vendredi 30 septembre 2022

Drancy, encore… (immensité 13)

«Le bâtiment où Henriette a passé six mois à disparu, remplacé par un immeuble d’habitation aux parois lisses, couleur crème, entouré de balcons pour profiter des arbres et du calme de cette rue élégante. Sa façade symétrique et cet empilement de balcons en verre lui font un peu une tête de mausolée. Pour Henriette et ses quatre ans, un âge où le temps d’une journée est un pays, une immensité dont le cadre est à peine visible, les six mois dans cet endroit sont un gouffre. Et pour ses sœurs, qui sont assez âgées pour en avoir conscience, pour Mireille surtout qui s’est donné pour mission de protéger ses cadettes, cet événement doit ressembler à une amputation, à un meurtre, un enterrement où elle serait à la fois jetée vivante sous la terre et penchée sur le fossé où on la met. » (page 180)

« Je crois que l’immensité de ces sept mois est due aussi à une dimension du temps qui serait verticale, une fosse s’ouvrant, invisible, derrière le talus trop haut d’une voie ferrée. Pendant les deux mois où elles sont internées à Beaune-la-Rolande, quatre convois, numérotés 40, 42, 44 et 45, partent de Drancy et arrivent à Auschwitz-Birkenau – faisant plus de quatre mille morts. Pendant qu’elles sont à Lamarck et à Guy-Patin, entre février et mars 1943, il n’y a pas moins de huit convois, c’est-à-dire plus de huit mille morts, parmi lesquels leur onze camarades de chambrée arrêtées le 11 février, et peut-être d’autres qu’elles connaissaient. » (page 185)

Deux extraits tirés de Les Presque Sœurs, de Cloé Korman, Éditions du Seuil.

Cette série « immensité » présente des extraits de livres lus récemment dans lesquels le mot immensité apparaît

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