jeudi 29 décembre 2011

égyptiennes

Connaissez-vous Aliaa Elmahdy ? C'est la jeune fille égyptienne qui a défrayé la chronique il y a quelques mois en publiant sur son blog une photo d'elle nue. 
Instructives furent les réactions indignées des uns et des autres (et forcément des salafistes) que cette publication a suscitées alors que cette même toile du Web regorge d'images autrement plus "hot". 
Elles signalent une fois de plus que ce n'est pas la nudité qui choque, c'est la liberté, et plus que cela, la liberté d'une femme et la liberté affirmée.

Cette femme est de la génération des jeunes à l'origine de la révolution égyptienne, notamment de ceux du mouvement du 6 avril. Son ami, Karim Amer, blogueur lui aussi, a connu l'emprisonnement pour délit d'opinion : il avait osé critiquer le gouvernement et les autorités religieuses. Sur son blog actuellement, une compilation de photos et de vidéos qui montrent, si vous n'avez pas encore vu ces images pénibles, la répression militaire des dernières manifestations. Moi j'ai du mal à visionner tout cela.
La violence physique et psychologique qu'exercent l'armée et la police militaire s'apparente à celle d'une dictature, c'est chose bien rodée en Egypte. Voir à ce sujet l'article de Samuel Forey sur le site du Point. En quelques lignes il arrive a restituer la perversion de l'intimidation et la façon dont la perception du temps se modifie dès lors que l'on est plongé dans une zone de non droit.

Le sourire de Samira Ibrahim lors d'une interview
pour Al Jazeera.
"Mensonges" : c'est le titre de cette édition du journal Al Tahrir
commentant l'allocution de El Ganzouri alors que les images
de tabassage font le tour du monde. Tiré de Arabist.net

Autres femmes : celle que le monde entier connaît sous l'appellation du "blue bra". Tabassée alors que El Ganzouri affirme à la télévision que les militaires n'ont commis aucun actes violents (on se pince) ; et aussi Samira Ibrahim, celle qui a obtenu que les pseudo tests de virginité opérés par l'armée soient déclarés illégaux. Quelle victoire ! Humiliée lors de sa détention, mais déterminée : la honte est du côté des tortionnaires, pas de celui des victimes.
Enfin, toutes celles qui sont descendues dans la rue le 20 décembre, bravant la peur, l'insécurité orchestrée par le pouvoir. Compte rendu instructif sur le blog de Sylvie Nony (les manifestantes crient horeyya, ce qui signifie liberté, et me fait penser au tableau de Delacroix) et aussi vidéo en arabe ici, où l'on goûte (même si, comme moi, on ne comprend rien) la ferveur à prendre la parole et la diversité de la foule. 
Décidément, la révolution est bien là.

mercredi 21 décembre 2011

échappée

Ça fait du bien ce petit voyage à Tahiti, non ? 

En tout cas moi j'ai eu besoin d'évasion ces jours-ci. Dans la maison mega bordélique où subsiste encore des problèmes de plomberie ici et d'électricité là, il m'a fallu fuir ces mornes réalités. Pourtant, en passant devant toutes ces personnes qui vivent dans la rue, mes légers désarrois face à ces contrariétés ménagères me parurent bien relatifs.
Notamment ceux qui dorment sur la grille de métro, à quelques mètres de cet immense et fastueux pigeonnier que j'ai déjà mentionné ici, billet du 16 juillet, et qui, je l'assure, n'a jamais  – mais jamais! – vu l'ombre d'un pigeon nicher à l'intérieur depuis son implantation (mais combien ça a couté cette idiotie, cette maison vide, inaccessible, comme justement narguant les sdf du haut de son piédestal ?)


Difficile aussi de suivre l'actualité à mon rythme puisque mon accès Internet est toujours en rade : savoir que sous ses allures de procédure simplissime, la formule de déménagement de Free se résume en réalité à nouvelle inscription, ce qui prend une quinzaine de jours. Mais comme pour ce faire il est indispensable que la ligne du précédent locataire soit résilée, ce qui met aussi une quinzaine de jours, vous voici un mois sans téléphone ni connexion. Sympa... Je suis donc avec des jours de retard la situation égyptienne, et attends de glaner suffisamment d'informations pour me faire une idée juste sur le sujet.

Grâce à un ami qui me prête un ouvrage sur la relaxation psychanalytique (relaxation Michel Sapir), je me lance à farfouiller dans mes tas de livres (la bibliothèque n'est pour l'instant qu'une suite de colonnes, de stèles et de monticules serrés les uns contre les autres) à la recherche d'un bouquin sur Joyce McDougall. Contre toute attente je le trouve vite – il est signé de Ruth Menahem, mère de la belle et tant regrettée Nadine – et il côtoie sans raison logique Noa Noa que j'avais tout récemment acquis chez un soldeur.
Voilà pourquoi, au fil de mes échappées – qui comptèrent aussi le visionnage des films de Guy Gilles, dont je reparlerais sans doute – Gauguin a apporté ses couleurs à ce blog.
Et dans cette exploration, je me suis dit qu'il serait judicieux de mettre ma bibliothèque/dvdthèque en ligne, via un blog, sur le mode "je prête, je donne, je vends". Non qu'elle soit considérable, mais elle dort alors qu'elle pourrait éveiller.




lundi 19 décembre 2011

Paris Papeete

«[...]  Il arriva que j'eus besoin, pour mes projets de sculpture, d'un arbre de bois de rose; j'en voulais un plein et large. Je consultais Jotépha.
   "Il faut aller dans la montagne, me dit-il. Je connais, à un certain endroit, plusieurs beaux arbres. Si tu veux, je te conduirai, nous abattrons l'arbre qui te plaira et nous le rapporterons tous deux."
   Nous partîmes de bon matin. Les sentiers indiens sont à Tahiti assez difficiles pour un Européen. Entre deux montagnes qu'on ne saurait gravir, deux hautes murailles de basalte, se creuse une fissure où l'eau serpente à travers des rochers qu'elle détache, un jour que le ruisseau s'est fait torrent et qu'elle entrepose un peu plus loin pour les y reprendre un peu plus tard et finalement les pousser, les rouler jusqu'à la mer.

L'homme à la hache, 1891.

   [...] Nous allions tous les deux, nus avec le linge à la ceinture et la hache à la main, traversant maintes fois le ruisseau pour profiter d'un bout de sentier que mon compagnon semblait percevoir par l'odorat plutôt que par la vue, tant les herbes, les feuilles et les fleurs, en s'emparant de tout l'espace, y jetaient se splendide confusion.
   Le silence était complet, en dépit du bruit plaintif de l'eau dans les rochers, un bruit monotone, accompagnement de silence.
   Et, dans cette forêt merveilleuse, dans cette solitude, dans ce silence, nous étions deux – lui, un tout jeune homme, et moi un presque vieillard, l'âme défleurie de tant d'illusions, le corps lassé de tant d'efforts et cette longue et cette fatale hérédité des vices d'une société moralement et physiquement malade !
   Il marchait devant moi, dans la souplesse animale de ses formes gracieuses, androgynes : il me semblait voir en lui s'incarner, respirer toute cette splendeur végétale dont nous étions investis. Et d'elle en lui, par lui se dégageait, émanait un parfum de beauté qui enivrait mon âme, et où se mêlait comme une forte essence le sentiment de l'amitié produite entre nous par l'attraction mutuel du simple et du composé.
   Était-ce un homme qui marchait là devant moi ? Chez ces peuplades nues, comme chez les animaux, la différence entre les sexes est bien moins évidente que dans nos climats. Nous accentuons la faiblesse de la femme en lui épargnant les fatigues, c'est-à-dire les occasions de développement, et nous la modelons d'après un menteur idéal de gracilité.

Le cheval blanc, 1898, Musée d'orsay.

   À Tahiti, l'air de la forêt ou de la mer fortifie tous les poumons, élargit toutes les épaules, toutes les hanches, et les graviers de la plage ainsi que les rayons du soleil n'épargnent pas plus les femmes que les hommes. Elles font les même travaux que ceux-ci, ils ont l'indolence de celles-là : quelque chose de viril est en elles, et en eux quelque chose de féminin. Cette ressemblance des deux sexes facilite leur relation, que laisse parfaitement pure la nudité perpétuelle, en éliminant des mœurs toute idée d'inconnu, de privilèges mystérieux, de hasards ou de larcins heureux – toute cette livrée sadique, toutes ces couleurs honteuses et furtives de l'amour chez les civilisés.
   Pourquoi cette atténuation des différences entre les deux sexes, qui, chez les "sauvages", en faisant de l'homme et de la femme des amis autant que des amants, éarte d'eux la notion même du vice, l'évoquait-elle tout à coup chez un vieux civivlisé, avec le redoutable prestige du nouveau, de l'inconnu ?
   Et nous étions seulement tous deux.
   J'eus comme un sentiment de crime, le désir d'inconnu, le réveil du mal. Puis la lassitude du rôle du mâle qui doit toujours être fort, protecteur : de lourdes épaules à supporter. Être une minute l'être faible qui aime et obéit.
   Je m'approchais, sans peur des lois, le trouble aux tempes.
   Mais le sentier était fini ; pour traverser le ruisseau mon compagnon se détourna et dans ce mouvement me présenta sa poitrine.
   L'androgyne avait  disparu. C'était bien un jeune homme, et ses yeux innocents avaient la limpidité des eaux calmes.»

Extrait de Noa Noa, de Paul Gauguin, éditions Mille et une nuits. 

Je préfère généralement laisser les extraits sans commentaire. Mais juste une précision : Jotépha, le jeune homme cité dans le texte, est celui qui a servi de modèle pour l'homme à la hache, ainsi que pour le cheval blanc. Il apparaît en silhouette dans de nombreux tableaux de Gauguin. Celui-ci avait  43 ans lorsqu'il séjourna la première fois à Tahiti, en 1891. Arrivé en juin a Papeete, il quitte rapidement cette ville, qui lui semble pervertie par les Européens, pour habiter une case à quarante-cinq kilomètres de là. Jotépha est alors son voisin, un voisin curieux de l'activité artistique du peintre sculpteur.

lundi 12 décembre 2011

gare!

A midi je repasse à la maison pour une pause vélo-brico. Mes freins sont plutôt déficients, et en descendant sur les pistes cyclables de la rue Lafayette par temps de pluie, gare aux piétons!
Avec les fêtes et les hordes de consommateurs chargés de paquets, je vais en tuer un si je n'agis pas rapidement.


En montant à la maison chercher les outils nécessaires, je découvre la chambre et la mini salle de bains baignées de soleil, la lumière traversant l'appartement. J'ai hâte que tous les désagréments de l'installation soient derrière moi pour jouir pleinement de mon nouvel espace.
Après les ajustements sur ma bécane, je rejoins la rue d'Alsace pour profiter du spectacle des voies et de la gare de l'Est. Il fait beau sur Paris.

vendredi 9 décembre 2011

aujourd'hui

C'est donc la réponse au dernier commentaire posté : quand recommences-tu à "blogger" ? Aujourd'hui.

Les journées furent denses et pleines d'imprévus. Alain est venu à Paris pour les derniers jours d'empaquetage, et j'ai découvert qu'il abritait en lui la Marie Poppins que j'appelais de mes vœux. Son esprit positif rend tout plus léger. 
Quelques ombres au tableau : l'état des lieux du nouvel appartement révélait quelques altérations et son compte-rendu, reçu le lendemain, s'avérait fantaisiste.

Arrivée attendue du monte-meubles : l'ascenseur
de l'immeuble est si étroit qu'il faut s'y tenir
de profil et qu'un simple carton ne rentre pas.
Lundi, les déménageurs ont fait vite, à peine ralentis par le retard du monte-meubles. Ensuite la fin de la semaine s'est passée, outre la parenthèse de mercredi (conférence de psychothérapie), à planifier l'intervention du plombier, du monsieur gaz de France (un lapin posé, un!), du monsieur Darty, la contestation de l'état des lieux, le manque de téléphone et d'Internet (un jour ça remarchera sans doute)...
Ou encore, autre version : la fin de la semaine s'est passée à déballer des cartons dans un appartement sans lavabo (fuite), sans eau chaude ni chauffage (pas de gaz), avec des pauses au cyber café pour comprendre pourquoi ma ligne Free ne veut pas se déménager aussi simplement que sur le mode d'emploi, négocier des retards au boulot pour gérer les plages horaires des interventions techniques, rendre les clés de l'ancien logement à une agence qui a l'air d'avoir oublié que cet appartement exista, etc etc. 
Bref. Les habitués des déménagements connaissent tout cela par cœur.


Les derniers jours d'empaquetage à l'ancienne adresse ont été l'occasion de dire au revoir à quelques voisins croisés et au gardien d'immeuble, hyper serviable, qui va bien me manquer. Un moment d'émotion tout spécial lorsque ma voisine du dessous me révèle être tombée sur le blog : en février, dans un billet intitulé "septième ciel", je l'avais évoquée ainsi que son compagnon et leur amour des plantes, autour d'une anecdote portant sur un arbuste fleuri presque toute l'année, l'anisodontea el rayo. C'est en cherchant des infos sur la taille de ce végétal qu'elle a retrouvé le sien cité ici. Gentiment elle m'incite à poursuivre la tenue de ce blog. "Vous écrivez bien," dit-elle, et elle me rappelle son nom de famille pour que j'envoie aussi du courrier. Quelle gentillesse!

La vue côté rue.
Pour ma part je n'ai pas encore organisé le nouveau balcon, disposé les jardinières, les pots et les plantes. De là-haut, sur la droite,  on aperçoit les voies de la Gare de l'Est. 
J'ai toujours rêvé d'avoir vue sur une voie ferrée. Ici on est un peu loin tout de même, mais l'avantage est évidemment d'éviter le bruit du traffic. J'ai installé la chambre de l'autre côté, côté cour, et le soleil entre à flots. L'ancien appartement était exposé au Nord et cela fait longtemps que je n'avais pas pris de bain de soleil à la maison.


Mille merci pour tous les messages d'encouragements que j'ai reçu ces jours-ci, ici même, par sms, par mails etc. C'était bon!

lundi 28 novembre 2011

helm

Mon week-end a encore été absorbé par des cartons de déménagement.
C'est le moment cauchemardesque où rien n'avance, où démonter un meuble et décrocher un plafonnier prend des heures alors qu'on imaginait y passer cinq minutes. 
C'est le moment cauchemardesque où la révolte des objets semble à son moment historique, toutes ces choses sortant de partout – des tiroirs, des placards, des valises, des cartons à dessins, du haut de l'armoire, de derrière les fagots – pour se rassembler, réclamer de l'attention, refuser d'aller dans cette boîte, déborder de celle-ci, se répandant plus loin, s'agrippant ailleurs pour finalement s'éparpiller partout. 
Marie Poppins, à l'aide!
Je voudrais les foutre tous dehors, ouste!, mais j'ai un passé avec eux tous, ou presque.

Photo du blog The Delta Blog/ The Egypt Report

L'un d'entre eux est particulièrement d'actualité  : c'est une lampe singulière, réalisée au Caire ; une calligraphie de métal qui trace en volume dans l'espace le mot helm (trois lettres, à lire de droite à gauche), et qui accueille quelques ampoules sur le signe vertical de son centre. 
Dans cet appartement-ci, pour des raisons techniques que je vous épargne, je ne l'ai pas raccordée au secteur : elle a vécu son temps éteinte. J'espère que dans le prochain appart je pourrais lui redonner sa lumière.
En tout cas elle trône sur le mur au dessus de mon lit, place idéale car – mais j'ai omis de le dire – helm signifie rêve.

Toute cette semaine j'avais évidemment le coeur tourné vers l'Egypte. J'ai trouvé quelques billets dignes d'intérêt sur le blog The Delta Blog, dont la photo ci-dessus est tirée : un des auteurs, Eric Knecht, nous fait partager la une de la presse locale, avec traduction des différents titres. Une opportunité de porter son regard sur le regard porté... Toujours instructif. D'autant que le blog chronique les événements à Mansoura : il n'y a pas que le Caire, ni que Tahrir, en Egypte.
Je l'ai découvert grâce à cet autre blog, The arabist, où il y a toujours des choses à lire.

mercredi 23 novembre 2011

regards

Comment imaginer que cette place que j'ai tant traversé, dont le souvenir est pour moi lié à la nuit égyptienne, douce, dorée de poussière lumineuse, comment imaginer que cette place Tahrir allait devenir ce centre, cet œil par lequel on regarde une incroyable révolution, espoirs et drames confondus ?

La place Tahrir, dimanche soir. Photo de Mohammed Hossam
prise sur le site du Parisien.


Fin août à Paris des amis cairottes me racontaient comment A., jeune égyptien de la rue qui considérait la révolution de loin comme réservée aux étudiants, aux jeunes de la classe moyenne ou aux fils de famille, avait subitement changé son regard : le spectacle, à Alexandrie, des militaires reculant devant les manifestants fut son épiphanie. L'impossible (l'armée reculant) devenu réalité, tout s'avérait possible, même une révolution, même une autre façon d'être sujet, acteur, de ces événements.
C'est dans cette même ville que plus tard, fièrement, les pêcheurs sur le port exhibaient leur index taché d'encre qui marquait leur participation aux élections.


L'implication des militaires dans les faits divers sanglants de la manifestation de Shubra à Maspero n'est plus à prouver (il faut voir les vidéos disponibles sur le Net à ce sujet, c'est édifiant) ; depuis cinq jours les égyptiens mobilisés place Tahrir comptent des morts dans leurs rangs. Jusqu'où l'armée ira-t-elle pour conserver les restes du pouvoir ?

lundi 21 novembre 2011

terre natale

Le temps me manque, signant ici à la fois la banalité du quotidien et l'inexorable éloignement du jour de ma naissance, chaque minute une de plus qui me rapproche de la terre. 

Hier soir, j'ai commencé à décrocher les tableaux chez moi car j'avais voulu garder à l'appartement, pour ce week end encore, son allure de lieu habité malgré les piles de cartons qui réduisent l'espace vital du salon à un confetti. J'ai donc attendu le départ d'Alain pour dénuder les murs. Et toutes ces images et photos encadrées, posées au sol, me sont apparues comme une forme de portrait de moi.

Le temps me manque car au lieu de faire tout cela j'aimerais écrire sur Van Gogh (a-t-il été assassiné ?), Fra Angelico (l'exposition au musée Jacquemart-André), Stendhal (Armance), Maurizio Cattelan (sa retro au musée Guggenheim), Farid et Lætitia (souvenez-vous, les jeunes SDF de ma rue, ils ont maintenant un enfant, un petit garçon) et plein d'autres choses, des petites et des grandes.


Par exemple, à nouveau, quelques anecdotes ouïghoures ? 
Vendredi soir Alain, qui me voit arriver à sa rencontre sur le chemin de la gare du Nord me dit : "c'est marrant comme tu es habillé, ça te fait de toutes petites jambes et un torse large, on dirait Bob l'éponge." Comme Alain me fait irrésistiblement penser à la Panthère rose, voilà le drôle de couple qui se dirige au 77 rue du Faubourg-saint-Martin, 75010 : j'ai en effet eu l'idée de lui faire découvrir le petit restau ouïghour en face de la mairie.
Là-bas l'ambiance est fort différente de ma première visite car une bande de neuf jeunes gens, de toute évidence ouïghours, sont attablés. En réalité plus souvent debout, ou dehors, quelques uns dînant et tous pianotant sur leur téléphone mobile, appelant, sortant, entrant, ouvrant et fermant les voitures stationnées le long du trottoir. Des jeunes filles et des jeunes hommes aux cheveux noir d'encre ; les garçons avec fantaisies capillaires, les filles envuittonées.
La carte étant réduite au minimum, je regoûte aux même plats que la dernière fois. La soupe aux raviolis ainsi que le riz chaud aux raisins (qui paraît cette fois cuisiné de façon plus grasse) accompagné de viande de mouton froide. D'office, ici, on vous apporte du thé bouillant.





Le tenancier, Ahatjan, est content de me reconnaître. Je lui dis que j'ai vu "son" film. Les jeunes gens quittent le restaurant et je note que lorsque les garçons serrent la main du patron, chacun se penche pour que les fronts se touchent pendant la poignée de mains. 
Alain, qui possède depuis quelques jours le tout dernier iPhone fait des photos de l'endroit, puis du patron qui pose sagement devant l'affiche du film Ata. La communication est un peu ardue avec lui, mais c'est aussi le charme du personnage. Je le questionne un peu : les jeunes sont-ils de sa famille ? "Non, étudiants", dit-il, me donnant un chiffre d'étudiants à Paris que je n'arrive pas à comprendre. La signification de ce salut avec la tête ? "Ami, même chose", explique-t-il. 

Malgré les difficultés de langage, Ahatjan aime à parler de son pays : je lui avoue que je n'en savais presque rien il y a peu, que j'ai lu deux trois choses sur le Turkestan uniquement grâce à lui. 
 "My country, 1949, comme Tibet", ajoute-t-il en un saisissant raccourci (qui dit beaucoup de l'avidité de la Chine mais rien de celle, passée, de l'ex-Union Soviétique à l'égard de ce territoire).


"À quoi tu penses ?" questionne Alain alors que mon regard trahi une réflexion songeuse. "Je pense que ces gens ont du cran car moi, je m'imagine mal monter un restau au fin fond de la Chine du Nord Ouest".

mardi 15 novembre 2011

touchables

Vendredi, samedi, dimanche, lundi... : j'ai passé une bonne partie de ces journées à mettre ma maison et ma vie en carton en vue du déménagement. Je ne suis pas d'une grande efficacité, en tout cas le rendement n'est pas très spectaculaire.
Je me suis délesté de sacs et de sacs de fringues en tout genre. 
J'ai plus de mal à mettre la bibliothèque au régime (les rayonnages, cartons après cartons, ne semblent pas vouloir s'alléger), elle porte la marque de ce foutu éclectisme que j'évoquais dans un billet précédent. Et c'est difficile de mettre tous ces bouquins en caisse sans les feuilleter au passage. J'avais décidé de faire quelques photos d'objets que je trimballe avec moi depuis des lustres et des lustres pour les publier ici, et puis je n'en ai pas eu le temps.

Ahatjan Ali, restaurateur et acteur du film Ata.

Samedi soir deux amis (pourtant respectables) me convient à aller voir au cinéma Intouchables, proposition que je décline vivement et que je troque contre un rendez-vous à dîner, après leur séance, dans un restaurant ouïghour. Oui quoi ? Ouïghour. Fichtre.

Les Ouïghours sont une minorité chinoise, peuplant la région de Xinjiang, aussi appelée Turkestan oriental, dans cette partie du monde où le nom des pays se termine de cette façon : Kazakhstan, Tadjikistan, Kirghizstan... Ce territoire chinois regorge de matières premières énergétiques (de tout : pétrole, gaz, charbon, uranium) et sert de terrain d'essais nucléaires (et certains chuchotent, bactériologiques aussi) avec les précautions écologiques et humaines que nous connaissons à ce pays. D'autre part, pour des raisons que j'ignore mais qui n'ont pas de secrets pour les spécialistes, le territoire a une importance stratégique énorme.
On imagine aisément avec quelle chaleur sont accueillis par les autorités chinoises les souhaits d'indépendance des Ouïghours, et ceux-ci étant aujourd'hui majoritairement musulmans, on sait aussi quel épouvantail est agité pour permettre les rafles et les exactions contre cette population.

Loin de la Chine donc, mais pile face à la mairie du Xe, nous voici attablés dans ce restau sympathique à la cuisine inconnue. Soupe de raviolis, riz à la viande, nouilles fraîches aux légumes... : c'est bon. Le tout servi par un petit homme moustachu, qui maîtrise mal le français. Les Ouïghours ont la particularité d'être turcophones tout en maniant une écriture en caractères arabes. Sur le mur s'expose une affiche, gros plan de visage qui paraît être celui de notre hôte : oui, c'est lui nous apprend-il, c'est une affiche de film dans lequel il a joué en 2008. Re fichtre.

Plus tard, je glisse la tête dans la toile du Net pour en savoir plus. Je trouve quelques interviews des réalisateurs, Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti. J'apprends que ce film est un court métrage, comme tous les autres films réalisés auparavant par ce duo (qui serait en tournage d'un long au Pakistan). Aussi que Ata, le film qui met à l'affiche notre restaurateur accueillant, a été primé une quinzaine de fois (voir sur le site des réalisateurs). Je farfouille encore et je trouve, en ligne, un documentaire des mêmes réalisateurs sur des jardins urbains berlinois, d'une vingtaine de minutes, primé lui aussi (le lien est là) ainsi que, oh merveille du Net, Ata dans son intégralité (cliquer là).

Deux films qui valent bien une grosse cavalerie en salle actuellement.

jeudi 10 novembre 2011

Sam suffit

Aujourd'hui circule un peu partout sur le Web la photo la plus chère du monde.
Elle vient d'être vendue chez Christie's. Bien sûr on ne se rend pas très bien compte du travail du photographe, Andreas Gursky, sur cet écran, travail dont l'impact repose en partie sur l'utilisation de grands formats.

Andreas Gursky, Rhein II, 1999
Sam Wagstaff, autoportrait.

La fameuse photo donc, intitulée "Rhein II", fait 81 x 151 inches, soit 205,7 x 383,5 centimètres. C'est un numéro un sur un tirage de six et elle coûte un peu plus de 4,3 millions de dollars (ça valait le coup d'appuyer sur le déclencheur de l'appareil).

Cette nouvelle arrive alors qu'hier je lisais un article très très mauvais sur une prochaine exposition Mapplethorpe à la galerie Thaddaeus Ropac*, dont le commissaire pour l'occasion est Sofia Coppola. Pas grand chose à dire je crois de cette prochaine présentation. Ce n'est pas la première fois qu'un "curator" people est nommé pour sélectionner un ensemble d'œuvres de Mapplethorpe : David Hockney en Angleterre,  Cindy Sherman aux États-Unis, Hedi Slimane et Bob Wilson en France se sont déjà prêtés au jeu.

Cet article m'a cependant amené à creuser un peu la biographie du photographe et m'a permis de découvrir Sam Wagstaff, sa personnalité et l'importance qu'il a eu dans la vie de Robert Mapplethorpe. Je n'avais jusqu'à présent toujours eu d'yeux que pour les amant(e)s spectaculaires de Mapplethorpe (dont Patti Smith, Milton Moore – Mr Polyester pour ceux à qui la référence dit quelque chose... – et Jack Walls, par exemple) et le très blanc Sam ne m'avait pas tapé dans l'œil. C'est pourtant, vraisemblablement, l'une des clefs du succès de Mapplethorpe.
Sam, une sorte de beau gosse quinqua au physique vaguement "playboyisant" fut donc l'amant puis l'ami de Robert pendant un certain nombre d'années. Il fut surtout un collectionneur de photos, dans ce début des années soixante-dix où la photo était peu considérée et peu cotée : on pourrait même dire qu'il est l'un des cinq ou six collectionneurs à avoir favorisé la reconnaissance artistique de la photographie. On comprend mieux la complicité d'intelligence et de passion qui unissaient les deux hommes que vingt cinq ans séparaient.
Un documentaire existe (Black White + Grey, de James Crump), que je n'ai pas vu mais qui semble tout à fait intéressant, qui retrace la vie de cet homme atypique, passionné par ailleurs d'art minimaliste (lien ici).

Sam Wagstaff asleep, Polaroid, 1973, Robert Mapplethorpe.

Pour l'anecdote, quand Sam Wagstaff vendit sa collection au Getty Museum, trois ans avant sa mort, en 1984, il en retira 5 millions de dollars, somme importante à l'époque mais qui, au regard des 4,3 millions de Rhein II, fait un drôle d'effet : sa collection était riche de près de 30000 images...
Le plus haut record pour la vente d'un Mapplethorpe semble être actuellement légèrement sous la barre des 650 000 dollars.

*Robert Mapplethorpe curated by Sofia Coppola.
Du 25 novembre au 7 janvier 2012. 
7, rue Debelleyme, 75003.

lundi 7 novembre 2011

Lulu revue

Un autre genre d'esthétisme, pas de copeaux, bien qu'une hache s'y fasse entendre : le Lulu donné par le Berliner Ensemble au Théâtre de la ville. C'est d'après Wedekind, mis en scène par Robert Wilson et mis en musique par Lou Reed avec, dans le rôle titre, la très grande Angela Winkler.



L'histoire de Lulu cette fois nous est présentée par le prisme de sa mort, exposée à l'avant-scène, en prologue, en pré-texte. Ensuite la narration s'effectue depuis ce point de fuite : Lulu's death A, Lulu's death B, Lulu's death C...
On est dans une logique de frontalité – c'est cru, c'est là, c'est extrêmement formel, cruel – et dans une fatalité contraire de perspective – tout est lié, sur une même ligne, c'est une mécanique dont le point de départ est là-bas et vers lequel on tend –, fausses contradictions auxquelles le décor rend grâce.



Frontalité et perspective :
ces deux photos sont de Lesley Leslie-Spinks
(la rouge vilainement rephotographiée depuis le programme).

Ici on ne craint pas le malheur qu'apporterait la couleur verte sur une scène : ce sera au contraire la teinte des gants de Lulu dans les premiers tableaux, comme une inversion du costume d'Yvonne Guilbert par Toulouse Lautrec. Ainsi que celle des végétaux phalliques, asperges ou cyprès, qui tressent ici encore la sève et la mort dans leur intimité. Oui, cette vie est un malheur interminable qui ne voit pas de répit.


Le Berliner Ensemble est plus qu'à son aise avec les chansons de Lou Reed : c'est un cadeau pour ces gens-là qui savent tout faire, chanter, danser, jouer, bouger et rester immobiles! Angela Winkler qui, selon Bob Wilson, "est particulièrement douée pour produire le son le plus doux, ce qui est la chose la plus difficile à faire au théâtre" (démonstration qu'elle réalise effectivement), fait presque aussitôt oublier qu'elle n'a pas l'âge du rôle (elle est née en 44).
On pourrait s'agacer du formalisme wilsonien, mais on est vite emporté, conquis par la vitalité des artistes et obligé de reconnaître que rigueur n'est pas sécheresse, au contraire : dans ses plans millimétrés, Wilson fait passer tant d'expression que l'on y trouvera du Pabst et du Kurosawa, du théâtre d'ombre et du cabaret berlinois, du Paul Strand et du Munch selon sa sensibilité, und so weiter.
Ces trois heures de spectacle paraissent trois quarts d'heure.

mercredi 2 novembre 2011

statuaire

C'est une belle exposition que celle des sculptures de Baselitz au musée d'Art moderne de Paris : complète  – des pièces de 1979 à nos jours, simplement présentées. 
Il y a deux ou trois choses intéressantes à signaler, qui peuvent inciter à aller voir sur place, de ses propres yeux. D'abord, tout bêtement, comme le suggérait le jeu de mot du titre du post d'hier (art will not be televised), la sculpture de Baselitz mérite le direct : photos, vidéos..., non, rien de tout cela ne rend compte de la présence physique de ces corps de bois.
Photo Jacques Demarthon/AFP/Getty
Les femmes de Dresde.
Ensuite, le parcours rétrospectif de l'exposition permet d'appréhender le cheminement de l'artiste et conserve l'intégrité de différents ensembles – les femmes de Dresde, les fragments, les figures populaires etc. 
Ce qui a l'intérêt de mettre en évidence la richesse du travail de Baselitz, le nombre stupéfiant de propositions sculpturales, formelles, qui s'affichent là avec l'air de n'y être pas, comme dans l'envers de la sculpture. Les spectateurs qui, comme moi, connaissaient peu Baselitz sculpteur, iront de surprise en surprise. Joyeusement.

Troisième chose : le retour de la statue. Je ne sais comment le dire autrement. Lorsque je visitais cette exposition, c'est le mot statue, plutôt que sculpture, qui me venait en tête, de façon insistance, découvrant l'ensemble des femmes de Dresde, les têtes et torses rouges (ci-dessous), les choses à carreaux (Ding kariert) etc, jusqu'aux autoportraits monumentaux (on voit, ci-dessus, la taille de ces derniers). C'est une célébration de la sculpture par elle-même.

Sonderling (Excentrique)




vendredi 28 octobre 2011

R Will Not Be Televised

J'avais très envie de vous parler de Van Gogh et de Georg Baselitz, de mon avancée dans mes projets immobiliers, de ma non-Fiac de cette année, d'un génie de l'informatique qui est décédé il y a peu, qui ne s'appelle pas Steve Jobs mais Dennis Ritchie et dont j'ignorais tout avant de découvrir sa vie et sa mort par l'intermédiaire du blog de ce bon maître eolas (et de ses commentateurs)...
Et puis il y avait les élections tunisiennes qui avançaient, puis soudain les photos de Kadhafi qui surgissent partout sur le Net, d'abord celle où il apparaît tout ensanglanté comme un pantin désarticulé ; et puis celle où il est exposé, nettoyé, sur un pitoyable matelas taché avec une couverture du bled à motif de grosses fleurs blanches, comme attendant une vieille mère pleureuse qui viendrait lui passer une dernière fois la main dans les cheveux, sur le visage, alors que ne défilent que des hommes rieurs, bruyants, qui braquent leur téléphone portable vers son visage cireux. 
Bref, de drôles d'images de révolution qui m'amènent à mettre ici en ligne un titre fameux d'un autre disparu de l'année (eh oui, qu'y puis-je ?), Gil Scott-Heron : The Revolution Will Not Be Televised.





On trouve sur Internet plein de versions de cette chanson : en haut une version qui balance, ci-dessus, une version sans musique enregistrée en public en 1982.

En haut, dans le texte, j'ai collé un lien vers un article de The Economist paru sur Dennis Ritchie de son vivant. Et un autre vers un blog tunisien, vu sur le site de S. Nony, que j'ai mis aussi à droite dans la liste de favoris, car c'est toujours intéressant d'entendre une parole directe sur les événements d'actualité qui ne nous parviennent que par le prisme des medias.

vendredi 21 octobre 2011

I became real


J'ai regardé un DVD que l'on m'avait prêté il y a un moment déjà, et que j'avais délaissé faute de temps. Je l'ai visionné en plusieurs fois, tranquillement, car il est en vo (anglais des États-Unis) et mes faiblesses avec les langues étrangères m'obligent dans ce cas à la lenteur, ce qui est plutôt agréable. Il s'agit d'un documentaire réalisé dans les années soixante-dix, 1977 exactement, qui donnait la parole à plus d'une vingtaine d'homosexuels, hommes et femmes, de tout style, âge, origine ethnique.


Ce qui m'a poussé à regarder ce film c'est ce que j'écrivais ici l'autre jour. Évoquant le tragique
17 octobre 1961, j'indiquais : c'est mon époque. 
Quelques mois après ma naissance, on peut juger cela exagéré. Mon époque, ne serait-il pas uniquement ce dont j'aurais eu conscience de façon contemporaine ? Mais je ne peux m'empêcher de penser que ma position est la bonne : j'ai la conviction d'avoir été façonné, nourri, par tout mon environnement, quand bien même je n'avais pas d'yeux pour le voir, pas l'usage de la marche pour le parcourir, pas les données pour le comprendre.
Tout ce qui concerne les années soixante-dix prend, à cet égard, une saveur particulière (par rapport aux sixties), puisque j'ai, dans ces années-là, quitté la petite enfance et que je traverse l'adolescence. 
J'ai alors du monde qui m'entoure une vision fragmentée, une perception faussée par mon ignorance, mon milieu, mon manque d'expérience. Pourtant j'affronte cette réalité, je la confronte avec mes désirs, mes peurs, mes interrogations.

J'aime toujours, aujourd'hui, rencontrer à nouveau ces années soixante-dix. J'ai parfois l'illusion de découvrir de nouveaux pans d'un décor devant lequel je serais passé sans tout voir : à d'autres moments en revanche je reconnais profondément, intimement, que tout cela parle de moi quand bien même je ne savais rien du monde (et que ce monde était sans doute en moi autant que moi en lui).
Le Mariposa Group qui a réalisé le film.
L'édition de ce DVD est une édition anniversaire, réalisée à l'occasion des trente ans du documentaire (si je continue je vais oublier d'en donner le titre, c'est Word is Out). Le film est donc enrichi de bonus, notamment des interviews, trois décennies plus tard, des personnes qui s'étaient déjà prêtées au jeu des questions réponses face caméra. Certains intervenants, déjà âgés lors du tournage, sont décédés ; d'autres, pourtant jeunes à la même époque, sont morts aussi : l'épidémie du sida est passée par là.
Le film tente de sortir l'homosexualité d'une série de stéréotypes en misant sur la diversité des personnes filmées, et pointe la violence de la société à leur encontre. Qui, "découvert" par son beau-père se retrouve en cure d'électro chocs à l'hôpital, qui, "démasquée" par son père se retrouve dans les mains de médecins pour qui la cure de laitues est souveraine contre le lesbianisme...
Mais surtout il souligne comment l'acceptation personnelle et la reconnaissance de l'homosexualité par la société permettent à chacun de se sentir "entier". Grâce à la complicité de l'équipe de cinéastes avec les interviewés, le film évite la pesanteur des films militants, et c'est plutôt en parlant d'amour que chacun parle des droits civiques. Du coup le propos dépasse la question de la sexualité et s'élargit sur l'affirmation de soi et le droit d'exister avec ses différences. On se prend à les aimer tous, moi je voudrais tous les avoir rencontrés en chair et en os.

Betty Powell : "the reality was you love another woman
and the world calls that 'lesbian' and
the world doesn't like lesbians"

Un des participants, Michael Mintz (allongé), avec son ami.
À cela s'ajoute le style de l'époque, – maquillage, fringues, canapés à ramages..., et musique. Il y a quelques extraits musicaux d'un groupe de San Francisco nommé Buena Vista qui sont savoureux, tee-shirt emmanchure chauve souris à décolleté sur torse poilu et tortillements du bassin... J'ai trouvé une série de photo à son sujet, c'est là. Il y a aussi des vidéos disponibles sur Internet, qui sont moins amusantes que celle du DVD car on y voit moins le dénommé Michael Gomes qui donne de sa voix suraiguë.
Cerise sur ce gros gâteau, il existe un site concernant ce DVD, où certains internautes (onglet share your stories) témoignent de ce que leur a apporté le film, soit quand ils l'ont vu à sa sortie, soit à l'occasion de cette édition. L'un d'eux écrit : "when I saw the film, I became real. I became a real person. I knew what I was was real."

lundi 17 octobre 2011

un abri

Il y a un peu moins d'un an que j'étais parti en Thailande visiter ces sites maintenant à demi sous l'eau.
À cette même époque, Farid et Lætitia (le jeune couple sdf) vivaient encore dans la rue, à la recherche d'un abri. Ils avaient la promesse d'un hébergement avant l'hiver et, à mon retour de vacances, ils avaient disparus. À ma connaissance, ils ne sont jamais repassé dans le quartier. Je repense souvent à eux devant le supermarché où ils faisaient la manche. Trouver un toit, se mettre au sec ; les réalités sont multiples.






Alternance de photos de vacances fin 2010
et de photos d'actualité.

Ces premiers jours de froid sont aussi l'occasion d'une célébration, celle du 17 octobre 1961. Cinquante ans. J'avais quelques mois à cette époque, et c'est pourtant mon époque ces années soixante en noir et blanc. Pour s'en souvenir, il y a toujours le documentaire Maurice Papon, itinéraire d'un homme d'ordre, réalisé par Emmanuel Hamon et co-écrit par  Marc Olivier Baruch, déjà cité ici.


Photo Mehdi Fedouach/APF.

dimanche 16 octobre 2011

zoom

Deuxième tour des primaires socialistes.
"C'est ainsi que la même chose, chacun la juge d'après sa position : c'est dans des termes aussi opposés que parlent de l'état actuel de la société des personnes également respectables qui veulent suivre des routes différentes pour nous conduire au bonheur. Mais chacun prête des ridicules au parti contraire."
Stendhal, avant propos de Armance (coll. Folio, Gallimard, 1975).



J'écris peu, c'est notable, assez absorbé par la recherche d'un appartement, tâche ingrate qui brûle beaucoup d'énergie. Depuis que j'ai vraiment commencé cette recherche, il y a en réalité un mois seulement, j'ai visité neuf logements, en comptant celui que j'ai vu hier en fin d'après midi. Ce n'est pas si mal, vraiment, tout cela avec dernièrement une semaine de travail assez dingue puisque nous devions (problème d'imprimerie) réaliser en trois jours ce que nous bouclons d'habitude en cinq : grosses journées.
L'encombrement de mon emploi du temps avec cette activité immobilière sans grand intérêt laisse peu de place à des choses susceptibles d'être partagées ici, sans me priver toutefois d'un lot de petits bonheurs difficiles aussi à relater sur ce blog.
L'autre jour par exemple – comment restituer cette impression fugace ? – : je suis attablé dans un restaurant pizzeria dont les baies vitrées donnent, sur le boulevard, sur un kiosque à journaux. C'est un endroit où je vais, sinon fréquemment, du moins régulièrement. J'ai noté que tout le personnel qui sert en salle est blanc alors que tout le personnel qui travaille en cuisine est noir, et c'est d'autant plus frappant que la cuisine est volontairement à vue des clients.
Les uns et les autres sortent fumer des cigarettes à l'extérieur, ils ont installé un siège sous un porche qui jouxte l'établissement de l'autre côté de la salle où je me trouve maintenant. Soudain je remarque qu'avec le kiosquier, le personnel du resto et d'autres personnes du quartier (des magasins alentours ?) s'est créé une vraie convivialité. Certains viennent fumer leur cigarette de ce côté-ci, discutant, blaguant chahutant même avec ce kiosquier et l'espace d'un instant j'ai l'impression d'être dans un livre de Paul Auster (que pourtant je ne goûte guère) ou dans l'un de ses films, Smoke. En sortant je remarque qu'il y a aussi un sdf qui est allongé le long de la devanture, avec une bouteille, et qui participe activement aux conversations et à cette petite vie qui tiendrait dans l'objectif d'une caméra.





mercredi 12 octobre 2011

bien ou mal vu

Certaines personnes m'ont demandé pourquoi, dans le billet "Chambre noire" daté du 30 septembre, j'avais précisé que je n'avais pas vu l'exposition de Denis Dailleux. C'est une petite coquetterie pour me démarquer des pratiques pénibles que l'on voit aujourd'hui ici et là, c'est-à-dire un peu partout.
Il est sans doute difficile de croire, à ceux qui sont extérieurs à la presse, que bon nombre de journalistes écrivent des articles sur des expositions qu'ils n'ont pas vues. 

((   Certains écrivent aussi sur des livres qu'ils n'ont pas lus ; certains, comme l'a montré récemment la fameuse affaire Macé-Scaron, n'écrivent même pas les articles qu'ils écrivent sur les livres qu'ils n'ont pas lus (et ne prennent pas non plus la peine d'écrire leurs propres livres, ce qui, avouons-le, est plutôt un signe de clairvoyance puisqu'ils reconnaissent ainsi que d'autres le font mieux qu'eux, ou aussi mal). Fermons cette satanée parenthèse.  ))

Il y a une "bonne" raison à cette bizarrerie, ce sont les délais de fabrication. S'il s'agit de commenter une exposition dans un hebdomadaire ou un mensuel, on ne peut quasiment jamais avoir vu l'exposition au moment où il faut livrer l'article, ou même l'avant-première généralement réservée à la presse quelques jours avant. Avec le temps nécessaire à fabriquer un magazine, si on attend l'ouverture de l'exposition pour écrire son article, il paraîtra au mieux une semaine après le vernissage : pas terrible.
Dieu merci il est des journalistes consciencieux qui s'appuient sur leur connaissance antérieure de l'artiste pour décrypter, avec des informations complémentaires, la nouvelle exposition proposée. Certains prendront l'option d'une interview ou d'un portrait, façon de donner de la matière sans pour autant commenter une expo non vue. Bref, il y a mille façons de faire son travail de façon honnête même dans ces circonstances.
Cependant nombre de journalistes recopient bêtement le dossier de presse, sans se poser de questions.

Photo de Paul Strand (Aveugle,1916, Metropolitain
Museum of Art, New York)
saisie sur le blog blindflaneur.com


La presse journalière échappe un peu, ou devrait échapper, à ce genre de pratique. En effet avec des délais de fabrication réduits à une journée, le journaliste peut être réactif et rendre compte de l'actualité culturelle presque instantanément (atout précieux notamment pour le théâtre et le spectacle vivant en général). Que dire des blogs alors ! Encore plus véloces !
Et pourtant. L'habitude est prise de commenter tout et rien depuis son siège, recopiant une ligne ici piochant une expression là. Combien de fois ai-je lu des compte-rendus d'expos signés de journalistes que je savais n'avoir rien vu, puis découvert que leur article paraphrasait naisement (et sans complexe !) le dossier de presse...
Enfin, rien qui ne ressemble ni à du journalisme, ni à de l'intelligence.


Bientôt je l'espère, ici, des nouvelles de l'expo Georg Baselitz sculpteur au musée d'Art Moderne de Paris...

jeudi 6 octobre 2011

réponse

Ivan Tourguéniev voit le jour le 28 octobre 1818, à Orel, en Russie, dans une famille aisée, aristocratique. Études secondaires puis études de lettres à Moscou. À la mort de son père, en 34 – il a donc 16 ans –, il est inscrit à l'université de Saint-Pétersbourg. Le jeune homme voyage – il maîtrise plusieurs langues grâce à l'enseignement des précepteurs de son enfance – mais c'est à Saint-Pétersbourg encore qu'il va rencontrer la cantatrice Pauline Viardot. Il s'en éprend, il a 25 ans, elle en a 22, connaît déjà la célébrité. C'est la sœur de la Malibran ; la musique est une affaire de famille et les enfants que Pauline aura avec son mari, Louis, directeur du théâtre des Italiens, suivront aussi cette voie. 

Deux ans plus tard, nous sommes en 1845, Ivan rejoint Pauline à Paris. Puis encore deux ans plus tard (1847-49) puis encore (1856). C'est l'amour d'une vie dirait-on, situation d'autant plus complexe qu'Ivan est un sincère ami de Louis, le mari de Pauline, lui aussi cultivé, lettré et polyglotte. Jules et Jim ? La situation est encore plus atypique : Pélagie, une enfant que Tourguéniev a eue avec une domestique en Russie, sera en partie élevée par le couple Viardot, et renommée Paulinette...
Pauline avoue à Ivan une autre liaison. Il s'enferme dans la tristesse, détruit ses manuscrits.

C'est aussi un homme de conviction. Tôt, il s'est ému de l'inégalité sociale et du sort des serfs. Il lui est arrivé de racheter une servante pour la libérer. En 59 il met en place un fond fonds littéraire pour aider les écrivains démunis, en 60, il partage ses terres avec les paysans. On le voit encore en France, en Russie, en Italie, à Londres. Puis il s'installe rue de Rivoli, à Paris.
Finalement il va rejoindre le couple Viardot à Baden-Baden.

C'est en 1864 qu'Ivan Tourgueniev publie Apparitions dans la revue l'Époque. C'est son premier texte fantastique. Il a déjà écrit quantité d'ouvrages, les Mémoires d'un chasseur, traduit en français en 1858, Le journal d'un homme de trop, Nid de gentilhomme, Premier Amour, Pères et Fils...
Apparitions est le récit d'escapades nocturnes que le héros fait avec une "blanche figure de femme", "transparente comme un brouillard" qui surgit une nuit à son chevet. Elle l'attire, il frissonne, une attraction-répulsion forte s'installe de suite entre l'homme et celle qu'il qualifie de fantôme.
"Donne-toi à moi" exige-t-elle. "Je ne te ferai pas de mal. Dis seulement ces deux mots : Prends-moi."
Voilà comment le désir de cette muse "sans corps" s'exprime. Le narrateur accepte et à peine elle l'enserre, le couple s'élève dans les airs. L'apparition, qui répond au nom d'Ellis, va emporter le narrateur où il le souhaite, à sa guise. 
C'est au cours d'un de ces extravagants voyages qu'ils survolent Paris, occasion de la description dont j'ai publié un extrait précédemment, le 29 juillet.


En 1872, Ivan Tourguéniev s'installe à Paris rue de Douai, avec les Viardot. C'est aussi à leurs côtés, dans leur propriété commune de Bougival, qu'il meurt en 1883.

La datcha de Bougival : sur le domaine des Fresnes,
acquis en 1874, se dresse une maison de style italien,
demeure des Viardot, et la datcha que fit construire Tourguéniev,
aujourd'hui transformée en musée.

mardi 4 octobre 2011

promesses


J'avais promis dans un billet précédent des cartes postales grecques : les voici. En plus d'un faible pour les photos ratées, j'aime les cartes postales moches. La beauté moche a une force que ne possède pas la beauté belle, n'est-ce pas ?
Depuis des années c'est un rituel : dès que je pars en vacances je cherche une carte postale cocasse ou ringarde à envoyer mes collègues restés au journal. D'Athènes, j'ai posté celle où on voit une femme en toge brandir un simulacre de flamme olympique... sauf que le cadrage coupe cette flamme précisément. C'est drôle. À droite, sur l'original on voit clairement qu'un morceau de colonne a été ajouté en surimpression pour masquer quelqu'un ou quelque chose qui devait faire tâche sur l'image...
La carte de gauche a sa bizarrerie aussi : le photographe a choisi un angle de prise de vue tel que l'on ne sait pas si la main pointe vers le bas un index tendu ou si c'est le sexe du cavalier que l'on aperçoit.
J'ai réservé la plus étonnante à mon ami Christophe : c'est une photo de grotte (je ne sais où), et les couleurs souffrées – jaune, vert, ocre –, légèrement outrées, semblent sortir de la palette de Jean Lurçat.


Qu'avais-je promis d'autre ? La réponse à une devinette publiée le 29 juillet. Elle arrive... Quelques jours de rhume ont un peu ralenti ma fougue blogueuse...

vendredi 30 septembre 2011

chambre noire

Aujourd'hui je vous propose un voyage en Afrique.
Au Ghana d'abord, avec Denis Dailleux, photographe qui expose en ce moment à la galerie Camera Obscura, dans le 14e. 

La voile, James Town, Accra, Ghana, 2009. Denis Dailleux.

J'ai connu son travail par ses photos sur l'Egypte : des scènes posées, plutôt centrées autour de portraits de gens de la rue, aux couleurs orientalistes (je simplifie). Depuis quelques années il travaille sur un espace ouvert, la mer, et d'autres petits métiers, ceux de la pêche. Les corps sont libres, presque ou parfois nus, des flous, des bougés trouvent leur place dans des œuvres qui n'ont pas perdu leurs références picturales.
Moi je n'ai pas encore vu l'exposition ; on retrouve aussi ses photos dans le deuxième numéro de la revue 6 mois qui, on l'aura compris, est un peu l'inverse du journal 20 minutes. 6 mois est consacrée au photo journalisme et pour tout savoir sur cette petite sœur de la revue XXI, cliquez par ici.


Photo d'Andrew Esiebo, extraite de la série Femi Kuti and the Afrika Shrine.

Ce sera l'occasion aussi de rencontrer un autre photographe, africain celui-là (du Niger), Andrew Esiebo, autodidacte de talent et sensible raconteur d'histoires. Son site nous offre de nombreux portfolios et trois vidéos (en réalité des œuvres multimédia puisque les images sont fixes) qui disent beaucoup en quelques minutes. Ne pas rater la série soccer worlds, et celle sur les grands-mères footballeuses, alter gogo.


Galerie Camera Obscura, 268, boulevard Raspail, 75014. L'exposition est programmée jusqu'au 22 octobre.