lundi 3 juin 2013

palette

Au commencement de ce billet je me questionne : les ongles de ma mère, est-ce l'ombre de ma mère ? Pourquoi cette association me vient-elle à l'esprit ? Tout cela déclenche une kyrielle d'images d'enfance dont je ne sais que faire et que je ne souhaite pas détailler ici.


Je lui ai rapporté de vacances un échantillon de vernis orange. Elle est contente, regrette d'avoir mis du rouge justement ce matin, si elle avait su, elle aurait attendu et serait passée directement du vert au orange. Elle regarde ses mains, se plaint de la grosseur des veines qui les ont déformées.
- C'est affreux. Et ça monte jusque là (elle montre les bras). Je suis obligée de garder des manches (elle pince la manche de son petit pull noir). On sait bien qu'on va vieillir, mais on pense toujours que ce sera différent. C'est affreux. Jamais je n'aurais imaginé cela.

Je ne lui pose pas d'autres questions. Je n'ai pas envie de savoir de quelle vieillesse elle avait rêvée, et dont ces deux bras, jumeaux maintenant défigurés, semblent ce soir les fossoyeurs. Je lui parle d'aujourd'hui, des gens du présent. Elle s'anime en me racontant que G., un de ses petits-enfants qui vit à Barcelone, aurait pris de ses nouvelles : ça la met en joie, tout simplement. J'ai l'impression qu'il lui a fallu la vieillesse pour accéder à la gaieté aussi promptement.
C'est parfois difficile de suivre ses propos. Elle s'inquiète d'une voiture à elle qui a été vendue. Mais laquelle ? Elle raconte qu'elle en a trois, puis la phrase d'après qu'elle en a deux, toutes choses qui sont inexactes.

- Je pense tout le temps à ta photo. (Je la regarde d'un air interrogatif.) Oui, c'est comme ça, j'y pense tout le temps, je ne sais pas si c'est parce que tu l'a accrochée au mur mais j'y pense tout le temps.
(Je comprends qu'il s'agit d'une de mes anciennes peintures que je lui ai offert pour Noel, et dont elle me parle souvent quand nous dînons ensemble chez elle car elle l'a fait accrocher sur le mur proche de la table de sa salle à manger.)

- Tu veux dire le tableau ?
- Oui.
- Mais c'est normal que tu y penses tout le temps, tu l'as presque toute la journée sous les yeux.
- Non mais je veux dire, j'y pense. Avant de me coucher, je vais le regarder, comme ça j'y pense. Enfin j'imagine que ça doit être pareil pour toutes les personnes qui vivent seules.

Moi ce que j'imagine c'est que la vie de maman devient comme un tableau vaguement cubiste. 

2 commentaires:

  1. La pomme tourne bien. Guillaumel (toujours pas mort !) trouve que c'est pas si mal.
    Nécessaire de signer ce message ?

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  2. Et si l'identité était tout simplement comme une palette de couleurs qui parfois se mélangent, s'éclaircissent, s'assombrissent, apparaissent et parfois disparaissent...
    Une identité, ombre du soi et qui ne dit pas tout, et parfois pas grand chose du sujet.
    J'aime vraiment l'idée de parler de l'identité sous forme d'une palette de couleurs qui ouvre sur un infini de nuances.

    Et cette maman, pour certains d'entre nous "virtuelle",je la vois toute en couleurs mais des couleurs qui deviendraient depuis peu, ton pastel.

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