lundi 21 novembre 2011

terre natale

Le temps me manque, signant ici à la fois la banalité du quotidien et l'inexorable éloignement du jour de ma naissance, chaque minute une de plus qui me rapproche de la terre. 

Hier soir, j'ai commencé à décrocher les tableaux chez moi car j'avais voulu garder à l'appartement, pour ce week end encore, son allure de lieu habité malgré les piles de cartons qui réduisent l'espace vital du salon à un confetti. J'ai donc attendu le départ d'Alain pour dénuder les murs. Et toutes ces images et photos encadrées, posées au sol, me sont apparues comme une forme de portrait de moi.

Le temps me manque car au lieu de faire tout cela j'aimerais écrire sur Van Gogh (a-t-il été assassiné ?), Fra Angelico (l'exposition au musée Jacquemart-André), Stendhal (Armance), Maurizio Cattelan (sa retro au musée Guggenheim), Farid et Lætitia (souvenez-vous, les jeunes SDF de ma rue, ils ont maintenant un enfant, un petit garçon) et plein d'autres choses, des petites et des grandes.


Par exemple, à nouveau, quelques anecdotes ouïghoures ? 
Vendredi soir Alain, qui me voit arriver à sa rencontre sur le chemin de la gare du Nord me dit : "c'est marrant comme tu es habillé, ça te fait de toutes petites jambes et un torse large, on dirait Bob l'éponge." Comme Alain me fait irrésistiblement penser à la Panthère rose, voilà le drôle de couple qui se dirige au 77 rue du Faubourg-saint-Martin, 75010 : j'ai en effet eu l'idée de lui faire découvrir le petit restau ouïghour en face de la mairie.
Là-bas l'ambiance est fort différente de ma première visite car une bande de neuf jeunes gens, de toute évidence ouïghours, sont attablés. En réalité plus souvent debout, ou dehors, quelques uns dînant et tous pianotant sur leur téléphone mobile, appelant, sortant, entrant, ouvrant et fermant les voitures stationnées le long du trottoir. Des jeunes filles et des jeunes hommes aux cheveux noir d'encre ; les garçons avec fantaisies capillaires, les filles envuittonées.
La carte étant réduite au minimum, je regoûte aux même plats que la dernière fois. La soupe aux raviolis ainsi que le riz chaud aux raisins (qui paraît cette fois cuisiné de façon plus grasse) accompagné de viande de mouton froide. D'office, ici, on vous apporte du thé bouillant.





Le tenancier, Ahatjan, est content de me reconnaître. Je lui dis que j'ai vu "son" film. Les jeunes gens quittent le restaurant et je note que lorsque les garçons serrent la main du patron, chacun se penche pour que les fronts se touchent pendant la poignée de mains. 
Alain, qui possède depuis quelques jours le tout dernier iPhone fait des photos de l'endroit, puis du patron qui pose sagement devant l'affiche du film Ata. La communication est un peu ardue avec lui, mais c'est aussi le charme du personnage. Je le questionne un peu : les jeunes sont-ils de sa famille ? "Non, étudiants", dit-il, me donnant un chiffre d'étudiants à Paris que je n'arrive pas à comprendre. La signification de ce salut avec la tête ? "Ami, même chose", explique-t-il. 

Malgré les difficultés de langage, Ahatjan aime à parler de son pays : je lui avoue que je n'en savais presque rien il y a peu, que j'ai lu deux trois choses sur le Turkestan uniquement grâce à lui. 
 "My country, 1949, comme Tibet", ajoute-t-il en un saisissant raccourci (qui dit beaucoup de l'avidité de la Chine mais rien de celle, passée, de l'ex-Union Soviétique à l'égard de ce territoire).


"À quoi tu penses ?" questionne Alain alors que mon regard trahi une réflexion songeuse. "Je pense que ces gens ont du cran car moi, je m'imagine mal monter un restau au fin fond de la Chine du Nord Ouest".

3 commentaires:

  1. Merci de cette fenêtre sur de jolis horizons. Le film est magnifique et très émouvant comme une simplicité essentielle qui est si proche de la réalité telle que je l'ai vécu en 2009. Ce clin d'oeil me "branche le coeur" avec celle que j'ai laissée à Moscou et qui m'a tant donné durant ma maladie. Une jolie ouïghour, fée du logis pour notre famille durant 3 ans.
    Ania, tu me manques!.....

    Et puis, ce que le film ne montre pas, c'est la beauté sublissime des femmes! C'est saisissant.


    Quant aux russes vis à vis des Ouïghours, attention de ne pas juger ce qui se passe à 9000 kms par le prisme du colonialisme à la française. La frontière, très loin des yeux du Kremlin est très très perméable à cet endroit.Les relations entre russes et ouïghours sont plutôt pacifiques; les russes accueillant sans problème (sur leurs terres très peu peuplées dans cette région d'élevage) ces "réfugiés" persécutés par les chinois.

    René Cagnat, un diplomate français devenu universitaire, résident au Kirghistan, nous donne à lire un livre passionnant pour comprendre ce qui nous semble si lointain.

    "La rumeur des steppes" Petite bibliothèque de Payot.

    Yolande

    RépondreSupprimer
  2. Je ne sais ce qui dans mes propos a laissé penser à un colonialisme à la française (sic)!!
    Pour le peu que j'ai lu sur l'histoire complexe du Turkestan, et sur la montée du (ou des) nationalisme(s) ouïghour(s), la configuration actuelle du territoire, notamment la considération d'une partie orientale et d'une partie occidentale, est au final la résultante de la rencontre de l'impéralisme soviétique et de l'impéralisme chinois. Cela quelles que soient les considérations historiques que les uns et les autres mettent en avant pour se légitimiter à régner sur cette région.

    RépondreSupprimer
  3. Désolée d'avoir été un peu rapide dans la formulation de mon commentaire, laissant peut-être suggérer indûment que l'auteur du post regarderait lui aussi, comme beaucoup de journalistes (généralisation abusive??)ou de compatriotes par le prisme de certaines certitudes bien pensantes et pourtant approximatives.
    Le fait d'être allée sur place à la rencontre des populations nomades et d'avoir habité à Moscou plus de quatre années (où vivent des milliers d'ouïghours,tajiks,turkmènes,ouzbeks...)me fait relativiser les commentaires médiatiques lus ici ou là et particulièrement en ce qui concerne l'impérialisme de la Russie de Poutine et de ses prédécesseurs.

    toutes mes excuses à l'auteur de ce blog si riche, documenté et PRECIS!

    RépondreSupprimer