vendredi 20 novembre 2015

explosifs

Ce qui est fascinant lorsque l'on a déjà eu un cancer, c'est que l'on ne peut plus jamais avoir le moindre problème sans que, dans l'esprit du professionnel de santé, la suspicion soit là : vous avez mal au ventre, on suspecte un cancer du ventre, mal à la tête, c'est sans doute un cancer de la tête, vague à l'ame, à coup sûr un cancer de l'âme, etc.

Voilà pourquoi je me retrouve ce jeudi à l'hôpital Georges Pompidou, dans un service de néphrologie, ayant bêtement accepté de subir une scintigraphie. A peine arrivé, je le regrette déjà. 
Une jeune et charmante infirmière tente de me poser un cathéter sur la main droite. Sans succès. Sur la main gauche. Sans succès. Elle annonce qu'elle fait tout de même le prélèvement sanguin demandé, mais qu'elle va chercher quelqu'un pour le cathéter. Je reste stoïque, il faut bien apprendre son métier.
- Appuyez bien sur le pansement, parce que là, ça va sûrement faire un bleu, dit-elle en partant.
J'ai déjà un pansement sur les deux mains. 

Plus tard, arrive une autre infirmière, une douceur à la Laurence Boccolini période Maillon faible. Le genre qui, après vous avoir fait hurler de douleur, vous demande : "Vous avez mal ?"
Elle plante le cathéter dans ma main droite. J'apprends que la première infirmière n'a, en fait, pas réalisé tous les prélèvements demandés (il y a une quantité de tubes très impressionnante). De toute façon Laurence va refaire aussi les tubes déjà prélevés, qui sont sûrement "hémolysés" (j'enrichis mon vocabulaire), ce pourquoi elle pique aussi dans le bras et dans la foulée, tiens comme c'est drôle, on a rempli un tube en trop.
- Mieux vaut ça que l'inverse, lance Laurence à la cantonade.

Vient ensuite un jeune interne, charmant lui aussi, qui me demande de lui restituer tout ce que contient mon dossier médical que visiblement il n'a pas consulté. J'en suis partiellement incapable, n'ayant pas mémorisé les dates précises de mes affres médicaux, ni les noms des médecins consultés. Je me demande à quel moment quelqu'un va m'informer sur la scintigraphie, son déroulement, les précautions à prendre après l'exposition radioactive etc

Ensuite, comme j'ai été convoqué à huit heures du mat pour un examen programmé à midi, je m'endors. Un moment, l'infirmière qui m'avait accueilli passe la tête dans la chambre pour savoir si j'ai rempli d'urine le petit flacon qu'elle m'avait confié. À moitié endormi je réponds que non, sans m'en préoccuper plus. 
Cinq minutes après, l'adjudant Laurence entre dans la chambre en fanfare et me demande si je ne pourrais pas le faire avant l'examen de la scintigraphie. De bonne volonté, je lui réponds, que bien sûr, oui, pourquoi pas, je me lève et saisit le flacon de plastique posé sur un meuble.
-Ben oui, ajoute Laurence, parce qu'après la scintigraphie, vos urines seront irradiées, alors pour nous c'est pas terrible de les manipuler.
J'ai un petit rire, je me demande si elle se rend compte de ce qu'elle délivre comme message.
-Pourquoi vous riez? lance-t-elle, agressive.
Je n'essaye pas de lui expliquer, évidemment.

L'écran de protection derrière lequel le praticien m'injecte
le liquide radioactif. Puis les panneaux qui vous font vous sentir pestiférés.
Plus tard, les manifestations agressives de Laurence prennent un autre tour. Je pense que mon rire spontané a déclenché une poussée paranoïaque chez elle. Des phrases du genre "Pas la peine de m'envoyer la table dessus!" quand, en prenant mes affaires sur la table roulante pour me rendre à la scintigraphie, je déplace le meuble qui la touche, ou "Mais tout le monde comprend à part vous" quand j'hésite dans le couloir sur la direction à prendre. 
Évidemment, dès que je le peux, une fois la scintigraphie opérée et la confirmation que les images sont bien réalisées, je me dépêche de quitter l'hôpital, ne repassant dans le service néphrologie que pour reprendre mes affaires.

Personne, ni en hospitalisation de jour, ni dans le service radio, n'aura donc pris cinq minutes pour m'informer sur l'examen.

En fin d'après-midi je reçois un coup de fil de l'hôpital. Une infirmière (encore une autre) s'interroge que je sois parti. J'explique gentiment que j'ai attendu le ok du radiologue, et que l'attitude de l'infirmière du service néphro m'a inquiété au point que j'ai préféré m'éloigner au plus vite. Je m'aperçois alors que cette info n'intéresse pas mon interlocutrice, qu'elle n'appelle pas pour prendre soin de moi mais juste pour cocher des cases dans son dossier (est-ce que j'ai fait la scintigraphie, à quelle heure, est-ce qu'on m'a enlevé le cathéter etc,) alors même qu'elle refuse de me donner le nom de l'infirmière Boccolini. J'interromps sèchement la conversation.

Le soir, lassé de cette violence sourde, je fais le plein de grenades. Explosion de saveur programmée. Désoxydation. Douceur.




2 commentaires:

  1. Gran Dio ! Enfin, côté cancer de l'âme et tumeur de la verve blogueuse, tu me sembles épargné. Tes "melograni" (pomme à grains) ont belle allure. Que leur douceur remplisse tes jours.

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  2. Il y a très bon service néphro à Tenon, un personnel sympathique d'après ma petite expérience. Je suis devenu expéditif avec ses gens-là. Et même si ce n'est pas facile de quitter un hôpital où l'on est "suivi", ça vaut parfois le coup ! SdA

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