samedi 27 juillet 2019

comme ma mère ?

Alors que j'imaginais, dans les deux derniers billets publiés ici et , que ma mère allait inexorablement s'éloigner de nous (rejoindre le règne animal et s'exiler dans un lointain inaccessible), il n'en est rien. Elle s'est en quelque sorte stabilisée dans cette lente dégringolade, comme si son vaisseau spatial, pour reprendre l'image du billet du 9 avril, avait trouvé l'orbite où se tenir.

Ce n'est pas dire non plus qu'elle ne se métamorphose plus, le processus de transformation paraît simplement plus lent. Par exemple, en tout cas en ma présence, elle chantonne moins. Elle continue à sourire beaucoup, et à faire de longues déclarations d'amour à qui elle veut, et de sombres critiques aux autres, toutes choses qui sont ses modes d'interaction habituels maintenant.

L'autre soir, je la trouve attablée à côté d'une femme en fauteuil roulant, que j'avais déjà vue à sa table et qui m'avait déjà questionné sur le mode "Vous êtes son fils ? Vous avez des frères et soeurs ?" etc.

Ce soir-là, alors que je m'assoie à côté de ma mère, cette vieille dame me demande à nouveau :
- Vous êtes son fils ?
- Oui oui.
Puis elle continue, faisant un mouvement de tête vers ma mère :
- Ça fait longtemps qu'elle est comme ça, qu'elle a perdu la tête ?
Evidemment je suis un peu gêné, je la regarde en souriant, je regarde aussi ma mère qui, si je ne sais pas si elle a vraiment entendu cette phrase, a en revanche conscience que cette dame me parle, ce qui l'agace un peu, je crois, comme si toute interaction avec une autre personne qu'elle était du temps qu'on volait à notre tête-à-tête.
La vieille dame insiste :
- Vous l'avez toujours connue comme ça ?
Je réponds un peu évasivement "Non, ça fait trois quatre ans qu'elle est comme ça ", tout en continuant à leur sourire à toutes les deux comme si l'on parlait de la pluie et du beau temps.
-"Ah, c'est une épreuve, c'est une épreuve", répète la petite vieille qui tente de croiser mon regard pour que je confirme, alors que je me tourne vers ma mère pour faire diversion. Mais devant son insistance - "Quelle épreuve, n'est-ce pas !" -, je suis obligé d'ajouter :
-"Vous savez c'est indélicat de parler d'une personne devant elle comme si elle n'était pas là, c'est une question de respect..."
-"Mais je la respecte beaucoup votre maman, je suis très gentille avec elle. Même si elle, elle me dit que je ne suis pas belle..."
-"Ah bon, elle vous dit ça, que vous n'êtes pas belle ?" L'anecdote me réjouit. Je reconnais bien ma mère dans ce trait-là. Je la crois même capable de dire ça avec un grand sourire.
-"Oui. Je le sais bien que je ne suis pas belle, mais tout de même..."

L'échange se poursuit un instant. La vieille dame ne semble pas du tout sensible à mes précautions vis à vis de ma mère, et va même jusqu'à dire à un moment : "Mais de toute façon elle ne comprend pas..."
-"Ecoutez, excusez moi, je ne veux pas vous paraître désagréable mais j'insiste. Si ce n'est pas une question de respect, disons que c'est une question d'humilité alors, parce que justement on ne sait rien de cela, personne n'est dans la tête de maman...."
Finalement la vieille dame grimace et conclut :
-"Ben vous êtes comme elle, vous n'est pas très agréable..."

Cette conclusion me laisse un peu rêveur. Je m'aperçois que si j'ai beaucoup étudié les processus d'identification et de contre-identification avec mon père, j'en ai peut-être sous-estimés certains avec ma mère...

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