mercredi 6 février 2013

tragédie

Elle est vêtue d'un pancho et se dissimule maladroitement le visage derrière un foulard pour préserver son anonymat. Mais comme elle est arrivée l'une des dernières, tous les spectateurs déjà installés la remarquent en bas des gradins et chuchotent : "On dirait Sophie Marceau". Olivier Dubois, lui, a pris place derrière une caméra qui procède ce soir-là, au 104, à la captation vidéo de Tragédie. On me glisse que le personnage n'est pas perçu comme très sympathique par ses danseurs eux-mêmes. Le noir se fait.


Il y a du Muybridge dans la première partie de cette chorégraphie qui a fait parler d'elle à Avignon cet été. Neuf danseurs et neuf danseuses, nus, organisent l'espace et le temps en une marche volontaire, frontale, faussement inexpressive. Un dispositif scénique minimaliste, bande-son et éclairage rudes. C'est long (très long) avant que la marche – de grains de sable en saccades et tremblements – se dérègle en une liberté surveillée de mouvements et de pauses qui évoquent autant les académies d'atelier que les figures physiognomoniques ou les faces de Messerschmidt... La liste serait longue des références qui naissent imperceptiblement, se couvrent et se recouvrent : tableau symboliste, cours d'aérobic, statuaire allégorique, personnages de cire du musée de l'Homme, rave party, Adam et Ève chassés du paradis, la porte de l'Enfer... Hommes et femmes bolides se croisent, parfois en douceur, rarement en couple, jamais érotisés, et s'emmêlent aussi en une vague de chair que la lumière, cette fois réchauffée, tire du côté de La mort de Sardanapale ou d'un Carlos Schwabe.


C'est la performance des danseurs qui m'émeut, incapable que je suis de comprendre sur quels repères ils accrochent leurs mouvement (la musique, répétitive, ne fournissant pas ces balises), et quelle minutie règle de l'intérieur, sans heurts, ce tumulte de dix-huit corps turbulents.
Le spectacle pourrait s'intituler humanité. L'œil, qui pourtant oublie vite la nudité, se nourrit de la diversité des corps et des êtres. Olivier Dubois expliquait dans une interview à Libération en juillet 2012 : "Être homme ne fait pas l'humanité. C'est là qu'est la tragédie". C'est sans doute l'auteur qui parle de lui-même.

À la fin les interprètes saluent, pas nus. Leurs noms, copiés du site du 104 sur lequel on peut voir une petite vidéo du spectacle :
Marie-Laure Caradec, Marianne Descamps, Virginie Garcia, Karine Girard, Carole Gomes-Busnel, Inés Hernández, Isabelle Kürzi, Loren Palmer, Sandra Savin, Benjamin Bertrand, Arnaud Boursain, Jorge More Calderon, Sylvain Decloitre, Sébastien Ledig, Filipe Lourenço, Thierry Micouin, Rafael Pardillo, Sébastien Perrault

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