la bonne stratégie : elle panique = elle téléphone pour qu'on la rassure.

Récemment, quand je suis arrivé chez elle, la gardienne de l'immeuble était là, visiblement impressionnée, elle, par l'état de dinguerie de ma mère qui l'avait prise à parti :
-"Regardez, vous voyez bien que je n'ai plus de téléphone," lui avait-elle dit en la traînant dans sa chambre où se trouve le téléphone bien en évidence, et en ouvrant grand son lit d'un geste large pour le lui prouver.
Nous qui sommes maintenant tellement habitués à sa folie, ce genre d'épisodes ne nous inquiète plus (je dis nous, englobant ainsi le reste de ma fratrie, mais c'est peut-être une liberté que je m'accorde à tord). Ce sont les éléments logiques aujourd'hui qui peuvent nous saisir par leur présence, petits residus brillants, fragments étincellants d'une banquise de raison qui fond à vue d'oeil, plaques dérivantes sur un océan d'absurdité sans limite.

Elle ne met plus de vernis à ongles en ce moment, je ne sais pas pourquoi. Peut-être a-t-elle oublié qu'elle adorait cela, elle arrive à oublier qui elle est et à tenir sur elle des discours inverses de ceux qu'elle tenait auparavant.
-"Jai toujours aimé ces assiettes, depuis toujours", asséne-t-elle à propos d'un service dont elle se plaisait à rappeler, il y a encore quelques mois, qu'elle l'avait au début détesté et s'était mise à l'apprécier sur le tard.

Je continue à lui lire des histoires le soir puisque cela simplifie grandement (pour elle et pour moi) la phase "coucher".
L'autre soir elle se met au lit avec une excitation d'enfant qui anticipe son plaisir :  chantonnant en boucle "Si tu vas à Rio", alerte, vive, faisant tout rapidement pour être prête au plus tôt. L'incongruité de la situation doit lui apparaître d'une certaine façon, elle me dit en riant, remontant les couvertures sur elle alors que je m'installe sur son lit le livre en main :
-"Nous sommes tout de même des personnes spéciales..."
-"Qu'est-ce que tu veux dire ?..."
Zappant l'explication : -"Mais je suis très contente d'être comme ça."

mercredi 29 octobre 2014

stade anal et propreté

Dernier post sur cette escapade trop rapide au Japon : la nourriture japonaise s'avère un voyage en soi au cœur du voyage touristique. Nouveautés, incertitudes, dépaysement, incompréhension, beauté... : la métaphore serait facile à filer. Le tout servi dans des restaurants la plupart du temps "nickel", les cuisines n'ayant pas peur de se dévoiler aux yeux des clients, bien au contraire. On n'y voit que chromes briqués, plans de travail lessivés, ordre et propreté exemplaires.
C'est au bout d'une grosse semaine cependant que l'on s'étonne : je ne savais pas mon corps capable d'ingérer de telles quantités de riz. Lost in transit? L'organisme semble s'être mis sans attendre, en douce, au diapason nippon.

Bar à sushis à Tokyo.
Restaurant spécialisé dans les grillades
(boeuf et langue de boeuf) : la cuisson se fait
à quelques centimètres du bar,
derrière une vitre.
J'achète des fruits dans les mini supérettes de quartier, les Family Mart, car ils sont absents des cartes des restos et me manquent. Fruits et légumes paraissent d'ailleurs assez onéreux quand nous en trouvons, et, autre curiosité, nous ne rencontrons aucun marché au gré de nos déambulations.
A l'exception du marché couvert de Nishiki (Kyoto), où là encore, c'est l'aseptie la grande maîtresse des lieux : la moindre crevette et le moindre poisson sont présentés sous film alimentaire transparent, bien loin des souvenirs d'étals observés dans d'autres pays d'Asie ("...noir corset velu des mouches éclatantes, qui bombinent autour des puanteurs cruelles.")
Et même l'argent qui s'échange semble sorti du pressing : tous les billets de banques sont neufs, non froissés... Je ne sais pas si le Japon est un pays de typhons, mais la tornade blanche de Monsieur Propre est clairement déjà passé partout.
Yens : le médecin Noguchi Hideyo (1000),
l'écrivain Ichiyo Higuchi (5000), le penseurYukichi
Fukuzawa (10000)

Dans tous les hôtels que nous avons occupés, la salle de bains était identique. Le même module de plastique moulé avec, selon la catégorie de l'établissement, de petites variations de style : plastique jaune pâle ou imitation marbre clair ou granit noir, accessoires de métal ou du même plastique pâle que les murs et, dans l'un d'eux, toilettes à télécommande. Il faut dire que presque toutes les toilettes sont dotées d'une fonction bidet, dont plein de paramètres sont personnalisables : nature du jet d'eau, puissance, chaleur... (Monsieur Propre me poursuit jusqu'ici.) D'ordinaire les commandes - plusieurs boutons bien entendus - sont disposées le long d'un bras qui longe l'assise.
C'est une curiosité qui amusent beaucoup les touristes dont certains se pressent au 26e étage du L Tower Building (quartier de Shinjuku) où se tient un showroom du spécialiste en la matière que rien n'arrête : wc chauffés, sonorisés etc

On peut s'en doute jouer à "Toi tu t'assieds
et c'est moi qui commande..."


mardi 21 octobre 2014

le Gyoza Palace

On mange délicieusement au Japon dans le moindre estaminet. Pas de recommandations de lieux particuliers donc, tout voyageur trouvera au détour de son trajet de quoi se régaler. 
Petite exception pour ce resto coup de coeur, à Asakusa, qui affiche dans son nom sa spécialité : le Gyoza palace. C'est un immeuble entier à la déco un peu années trente sans que l'on sache si c'est voulu ou non. Peu habitués aux touristes, les serveurs auront tendance à vous livrer la carte en japonais, ça intimide. Heureusement ils en ont une en anglais, où l'on ne comprend pas tout pour autant. Qu'importe, tout est bon.


La carte en japonais.

Murs blancs aux décors peints, meubles de bois sombre
 et luminaires années 30.


À imprimer pour demander son chemin.
Ce n'est pas loin de la porte Kaminarimon,
représentée par un ovale à droite sur le plan.

mardi 14 octobre 2014

de retour

On pourrait dire, le voyage au Japon, c'est l'effet Kiss cool. Double dépaysement. Car au retour en France, on regarde, sans le vouloir, sa ville avec des yeux de japonais.
Le métro, qui auparavant nous paraissait bigarré de publicités, semble dénudé en comparaison de l'univers saturé de signes de son équivalent nippon. Et l'espace des voitures paraît encombré de sièges empêchant la circulation, là où le vide règne au centre des wagons du métro japonais, les assises reléguées sous les fenêtres, le long des flancs de l'habitacle.
Mais c'est surtout la saleté parisienne qui frappe. La très grande saleté des sols, des couloirs, des escaliers..., des trottoirs également lorsque l'on sort dans la rue.


J'imagine clairement 
maintenant le désarroi des touristes japonais découvrant la France, eux qui chérissent tant notre pays que nombre d'enseignes chez eux portent des noms français (Mon cher, Le Duc...), avec, souvent, de charmantes fautes de langage (Champ de herbe, Laissé passé...).

Fuji san

Nous avions ravalé notre déception de ne pas avoir vu le mont Fuji pendant le séjour (même depuis l'observatoire des tours jumelles de Tokyo), et tout près de penser que, si le volcan existait bien et n'était pas une hallucination collective, il n'était peut-être pas tel que les représentations traditionnelles (et les dépliants touristiques) le montrent : isolé, unique, fier, dépassant toute chose.
Aussi notre plaisir fut grand de découvrir par surprise, depuis l'avion, le colosse émerger des nuages. Fuji san! Et vraiment au-dessus de tout, au-dessus même du ciel.

 

dimanche 12 octobre 2014

la tombe d'Hokusai, à Asakusa

À quelques heures du départ, dans le lobby de l'hôtel où s'agite une équipe de baseball locale, je publie cette photo de la tombe d'Hokusai. J'écrivais l'autre jour "son corps repose...", formule toute faite et pas du tout à propos. Ce sont ses cendres qu'accueille le petit cimetière.



(Il est très facile de ne pas le trouver ce petit cimetière, même lorsque l'on possède un plan. Le plus simple : partir de la station de métro Tawaramachi, en tournant le dos au fleuve, c'est-à-dire en se dirigeant à l'opposé de la station Asakusa. Aller jusqu'au deuxième gros carrefour - compter huit rues sur votre gauche ou encore quatre feux de croisement -, prendre à gauche et descendre la rue. Laisser sur votre gauche un premier petit temple et continuer, vous trouvez un deuxième temple moderne pas très attrayant : c'est là. Deux bâtiments se tiennent en L, l'un à votre droite, l'autre qui fait face à l'entrée. Prenez le mini chemin à droite avant le premier bâtiment, c'est minuscule et c'est au bout que vous trouverez le cimetière.)

samedi 11 octobre 2014

Asakusa

Nous habitons pour cette fin de séjour à Asakusa, dans le Nord Est de Tokyo. Le quartier est paisible mais gentiment animé. S'y dresse le Senso-ji, un vaste temple bruissant d'une foule joyeuse (beaucoup d'étudiants et d'élèves en bandes) et fervente, et la porte de Kaminarimon avec sa lanterne géante. Autour, pas mal de commerces, dont la plupart décorent leur rideau de fer de jolies peintures japonisantes : avant l'ouverture des boutiques, la rue semble un livre d'images.
De l'autre côté du fleuve, la Tokyo Sky Tower, inmanquable, semble veiller sur le quartier. 




Akihabara lolitas

De retour à Tokyo nous visitons d'autres quartiers de la ville, comme Akihabara, surnommé la ville électrique : immenses enseignes lumineuses, buildings dédiés aux jeux video et aux mangas, et soubrettes qui racolent pour les maidbars.
À peine arrivé sur place, je repère un immeuble vitré de six étages dont les vitrines exposent des déguisements. Tout a mon enthousiasme je pénètre dans le bâtiment et la vue des poupées exposées me laissent entrevoir ma méprise. Au deuxième étage, la banderole qui enjoint "Go anal!" ne laisse plus de doute. Me voici dans un sex shop. En réalité, le doute reste permis, et cette confusion entre le monde de l'enfance et celui du sexe est sans doute le moteur d'un certain érotisme, pour les amateurs du genre. Léger malaise pour les autres. 





Image tirée du site du bar ci-dessus,
Maidreamin.

vendredi 10 octobre 2014

Hokusai

J'espérais passer ces vacances sans entendre parler de jihad et de décapitation. Raté, à l'hôtel, le Japan Times nous rappelle à l'ordre. Tout est "mondialisable" : les biens de consommation, l'information, la connerie. À Hakone où la plupart des touristes sont japonais, les trains et les gares (on passe du téléphérique au funiculaire puis au tortillard d'altitude) regorgent de publicité pour la Suisse. C'est malin : vous aimez les montagnes nippones, vous aimerez les hauteurs helvètes. À l'activité volcanique près, c'est jouable.
L'amour de la nature est planétaire, comme celui de la culture. Tandis qu'à Paris l'exposition Hokusai a commencé au Grand Palais, ici une exposition Hokusai se tient au Ueno royal museum depuis le 13 septembre. Il s'agit d'un ensemble d'oeuvres en provenance de… Boston. 
Les images du maître tournent autour du monde. Son corps repose ici, dans le quartier d'Asakusa, à Tokyo. Ce soir il était trop tard pour que j'y passe. J'espère y aller demain.





Le Fuji vu du lac d'Hakone, par Hokusai.


Hakone Owakudani

C'est notre bol d'air, notre excursion dans la nature, et malheureusement le soleil fait défaut.
Le matin, le ciel parait naître d'entre les arbres, des vagues de brouillard s'élèvent des forêts pour se confondre avec les nuages. 
Le bus qui nous conduit au lac s'enfonce parfois dans un mur laiteux au détour d'un lacet de la route de montagne. Au sud de cette étendue d'eau, reste un vestige de la route d'Edo (le tokaido, immortalisé par Hiroshige et sa série de 53 estampes). Depuis le lac (un bateau façon Walt Disney le sillonne dans sa longueur), le mont Fuji serait visible par temps dégagé. Mais nous voguons en pleine aquarelle, et la netteté du paysage telle que l'a dessinée Hokusai dans ses 36 vues du mont Fuji, ce n'est pas pour aujourd'hui. 
Plus haut encore (téléphérique), la visibilité s'amenuise, et nous arrivons à l'attraction touristique locale : les fumerolles, sur les flancs du volcan Kamiyama. Là, pour le coup, les nuages sortent vraiment de terre pour se fondre au brouillard ambiant dans une odeur de soufre bien présente. Autour, quelques torrents d'eau bouillante creusent la roche : occasion d'un autre business traditionnel, la confection d'oeufs durs dont la coquille vire au noir.

(Le circuit touristique classique fait une boucle qui nécessite de prendre bus, bateau, deux téléphériques, un funiculaire, puis le train. Il existe des forfaits pour la journée, je ne suis pas sûr qu'ils soient très intéressant financièrement mais ils permettent aussi de prendre le train jusqu'à Odawara.
Attention, la station de Yumoto est assez ingrate : très peu de lieux pour dîner le soir, et qui ferment très tôt)





jeudi 9 octobre 2014

se déplacer, bis

Aujourd'hui un long voyage en train : Hiroshima/Odawara, 810 km. Avec le pass JR, on ne se préoccupe plus des billets, on traverse les contrôles en brandissant ce sésame. (Il est pourtant prudent de réserver ses places assises : c'est facile, rapide, gratuit, et on peut les modifier comme on veut.)
Seule contrainte : l'un des express (le Nozomi) n'est pas compris dans le forfait du pass ce qui oblige parfois à un changement de train plutôt qu'un trajet direct. 
Côté confort, pas d'inquiétude : les voitures du Shinkansen (320km/h) sont ultra spacieuses, on voyage toujours dans le sens de la marche car les sièges pivotent à cet effet. 
Inutile de préciser que les quais et les wagons sont briqués, astiqués, balayés etc. Pas un papier par terre, ni dans les gares, ni dans les trains. C'est nettoyé mais surtout ce n'est pas sali : les japonais sont vraiment disciplinés. 


Vu dans la gare, mais trop fugacement
pour faire une photo nette : un "artiste"
aux cheveux roses et aux habits
et accessoires customisés de peinture.


Hiroshima bis

LUI : Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien.
ELLE : J’ai tout vu. Tout. Ainsi l’hôpital, je l’ai vu. J’en suis sûre. L’hôpital existe à Hiroshima. Comment aurais-je pu éviter de le voir ?
LUI ; Tu n’as pas vu d’hôpital à Hiroshima. Tu n’as rien vu à Hiroshima.
ELLE : Quatre fois au musée...
LUI : Quel musée à Hiroshima ?
ELLE : Quatre fois au musée à Hiroshima. J’ai vu les gens se promener. Les gens se promènent, pensifs, à travers les photographies, les reconstitutions, faute d’autre chose, à travers les photographies, les photographies, les reconstitutions, faute d’autre chose, les explications, faute d’autre chose.
Quatre fois au musée à Hiroshima.
(...) J’ai eu chaud place de la Paix. Dix mille degrés sur la place de la Paix. Je le sais. La température du soleil sur la place de la Paix. Comment l’ignorer ?... L’herbe, c’est bien simple...
LUI: Tu n’as rien vu à Hiroshima, rien. 
(Extrait du film Hiroshima mon amour, d'Alain Resnais).
Aujourd'hui, oui, il a fait beau sur la ville. 


Le A-Bomb dome, vestige du 6 août 1945.


La château d'Hiroshima, reconstruit
évidemment.



Dans le train Shinkansen, bento acheté à la gare.