vendredi 31 décembre 2021

santé ! (immensité 10)

Les deux derniers livres dont j’ai publié des extraits (qui ne sont donc pas les deux derniers lus mais ceux qui, parmi les derniers lus, contenaient le mot « immensité ») m’ont beaucoup amusés car ils comportaient l’un et l’autre des passages extrêmement racistes. Je me suis demandé quelle serait l’attitude d’un éditeur aujourd’hui face à de tels textes. 
Celui de Burroughs (Le Festin nu) est tellement outrancier, mêlant allègrement le racisme avec l’homophobie, jouant d’insultes à répétition, qu’on ne peut qu’attribuer toutes ces invectives au personnage sans suspecter l’auteur de partager ces idées. C’est nettement plus ambigu dans le texte de Marguerite Duras (Emily L.), où ce sont « les Coréens » qui font les frais de sa peur et de ses critiques. 
Dans un premier temps il y a juste un groupe d’Asiatiques que la narratrice identifie comme « évidemment des assassins » et qui lui « paraissent n’avoir qu’un seul et même visage, c’est pourquoi ils sont si effrayants ». L’ami qui l’accompagne lui demande alors comment elle sait que ces gens sont des Coréens.
« Je ne sais pas. Je n’en ai jamais vu. » Ils rient ensemble de cela. Mais plus tard elle ajoute : « La mort sera japonaise. La mort du monde. Elle viendra de Corée. » 
Elle est toujours effrayée quand elle voit ce groupe d’hommes sur le port, qu’elle continue de nommer les Coréens, et quand son ami la questionne sur cette crainte qui semble irraisonnée, elle argumente:  « J’ai dit que je connaissais les Asiatiques, qu’ils étaient cruels, que sur les routes ils s’amusaient à écraser les chiens moribonds de la plaine de Kampot avec leurs voitures. » Plus loin: « Dans la plaine de Kampot, quand ils tuaient les chiens à coups de bâton, ils restaient souriants, comme des enfants. Ils regardaient mourir les chiens avec des rires frais, ils regardaient en s’amusant les grimaces et les gesticulations d’agonie des chiens squelettiques. » Et encore plus loin :  « J’ai encore parlé des Asiatiques. J’ai dit qu’ils étaient cruels et joueurs de cartes et voleurs et hypocrites, et fous, et que je me souvenais bien des animaux en Indochine, tous squelettiques et plein de gale… » À part ça, la plaine de Kampot est au sud du Cambodge, donc assez loin de la Corée… Sacrée Marguerite…



C’est à la faveur d’une série de podcasts sur l’alcool et les femmes que j’ai replongé dans un autre livre de Duras. Dans l’épisode 2 de cette série, L’Ivresse de l’ivresse, on entend l’écrivaine citer La Maladie de la mort et dire que c’est un livre important pour elle, et que lors de son écriture elle consommait six litres de vin par jour. Whaou, six litres ! Elle tremble tellement qu’elle ne peut écrire et dicte son texte à Yann Andréa. Certains ont cru lire dans cette œuvre l’impossible sexualité entre Duras et Yann Lemée (de son vrai nom). Il faut vraisemblablement inverser la proposition et voir dans cette relation la matérialisation du thème de l’impossibilité et de la perte qui occupe l’œuvre de Duras depuis toujours.
Tout ce long préambule pour arriver à L’Homme atlantique, mais j’adore restituer ici mes chemins de traverse. Dans un article au sujet de La Maladie de la mort que je trouve sur le Net, un auteur approximatif affirme que Duras avait évoqué précédemment l’homosexualité dans L’Homme atlantique. C’est inexact. Cependant cela m’a permis de visionner le film (visible ici), réalisé avec les chutes d’un autre film, Agatha et les lectures illimitées, et une succession d’écrans noirs. À l’image, quelques scènes montrant Yann Andréa déambulant dans le hall de l’hôtel Les Roches Noires (où Duras occupe un appartement au premier étage), la mer vue du même endroit, et de très (très) longs plans noirs. La voix off est de Duras. Et, oh, amusement! à la minute 33:30 le mot « immensités »!

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