lundi 17 août 2015

Eva, Simon, Christian et les autres (2)

Orviétan, cartisane, et... anatife (bien que, re-feuilletant après coup son livre, je n'ai pas retrouvé ce dernier mot, ni le souvenir de ce qui pouvait bien amener un crustacé pédonculé dans ces pages, alors que, depuis, l'intérêt suscité par la présence de nombreux anatifes sur les débris de l'avion du vol MH370 a subitement banalisé ce nom) : voici trois termes, utilisés par Liberati, dont j'ai cherché la signification dans le dictionnaire.
Tout cela pour prévenir que, en plus de quelques mots rares, le name dropping auquel se livre Liberati dans Eva pourra inciter certains jeunes lecteurs à lire avec une connexion Internet à proximité. Pour ma part c'est plus facile : Simon Liberati et moi sommes de la même génération.


De quoi s'agit-il dans ce livre qui s'annonce comme un portrait amoureux d'Eva Ionesco ? De l'autoportrait de Simon Liberati peignant Eva Ionesco.
L'auteur se présente jeune homme marqué par les apparitions de la nuit parisienne, devenu écrivain amateur de raretés et de dîners solitaires aux chandelles. Soit. L'évocation d'un vrai faux passé de consommateur de drogue tente le lien romantico-destroy entre les deux périodes.
Las, Simon est né trop tard, dix ans trop tard. Il quitte la nuit parisienne alors qu'il n'a que vingt ans et que s'achèvent les années soixante dix, il entre dans le monde des livres alors que débutent les années quatre-vingt, fin de tout et commencement d'un monde tout autre.

Eva est son fer rouge. J'utilisais à dessein le terme "marqué" : l'apparition d'Eva, dans une nuit d'un passé perdu, reste une brûlure, un signe de distinction, une marque qui dit l'appartenance. Eva est déjà tout. La vie que Simon n'a pas eue, ces dix ans d'avant qu'il n'a pas vécus, Eva figure sa jeunesse mythique, son manque, sa béance structurelle. Simon s'invente, façonné, pétri de la nostalgie de ne pas être né avant lui-même.

Christian Louboutin et Eva Ionesco.
Dans le livre de Liberati, Louboutin apparaît
comme un personnage tout à fait sympathique,
soutenant et fidèle. (Photo Michel Saloff)

Simon Liberati suit son fil rouge, qui doit l'amener à lui-même. Il enquête sur Eva. Comment, pourquoi, quand. On retourne dans la vie d'Irina, la mère photographe, on croise Christian Louboutin, Edwige Gruss, Yves Adrien, Paquita Paquin, Sid Vicious, Alain Pacadis..., on danse aux bains, au Palace, à Saint-Tropez, à New-York, on passe à l'hôtel La Louisiane, on décrypte de vieilles cartes postales, des photos prises à Ibiza, d'autres par Pierre et Gilles. S'y tressent les souvenirs de Simon. On s'intéresse à l'historique d'une coiffure, à l'archéologie d'une tenue.
Mais Simon Liberati est bel et bien cet écrivain qui sait manier la langue et affronter son reflet : il ne craint pas de citer des passages de ses propres livres (déjà sous le sceau d'Eva) ou de son journal au risque d'un ridicule qu'il évite. Il faut dire que le name dropping qui maille son texte déborde les pages du magazine Façade : Nabokov, Goethe, Fellini, Robbe-Grillet, Henri de Régnier, Alexandre Dumas, Billy Wilder, la comtesse de Ségur et d'autres rivalisent avec Nico, Warhol ou Pacadis.
On est vraiment en très bonne compagnie.

C'est sans doute cela un livre réussi : quelqu'un nous conte une histoire qui ne nous concerne pas et  pourtant il nous captive.

PS : Liberati nous tend aussi des pièges. Pour ceux qui chercheraient le café cité à la fin du livre, vers la gare du Nord, il se trouve rue Saint-Quentin, et non pas rue de Roubaix.

1 commentaire:

  1. Voilà ! Je te lis à Naples et me ravis de ce souvenir de lecture ravivé quoique fort récent).
    Dans les famous, je me permets d'ajouter la Comtesse de Boigne dont un exemplaire des Mémoires traîne quelque part dans l'appartement parisien (ou la maison de campagne) de Liberati.
    Rien sur Jayne ?

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