dimanche 28 juillet 2019

immensité 2

"Tiguemounine, le 18 mars.
Bonsoir Danielle, ma Minouche! 
Quitte vite ce regard sévère et dépouille-toi de ta carcasse, je suis près de toi et je te veux dans mes bras. Qu'il est doux de pouvoir te dire ces choses au creux de l'oreille, même par une lettre. Qu'il est chaud, ton corps à serrer. Ah! je suis fou et j'arrête, me retiens, tu sais seulement que je garde ta main dans la mienne pour te parler. 
Dans ce poste, étroit et vieux, on vit de guerre, encore, entassés entre les armes, les livres de détente (Socrate !) et les popotes, la radio militaire. Le temps fuit. Tu es immense et j'ai le bonheur de te connaître. Et ton immensité chaque jour se révèle. J'ouvre tout grand mes yeux, j'ai un peu honte d'être garçon. Et puis tu continues à parler et je sais que je fais partie de toi, et tu sais aussi... Oui, j'ai souri un peu, lorsque tu me parles de toi, et plus particulièrement de tes gênes. Mais surtout j'ai fermé les yeux et ensuite il me faut serrer les dents pour ne pas me laisser aller. Car tu me manques, toute entière, tu le sais. C'est simple aussi, ça.
Les cerisiers, les amandiers et les buissons d'épines sont en fleurs, jolies fleurs blanches toutes simples, j'ai pensé à toi; Bon ! Je voulais te raconter un tas de choses et voilà le convoi qui monte, la piste qui fume sous les roues des camions. Il me faut vite finir, sans quoi.... quatre jours d'attente encore. "

Extrait de La Blessure, de Jean-Baptiste Naudet, éditions l'Iconoclaste.

Le roman est ponctué des lettres, authentiques, de Danielle et de Robert, elle en France, lui jeune appelé en Algérie en 1960. On y parle, entre autres choses, de guerre, d'absurde, d'amour et de transmission transgénérationnelle...


Cette série "immensité" présente, de façon tout à fait arbitraire, des extraits de livres lus récemment dans lesquels le mot immensité apparaît.

samedi 27 juillet 2019

comme ma mère ?

Alors que j'imaginais, dans les deux derniers billets publiés ici et , que ma mère allait inexorablement s'éloigner de nous (rejoindre le règne animal et s'exiler dans un lointain inaccessible), il n'en est rien. Elle s'est en quelque sorte stabilisée dans cette lente dégringolade, comme si son vaisseau spatial, pour reprendre l'image du billet du 9 avril, avait trouvé l'orbite où se tenir.

Ce n'est pas dire non plus qu'elle ne se métamorphose plus, le processus de transformation paraît simplement plus lent. Par exemple, en tout cas en ma présence, elle chantonne moins. Elle continue à sourire beaucoup, et à faire de longues déclarations d'amour à qui elle veut, et de sombres critiques aux autres, toutes choses qui sont ses modes d'interaction habituels maintenant.

L'autre soir, je la trouve attablée à côté d'une femme en fauteuil roulant, que j'avais déjà vue à sa table et qui m'avait déjà questionné sur le mode "Vous êtes son fils ? Vous avez des frères et soeurs ?" etc.

Ce soir-là, alors que je m'assoie à côté de ma mère, cette vieille dame me demande à nouveau :
- Vous êtes son fils ?
- Oui oui.
Puis elle continue, faisant un mouvement de tête vers ma mère :
- Ça fait longtemps qu'elle est comme ça, qu'elle a perdu la tête ?
Evidemment je suis un peu gêné, je la regarde en souriant, je regarde aussi ma mère qui, si je ne sais pas si elle a vraiment entendu cette phrase, a en revanche conscience que cette dame me parle, ce qui l'agace un peu, je crois, comme si toute interaction avec une autre personne qu'elle était du temps qu'on volait à notre tête-à-tête.
La vieille dame insiste :
- Vous l'avez toujours connue comme ça ?
Je réponds un peu évasivement "Non, ça fait trois quatre ans qu'elle est comme ça ", tout en continuant à leur sourire à toutes les deux comme si l'on parlait de la pluie et du beau temps.
-"Ah, c'est une épreuve, c'est une épreuve", répète la petite vieille qui tente de croiser mon regard pour que je confirme, alors que je me tourne vers ma mère pour faire diversion. Mais devant son insistance - "Quelle épreuve, n'est-ce pas !" -, je suis obligé d'ajouter :
-"Vous savez c'est indélicat de parler d'une personne devant elle comme si elle n'était pas là, c'est une question de respect..."
-"Mais je la respecte beaucoup votre maman, je suis très gentille avec elle. Même si elle, elle me dit que je ne suis pas belle..."
-"Ah bon, elle vous dit ça, que vous n'êtes pas belle ?" L'anecdote me réjouit. Je reconnais bien ma mère dans ce trait-là. Je la crois même capable de dire ça avec un grand sourire.
-"Oui. Je le sais bien que je ne suis pas belle, mais tout de même..."

L'échange se poursuit un instant. La vieille dame ne semble pas du tout sensible à mes précautions vis à vis de ma mère, et va même jusqu'à dire à un moment : "Mais de toute façon elle ne comprend pas..."
-"Ecoutez, excusez moi, je ne veux pas vous paraître désagréable mais j'insiste. Si ce n'est pas une question de respect, disons que c'est une question d'humilité alors, parce que justement on ne sait rien de cela, personne n'est dans la tête de maman...."
Finalement la vieille dame grimace et conclut :
-"Ben vous êtes comme elle, vous n'est pas très agréable..."

Cette conclusion me laisse un peu rêveur. Je m'aperçois que si j'ai beaucoup étudié les processus d'identification et de contre-identification avec mon père, j'en ai peut-être sous-estimés certains avec ma mère...

lundi 22 juillet 2019

Jérusalem, fin

Le même chauffeur qui, à Jéricho, nous emmenait au bord de la mer alors que nous souhaitions aller à Qumran, était tout heureux de nous montrer, au loin : "Là-bas c'est la Jordanie. Là c'est la route de l'aéroport." Mon inculture m'empêchait de comprendre l'information.
Ce n'est plus tard que j'ai appris (quand je pense qu'on nous raconte toujours que le conflit israélo-palestinien s'importe chez nous) que les Palestiniens n'ont pas d'aéroport, mais que surtout ils ne peuvent pas aller à Ben Gourion, celui de Tel Aviv. Quel enfermement !
J'aurai dû m'en douter, mais ce genre de choses ne nous vient tellement pas à l'esprit, nous autres habitués à la liberté. Bref. Pour terminer ce petit voyage, quelques dernières images de Jérusalem...

Le tombeau d'Absalon, dans la vallée du Cédron,
proche du monts des Oliviers. Un peu plus loin
sur la gauche, on trouve une autre tombe creusée
dans la roche, celle de Bnei Hézir.

Devant le mur des lamentations. J'ai cru
que ces enfants qui dansent étaient déguisés
en Roi David. Plus probablement ils portent
la couronne de la Torah (on  n'est pas loin
de Chavouot), mais je n'en suis pas sûr...

A côté du tombeau du Roi David,
qui se visite avec un côté homme et un côté femme, on peut se faire photographier
dans le costume de son héros biblique préféré.

C'est un lieu architectural un peu étrange
qui accueille le tombeau du Roi David, mais également le lieu
où aurait eu lieu la Cène.


Le Cénacle, où aurait eu lieu
le dernier repas du Christ...


La Citadelle de David, à l'ouest de la vieille ville.

Une des traces du passage de Soliman le magnifique,
qui fortifia les murs de la Citadelle.



jeudi 18 juillet 2019

Jéricho Qumran

Jéricho est, tout contrairement à Ramallah, une ville très chaude, c'est le point le plus bas de la planète avec -240 m d'altitude.
Avec N., on s'y rend en taxi service, comme on en a pris l'habitude (attention, le nom de la ville en arabe est Riha) et une joyeuse végétation de palmiers se révèle quand on s'en approche. Notre but est de nous rendre sur le site de Qumran, où furent découverts nombre des célèbres rouleaux de la Mer morte.

Le hic c'est que une fois arrivés à Jéricho, on ne sait pas très bien comment aller jusqu'à Qumran, à quelques kilomètres de là. J'aurais été fort démuni sans les talents arabophones de N. Finalement, on trouve un taxi "normal" qui se propose de nous y accompagner.
Le second hic, c'est quand on se rend compte, lorsque le taxi s'engage sur la route de la plage (la Mer morte, qui s'étale devant nous, affichant son bleu incroyable sur l'ocre du sable), que finalement le site archéologique n'est pas connu du chauffeur, et pas non plus d'autres personnes sollicitées.

Ce petit détour nous permet de constater que pour accéder à la Mer morte, ici en Cisjordanie, il faut passer un check point tenu par un soldat israélien... Je n'avais pas percé ce mystère, épaissi par cette déclaration entendue dans la série de Sophie Vernet,  Inch'allah peut-être, dans l'épisode 6, par Asmahan : "Je viens du désert de Jericho et je suis de mauvaise humeur quand il fait chaud. On n'a plus accès à la plage alors on va à la piscine." En fait, c'est tout simple, ai-je appris depuis, la partie de la Mer morte en Cisjordanie est considérée comme une zone C, c'est-à-dire est sous contrôle israélien... No comment.

Finalement on arrive sur le site de Qumran. Le parking est bourré de cars de touristes, la plupart des groupes de catholiques venus du monde entier.
Si rien n'est certain concernant l'origine des manuscrits retrouvés, la visite sur le site débute par un film qui soutient, sans conditionnel, l'hypothèse d'une origine essenienne. Logique, puisque ce sont les ruines de l'habitat essenien qui sont à voir ici : bains rituels, enclos animalier, atelier de poterie, scriptorium etc. On peut aussi marcher jusqu'aux rochers et grimper vers les grottes où ont été trouvé les urnes contenant les manuscrits. Le lieu est magnifique, écrasé par 40 degrés.
La sortie du site oblige a traverser une sorte de mega magasin ambiance Galeries Lafayette, ultraclimatisé, additionné d'un resto-self digne d'une autoroute. Il faut dire qu'ici, on est au milieu de nulle part.
On tente, sans succès, de trouver un car qui rentrerait à Jéricho, et dans lequel on pourrait se glisser. Heureusement on a gardé le numéro de téléphone du taxi qui nous a emmenés jusqu'ici et on file à trois kilomètres au nord de la ville voir le Hisham's Palace, palais ommeyade du VIII siècle, célèbre pour ses mosaïques qui ne sont quasiment jamais visibles au public (se construit une structure censée les abriter et les protéger, et chaque année on promet que ce sera terminé l'année suivante). En réalité il y a bien plus qu'un palais, on y trouve les traces de tout un habitat autour, mosquée, maisons, presse agricole...

Quand le taxi nous emmène au bord de la mer...

La Mer morte

A Qumran. Débris de poterie, liens et tressage
de cuir datant des Esseniens.

Ruines et, au premier plan, un bain rituel.

Retour à Jericho, en taxi. 
Les ruines du Palais de Hisham



Une mosaïque dans le petit hammam.
Au retour, le paysage incroyable, pris depuis le taxi "service".

lundi 15 juillet 2019

Ramallah

Ramallah est une ville fraîche, ce qui, dans ce pays chaud, fait les délices de la plupart et le désarroi de certains... Elle n'a rien d'un spot touristique, mais elle ne manque pas de charme. En plein centre de la Cisjordanie, c'est une étape qui se trouvera facilement sur la route du voyageur.
Siège de l'Autorité palestinienne, elle accueille le mausolée de Yasser Arafat et également celui de Mahmoud Darwish (le nombre de tombes que j'aurai visitées ici !). Dans les deux cas, les tombes sont accompagnées d'un musée, où s'exprime une forme de fétichisation des objets personnels que l'on trouvera touchante ou ridicule, c'est selon.
La ville est réputée aussi pour sa vie nocturne, dont je ne sais rien, mais les Klaxon dans la nuit me laisse supposer que l'information est exacte.

Pub Pepsi avec star du football,
l'égyptien Mohamed Salah.
La place Yasser Arafat le soir.

Le délicieux café Beit Ardi 
La tombe de Yasser Arafat. 
A côté du mausolée cubique se trouve un musée
qui retrace l'histoire de la Palestine jusqu'à la mort
d'Arafat (2004). S'y trouve quantité d'objets personnels,
dont des lunettes griffées Chanel :-) 
Le musée conserve aussi dans l'état les anciens bâtiments
de la Mouqata'a assiégés durant 5 mois lors de
la seconde Intifada. Ci-dessus la chambre de Yasser Arafat
pendant le siège.

En allant au Marmoud Darwish Mueum, sorte de construction
pyramidale assez minérale sur les hauteurs de la ville..
Sur place, la tombe du poète. Mort aux Etats-Unis,
 il a été rapatrié à Ramallah, où il avait passé
la fin de sa vie. D'aucuns souhaiteraient que son corps
repose dans sa ville natale.

Pêle-mêle de photos de Darwish au musée.




vendredi 12 juillet 2019

Hérodion Bethléem

C'est une tâche un peu frustrante pour moi cet exercice du billet d'après coup, post-voyage, avec une exigence de résumé - quelques lignes et quelques photos - qui frise l'indigence. Pourtant c'est à cette occasion que je remarque, reprenant mes documentations pour ne pas écrire trop de sottises et rester le plus succinct possible, que, sur le dépliant palestinien que je possède concernant Sebastia, le roi Omri n'est pas cité. Ce n'est ici ni un oubli ni une erreur, mais la marque de ce que j'appelais précédemment, par euphémisme, la dimension politique du tourisme.
En réalité, il se livre entre Israël et la Cisjordanie une forme de guerre patrimoniale.

Un cafetier à Sebastia nous expliquait que les Israéliens lui avaient fait détruire son restaurant (qui, je l'imagine, devait dénaturer le site archéologique). Or si les Israéliens gardent un oeil sur cet endroit, c'est bien en ce qu'il est une des traces archéologiques de la maison Omri, première trace incontestable d'un état centralisé d'Israël. On comprend l'importance que cela peut revêtir aux yeux de certains, et le gommage clairement volontaire du roi d'Israël dans la description palestinienne du lieu.

Un autre visage de cette guerre patrimoniale, plus violent, devait nous être révélé plus tard quand, décidant d'aller à Bethléem, nous eûmes l'idée d'aller voir l'Hérodion à quelques kilomètres de la ville. C'est une sorte de tumulus, un volcan artificiel qui renferme un palais forteresse de Hérode le Grand et selon, certaines thèses, la tombe de ce roi. Le lieu a, d'autre part, été investi à différences époques par les Juifs en rébellion contre les Romains.
Aujourd'hui ces vestiges sont en zone C, c'est-à-dire une zone où les autorités israéliennes gèrent la sécurité et une partie des infrastructures.

On se demandait comment se rendre là-bas, l'option de prendre un taxi privé et de lui demander de nous attendre tout le temps de notre visite ne nous plaisait pas beaucoup. C'est l'ange C. qui, bien que très discrètement hostile à cette virée touristique, nous donna la solution : si nous prenions tel taxi collectif, son trajet passe à quelques centaines de mètres du lieu. Bingo!

Une fois sur place, et après avoir passé le camp militaire au pied de l'Hérodion, nous devions constater qu'il est difficile de faire la différence entre gestion du lieu historique et appropriation patrimoniale... Quelques détails ici...

L'Hérodion vu du taxi "service"....

....et vu depuis la route, et les quelques vestiges
qui font face au camp militaire.

Une maquette de la structure d'origine, derrière on reconnaît
la tour représentée.

Sur place, des vestiges de salles et de thermes.
Tout un réseau de tunnels à l'intérieur
du tumulus, où l'on trouve aussi des citernes
de réserve d'eau.

La vue est bien entendu magnifique
depuis le sommet de l'Hérodion.

Beethléem : la basilique de la nativité, construite
sur la grotte où Jésus serait né... On y entre par
la porte de l'humilité, volontairement très petite
pour obliger le visiteur à se courber.





lundi 8 juillet 2019

Sebastia Nablus

J'ajoute quelques photos de la guest house Mosaïc car celle du précédent billet en donnait une image toute minérale, ce qui est loin d'être le cas. En quittant Sebastia on repasse par Naplouse et on tente de voir le puits de Jacob, église construite autour du puits où Jésus aurait révélé sa véritable nature à la Samaritaine (quand je vous disais qu'ici chaque événement à son lieu commémoratif).
Arrivés un peu tard, on se fait rabrouer avec beaucoup d'agressivité par le responsable du lieu, et on en rit beaucoup car depuis le début de mon séjour, chaque mise en contact avec des responsables orthodoxes a été l'occasion de démonstrations désagréables, agacements, cris envers les touristes etc. dans ces cadres plutôt propices à la prière!
On profite de l'arrivée encore plus tardive d'un groupe de pèlerins pour se glisser avec eux à l'intérieur et visiter planqués entre ces fervents touristes.



La guest house Mosaïc et le petit déjeuner local.

L'église orthodoxe du puits de Jacob.

Dans la crypte, le puits est bien réel et
 les fidèles peuvent boire son eau. Ici le groupe chante
mais n'aura pas le temps de faire plus, interrompu
et mis à la porte par le responsable.

La mosaïque illustrative devant l'église.