vendredi 30 août 2013

les évidences...

Je viens juste de terminer Les armoires vides, d'Annie Ernaux. En réalité, tout en sachant très bien depuis longtemps qui est Annie Ernaux, je n'avais lu aucun de ces livres. Et je ressens un plaisir particulier à l'avoir fait si tardivement, comme si l'âge m'en faisait mieux goûter le relief.

Hier je lis cette phrase qui me surprend : "Je n'ai pas de conversation, elles m'apprennent tout, et moi je n'ai rien à leur raconter. Mes succès scolaires ne les intéressent plus, elles ne discutent pas de Corneille, mais de Braque qui vient de mourir et que je ne connais pas."
"Elles", ce sont les copines de classe d'Annie Ernaux (Denise Lesur dans le livre), toutes issues d'un milieu social très différent du sien. C'est déjà l'époque de la seconde, terminé les rivaltés de petites filles, ça discute surboum, James Dean et Françoise Sagan... Et je m'étonne que des collégiennes discutent de la mort de Georges Braque. Bêtement je cherche d'abord la date de publication du livre (1974), avant de tout simplement revenir à la biographie de Braque. 1882-1963. J'apprends à cette occasion (par Wikipédia), que le peintre bénéficia de funérailles nationales, cérémonie devant le Louvre, et qu' "André Malraux y prononce un discours émouvant" (toujours Wiki). Voilà qui explique  vraisemblablement le retentissement que sa mort a pu avoir sur des lycéennes.
Intrigué par l'ampleur donnée au décès du peintre (j'avais le sentiment qu'il avait été au contraire injustement éclipsé par Picasso) je prends donc la mesure de sa notoriété immense et tombe, toujours par la grâce du Net, sur un extrait filmé de la cérémonie funèbre devant la colonnade du Louvre. Procession nocturne, porte-flambeaux... : c'est effectivement solennellement-officieusement-pompeux. Le ton du discours de Malraux, évidemment grandiloquent, en ajoute une couche. Jusqu'à ce que l'avant dernière phrase me fasse sursauter.
Imaginant avoir mal entendu, je cherche cette fois le texte du discours toujours dans les ressources sans fond d'Internet. En voici les deux derniers paragraphes. 

"[...]Enfin, ces tableaux exprimaient la France à l'égal de ceux de Corot - mais plus mystérieusement, car Corot, lui, l'avait beaucoup représentée. Braque l'exprimait avec une force de symbole si grande qu'il est aussi légitime chez lui au Louvre, que l'ange de Reims dans sa cathédrale. Samedi, nous avons retrouvé une tristesse très lointaine mais bien connue; celle qui nous avait saisis naguère quand nous avions entendu : "Debussy est mort".
Demain matin, Madame, que l'on dise aux marins et aux cultivateurs de Varangeville, qui aimaient Georges Braque, évidemment sans comprendre son art : "Hier, quand il était devant le palais des rois et le premier musée du monde, il y avait dans la nuit pluvieuse une voix indistincte qui disait merci ; et une main très simple, une main usée de paysanne, qui était la main de la France, et qui se levait une dernière fois dans la nuit pour caresser doucement ses cheveux blancs".


Et tout de même, entendre un ministre de la Culture clamer dans la nuit "aux marins et aux cultivateurs qui aimaient Georges Braque évidemment sans comprendre son art"... ça fait froid dans le dos.

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