mardi 12 octobre 2021

immensité 8

Dans cette puanteur de fleurs, Carl fut saisi d’un brusque vertige – le souffle coupé, le sang figé, pris dans un cône qui tourbillonnait sur lui-même, s’amenuisait, se réduisait à néant…
– Chimiothérapie?
Le cri jaillit de sa chair, traversa un désert de vestiaires et de dortoirs à soldats, et l’air moisissant de pensions saisonnières, et les couloirs spectraux de sanatoriums de montagne l’odeur d’arrière-cuisine grise et grognonne et graillonnante des asiles de nuit et des hospices de vieillards, l’immensité poussiéreuse de hangars anonymes et d’entrepôts de douane – traversa des portiques en ruine et des volutes de plâtre barbouillé, des pissoirs au zinc corrodé en une dentelle transparente par l’urine de millions de lopettes, des latrines abandonnées aux mauvaises herbes et exhalant des miasmes de merde retournant en poussière, des champs de totems phalliques dressés sur la tombe de nations moribondes dans un bruissement plaintif de feuilles sous le vent – traversa encore le grand fleuve aux eaux boueuses où flottent des arbres aux branches chargées de serpents verts, et de l’autre côté de la plaine, très loin, des lémuriens aux yeux tristes contemplant les rives, et on entend dans l’air torride le froissement de feuilles mortes des ailes de vautours…

Extrait du Festin nu, de William Burroughs, éditions Gallimard (1964), collection L’Imaginaire, traduction d’Éric Kahane. 

Cette série « immensité » présente des extraits de livres lus récemment dans lesquels le mot immensité apparaît.

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