samedi 16 mai 2015

tête et pieds

Elle est toujours très intéressée par mes chaussures, qu'elle commente.
Souvent elle compte quelque chose, par exemple le nombre de reliefs
sur leurs flancs ou celui des allers retours de lacets.
L'adaptation à la maison de retraite ne concerne pas que ma mère et notre famille, mais aussi le personnel du lieu.
Ma mère est une personnalité un peu atypique pour eux, et je ne serais pas surpris que dans deux mois ils nous convoquent pour nous annoncer qu'ils en ont marre. 


De mon observation, il semble qu'elle soit plus agitée que les autres pensionnaires : certains sont là car ils nécessitent une assistance au quotidien mais ils ont "toute leur tête" ; d'autres vivent, comme elle, un pied dans la folie, sur un mode cependant assez placide et ceux que j'ai rencontrés étaient, en outre, immobilisés dans des fauteuils roulants.

Elle, la nuit, se promène dans les étages, pénètre parfois dans les chambres, réveille les autres pensionnaires ou essaye leur habits, subtilise ceux qui lui plaisent.
Dans la journée, elle est vive et, agacée par la porte du rez-de-chaussée qui donne sur la rue mais nécessite un code pour sortir, elle s'invente des rendez-vous à l'extérieur.
- "Quand vous êtes là, elle est calme, me dit une infirmière avant-hier soir, mais sinon elle veut toujours sortir."

C'est vrai qu'avec moi elle est assez calme.
On joue aux cartes, à la bataille. Alors qu'avec un enfant on aime à constater ses progrès, avec ma mère je finis par m'émerveiller de ce qui n'est pas détruit. Par exemple : elle sait encore compter jusqu'à trente-deux, au moins. Et la plupart du temps elle reconnaît quelle est la carte la plus forte.

Je mets à profit ces heures sans objet pour m'occuper de ses pieds qui sont en mauvais état. Peau sèche, callosités, ongles peu soignés, épaissis par les mycoses..., il y a de quoi se "distraire". Je l'installe dans un fauteuil, lui donne un bain de pieds, puis à genoux, m'attaque ensuite à la tâche. Elle ne cesse de commenter : Mais tu vois tout ce que je t'oblige à faire! C'est dingue tout ce que tu travailles! Quelle patience tu as. Etc.

Un moment, toujours à genoux sur le tapis, occupé à limer ses ongles, je tourne la tête vers elle, intrigué par son silence, me demandant si elle s'était assoupie.
Elle, en souriant :
- Tu vérifies si je suis toujours en haut ?

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