mercredi 4 février 2015

blasphème : une répression plus sociale que religieuse

On fait coutumièrement remonter la punition du blasphème à Saint Louis, son innovation consistant à édicter des peines corporelles allant bien au delà de ce qui était demandé par l'Église.

"On a vengé le père Noël ! On a vengé le père Noël !"
La législation moyenâgeuse a oscillé entre deux tendances répressives : 
- Une modérée (définie par l'ordonnance de 1510, texte clé repris en 1514, 1546, puis en 1651 et 1666).
"Le premier blasphème est frappé d'un amende doublée, triplée, quadruplée lors d'une deuxième, troisième et quatrième rechute.[...] Le cinquième blasphème est puni du carcan, peine infamante, de huit heures du matin jusqu'à treize heures de l'après-midi, un dimanche, un jour de fête ou de marché. Le coupable est alors soumis à toutes les "vilénies et opprobes" c'est-à-dire aux insultes des passants, voire à leurs projectiles. Au sixième blasphème commencent les mutilations corporelles : exposition au pilori et lèvre supérieure fendue par un fer chaud de sorte que les dents apparaissent. À la septième récidive, la lèvre inférieure est coupée. En cas d'obstination dans le délit, la langue est coupée "tout juste" ce qui supprime à jamais la possibilité de blasphémer. [...]
- Une rigoureuse, avec l'ordonnance de 1681 où "dès la première faute les blasphémateurs ordinaires ont la langue percée sans autre forme de procès ; les auteurs de blasphèmes "qui appartiennent  à l'infidélité " sont de leur côté emprisonnés sur le champ et punis de façon exemplaire.[...]
La législation royale se montre [...] plus rude envers les blasphémateurs que la législation canonique : jusqu'au XVIe siècle, celle-ci refuse avec obstination les mutilations corporelles."

Le blasphème, pris dans sa signification générale, comprend tous ceux que nous appelons athéisme, idôlatrie*, magie et sortilège [...]. 

Il est crime de lèse majesté divine, éminente dignité qui amène à poser la question de l'autorité à laquelle incombe sa sanction dans le cadre de la rivalité de compétence entre juridictions ecclésiastiques et juridictions laïques. [...] En effet, le crime de lèse majesté passe aisément d'une compétence ecclésiastique à une compétence séculière : il représente une menace pour le royaume, en bafoue le caractère très chrétien et est lié à une notion de marginalité et de dissolution dangereuse pour l'ordre social."

La peur collective du blasphème atteint son apogée aux XV et XVIe siècles,  et s'apaise dans la seconde moitié du XVIIIe. Il faut dire que l'accusation de blasphème, dans bien des cas, repose sur le oui-dire, la délation.

Au XVIIIe siècle, les juristes qui commentent les condamnations pour blasphème notent :
- Pour Guyot, la justification de la punition est d'ordre social : "les juges, bien pénétrés qu'il n'appartient point aux hommes de venger la divinité à laquelle il doit être réservé de punir ou de pardonner [...] savent que la punition ne doit jamais excéder le mal que la société peut en souffrir".
Une position a mettre en relation avec celle de Voltaire :
"Votre illustre Montesquieu dit :"Il faut honorer la divinité et non la venger." Pesons ces paroles. Elles ne signifient pas qu'on doit abandonner le maintien de l'ordre public. Elles signifient [...] qu'il est absurde qu'un insecte croie venger l'Ētre suprême. Ni un juge de village, ni un juge de ville ne sont des Moïse et des Josué."
-Brissot quant à lui renverse l'échelle des valeurs traditionnelles : " [...] nous sommes persuadés que c'est l'espèce de crime [les crimes contre la religion] la moins importante."

À la lumière de différentes affaires de répression du blasphème, on peut déceler "un abâtardissement certain du crime suprême de lèse majesté divine qui n'est plus dénoncé qu'en fonction d'intérêts particuliers".  Ces conclusions recoupent de près celles tirées d'études de cas du XVe siècle. 
"Le crime défini comme anti religieux aurait donc été depuis longtemps associé à des faits sociaux".

Ces quelques lignes sont extraites, copiées collées, de deux textes parus dans la revue Mentalités n° 2, "Injures et blasphèmes", édition Imago (1989).  L'un consacré au blasphème du moyen âge au XVIIe siècle, de Élisabeth Belmas, l'autre portant sur la période du XVIIIe, signé Françoise Hildesheimer.

Sur le même sujet, on lira l'article du rabbin Delphine Horvilleur à la suite de l'attentat du 7 janvier 2015, ainsi qu'un article intéressant de Jacques de Saint Victor paru dans le Figaro du 29 janvier. Il est question dans ce dernier d'un rappel historique organisé autour de la suppression du délit, en 1791.

* Le grand risque de l'image n'est pas tant d'être une caricature ou une insulte, mais au contraire, de devenir le support d'une idôlatrie iconophile...

2 commentaires:

  1. Merci pour ce billet. Il se trouve qu'ici, j'ai interrogé des amis marocains sur le sens de l'interdiction de représenter le prophète. Aucun n'avait mais cela en relation avec le rique du dévoiement (supposé) qu'est l'idôlatrie.
    Quant aux condamnations pour blasphème, c'est un reportage vu en fin d'année sur Saint Louis qui m'avait fait mesurer le fanatisme religieux de ce roi-là.On est loin de la justice à visage humain rendue sous le chêne et des aliments portés humblement par la main royale à la bouche effacée des lépreux.
    Une pensée pour le Chevalier de la Barre dont le procès s'appuya sur des témoignages tels que tu les décris : des "on dit".
    L'article du Figaro n'est accessible qu'aux abonnés.
    Nelly.

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    1. J'ai par devers moi un paragraphe à t'envoyer sur le juron spécifique "Jarni!" Quand à l'article consacré à "l'Art de l'insulte en Italie", je suis sûr que tu le liras avec gourmandise à ton prochain séjour parisien...
      Oui, je sais pour l'article du Figaro que j'ai consulté pour ma part dans sa version papier. Mais je voulais vérifier combien de mes lecteurs étaient abonnés au Figaro :))

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