dimanche 7 janvier 2018

mère Noël

C'est l'épiphanie. Et la bonne nouvelle, pour certains, c'est donc que la période des fêtes est derrière nous...

J'ai, pour ma part, passé le soir de Noël avec ma mère, dînant avec elle dans sa maison de retraite, seul étranger ce soir-là dans ces lieux où je m'imaginais voir d'autres membres des familles des pensionnaires.

Nous dînons à 19h00. Ma mère, toujours joyeuse et souriante, ne note pas l'extraordinaire de ma présence à sa table. Son esprit la tient bien au-delà des étroites notions "habituel" ou "inhabituel", "ordinaire" ou "extraordinaire". Tout est toujours nouveau, puisque tout est oublié, et rien n'est surprenant, car rien n'est présupposé. Elle vit dans une bulle hors temps, comme dans une série télévisée quotidienne dont chaque épisode serait la rediffusion de l'épisode numéro un. Ou bien dont on ne possèderait qu'une cassette VHS de l'épisode un, que l'on repasserait sans cesse.

Il faut dire que dans cette quatrième dimension elle se porte plutôt bien. Installé à sa table, j'avais le loisir d'observer les autres pensionnaires de la maison. Certains, que j'ai vus arriver bien après ma mère, affichant les premiers mois une forme éclatante - discutant et se promenant allègrement ici et là, racontant des souvenirs de leur vie passée-, sont maintenant devenus prostrés, muets, grossis, voir même, pour l'un, immobilisé sur un fauteuil roulant.

Chez ma mère l'effondrement des capacités cérébrales et l'accentuation des fuites urinaires n'ont pas entamé une forme de bonne tenue générale. C'est juste l'usure du VHS, la brillance qui vient trouer l'image par endroit. On repasse l'épisode numéro un : elle me voit, elle est encore surprise, elle me re écoute dire que je viens tous les mercredis et tous les dimanches, elle redit qu'elle m'aime, que j'ai grandi etc. Elle sourit, elle chante. Et dans quelques jours, on recommence. Il y a quelque chose d'hypnotique dans cette combinaison du mode "Pause" et du mode "Rewind", cette forme d'activité immobile.

Ce soir-là je lui glisse sa serviette de table dans son chemisier, pour épargner ses habits qui sont souvent tachés, en même temps que j'explique :
- Je te mets ta serviette comme ça pour éviter que tu fasses des taches.
- Des taches?, reprend-elle, enjouée. Puis, partant d'un grand rire : je vais finir par croire que je vieillis!
On rit. Encore.


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