jeudi 18 octobre 2012

labeur

Il faudra bien que je dise pourquoi le livre de Michaud, que dans un premier temps je qualifiais de satisfaisant, s'avère finalement un grand flop. Je fais allusion à Ibiza mon amour, enquête sur l'industrialisation du plaisir, dont j'ai aussi publié un extrait le 13 septembre.

Mais que signifie mon revirement d'appréciation ?
Si l'on s'en tient au titre principal, Ibiza mon amour, il n'y a rien à dire. On sent effectivement l'amoureux de l'ïle, et la dernière ligne du livre indique qu'il a été terminé à "Cala Tarida, San José, Ibiza, le 21 août 2011". Moi aussi, si j'avais trouvé quelqu'un pour me payer des mois d'écriture et de lecture à Ibiza, j'aurais dit oui, et rêvé de mettre un point final à l'ouvrage les yeux perdus dans la mer. 

No volem autopista. Les banderoles
fleurirent ici et là quand la construction
de l'autoroute se rapprocha. Moi j'avais
confectionné un débardeur militant
avec de l'eau de javel. Il existait un blog
en espagnol, bien nommé la cicatrice,
dénonçant jour après jour
les manœuvres politiques et financières
autour du projet.
À un premier niveau, Yves Michaud nous raconte Ibiza, et c'est un vrai plaisir pour qui, comme moi, partage sa passion : soit que l'on apprenne des choses que l'on ignorait (pour ma part, par exemple, le meurtre de l'assassin de Jaurès, Raoul Villain, réfugié là-bas), soit que l'on se délecte que des faits connus des habitués soient portés à la connaissance du plus grand nombre (les magouilles incroyables de la famille Matutes, dont l'affaire de l'autoroute et du golf par exemple).
Autour de l'histoire des discothèques, il restitue l'environnement festif qu'ont connu les gens de ma génération et d'avant. Et c'est bien de cela que vient l'attente du thème avancé en sous-titre de l'ouvrage : il est en effet impossible d'avoir vécu cet Ibiza-là sans s'être posé des questions précisément sur ce sujet, l'industrialisation du plaisir et de la fête.

Malheureusement j'attends toujours ce qu'Yves Michaud a à dire sur ce thème... Car si l'ouvrage débute par quelques chapitres tentant de nous démontrer que l'intellectuel a vraiment mouillé sa chemise, -– oui il y était dans la nuit ibicenca, oui il était dans telle boîte, oui il était sur le parking de telle autre... –, la plupart du temps, autant le dire, Yves Michaud plane à 5000 km au-dessus du sol.

Des touristes sur le départ interviewés à l'aéroport, qui ne sont venus que pour quelques jours, Michaud nous assure : "ils ont visité toutes les plages et les criques (calas) — qui ne sont pas nombreuses". Difficile de proférer une telle ânerie : les calas sont dizaines (ou centaines) et ces "voyageurs" de quelques jours se rendent invariablement vers les même spots, qui sont généralement un bar sur une plage plutôt qu'une plage en elle-même.

Grande thèse de l'ouvrage, l'hédonisme, "trait constant de l'expérience d'biza" a "été mythifié". Ah bon, auprès de qui ? Ces mêmes touristes qui viennent sur l'île ne connaissent en général rien de l'histoire du lieu (certains ignorent même tout de l'Espagne, la plupart seraient incapables de dire qui sont Raoul Hausmann et Lluis Sert).
La drogue a envahie la nuit d'Ibiza, et par là, elle est partie prenante du tourisme local. Pour Michaud, rien d'inquiétant ("Les discothèques font-elles tant de mal ? En tout cas elles n'en font pas aux affaires. Et pour les overdoses, il y a maintenant l'organisation adéquate. De quoi se plaindrait-on ?") si ce n'est l'arrivée des narco trafiquants!... Il faut dire que Michaud zappe singulièrement deux thèmes pourtant centraux de son enquête : la notion du groupe (et du plaisir en groupe) et la question de l'argent, balayée d'un revers de main dans la conclusion, page 330 du livre qui en contient... 331 :
"...la production industrielle du plaisir [...] prétend pouvoir satisfaire tous nos désirs.
Avec quel argent rétorquera-t-on ? Ce n'est pas un problème ! L'argent, on le cherchera par tous les moyens de la cupidité. [...] À Ibiza, le couple emblématique de la nuit c'est l'oligarque et la (le) putain, le milliardaire de la mode et la (le) putain, la vedette de publicité et la (le) putain".
À en croire Michaud, tous les touristes se payeraient leur vacances en se prostituant... Ben voyons.

C'est sans doute qu'il y a quelque chose du corps et de son inscription qui échappe à Michaud. C'est amusant de voir l'application qu'il met à décrire la nouvelle scène musicale (bibliographie à l'appui), quand il oublie de décrire les mutations de la danse, de ce que ces évolutions entraînent et signifient. De la même façon les effets des drogues ne sont pas analysés comme affectant l'être, le duo et le groupe. Non, c'est un thème traité quasiment uniquement du côté commercial, marchand. Et la sexualité : Michaud nous tartine des pages navrantes sur l'hédonisme, à aucun moment il ne questionne comment les gens vivent-ils vraiment leur sexualité ? Ces touristes qui pour la plupart louent des appartements et des chambres d'hôtels où ils sont entassés à plusieurs, qui sont surveillés dans les discothèques, sont bourrés d'alcool et/ou de drogue... : où quand, comment accèdent-ils à ce plaisir physique promis ?

Tout cela est donc bien rapidement vu.
Pour ma part j'en aurais tiré un autre ouvrage que l'auteur, Vicent Mari Tur, rencontré sur la plage grâce à des amis, m'a gentiment offert : Dones de Pagesa, Els treballs i els dies ( mot à mot : femmes de la campagne : les travaux et les jours). Un livre, cité dans celui de Michaud, qui a eu un grand succès local à sa sortie : il s'agit d'une succession de textes, portraits de vieilles femmes qui continuent de s'habiller à l'ancienne. Les photos, dont celle ci dessous qui fait la couverture du bouquin, sont aussi de l'auteur.


3 commentaires:

  1. Je ne résiste pas à un vilain private joke : "Y-a-t-il un portrait de Glauque l'hédoniste dans Les Travaux et les Jours ?"

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  2. ...y sus gafas en sautoir prêtes à palper las pelas. Ces souvenirs me réjouissent invariablement et d'autres me font encore pouffer comme si j'avis pris un petit quelque chose.

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