jeudi 15 décembre 2016

la guerre (suite)

Septembre 1959. Benoist Rey arrive en Algérie.

"[...] Le commando se scinde en deux : deux sections descendent vers un oued. Le jour est levé quand le ratissage commence. cette région est une zone interdite, c'est-à-dire que les gens n'ont pas le droit d'y habiter ou d'y travailler. C'est un moyen pour l'armée de la contrôler. Chaque habitant qu'on y trouve est suspecté d'être au F. L. N. Mais les gens sont trop attachés à leur maison, à leurs bêtes, à leur lopin de terre, à leurs morts, au paysage qui les entoure, pour gagner les postes français.
L'ordre nous est donné de tout "cramer", de tout brûler. [...] Bientôt toute la vallée est en feu. Les femmes hurlantes, traînant ou portant les enfants, fuient vers la piste où nous sommes. Un vieil homme est resté à la porte de sa maison. Un soldat l'égorge.[...]
Et nous repartons. [...] Nous approchons d'un autre village. J'entends alors l'aspirant P... crier à sa section : "Vous pouvez violer mais faites ça discrètement." Même déroulement : on incendie les maisons ; les mulets ne sont pas comestibles, on les abat ; on ne peut pas emmener les cruches de terre cuite ornées de motifs grossiers, on les casse. L'aspirant P... qui a dû voir mon trouble, me lance : "C'est ça la pacification. De toutes façon, les Arabes ne sont bons qu'à être descendus." [...]" (Pages 18-19)

En novembre, le capitaine B..., à la tête du commando, "un ancien officier de la légion, un dur", rentre de permission. Après avoir questionné les nouveaux venus, dont fait partie Benoist Rey, il propose à celui-ci de devenir infirmier. Rey accepte volontiers et continue de noter ce qu'il voit.

"Et tant d'autres mots qui font d'un homme un instrument précis et meurtrier, tel ce parachutiste qui me racontait à Philippeville : "Là où nous passons, il ne reste plus rien. Pas de prisonniers. On dépouille les cadavres : dents en or, montres, argent, chaussures, vêtements... Un jour on a découvert un hôpital rebelle souterrain. On a achevé tous les blessés et les malades. C'était marrant..." (Page 31)

Un hôpital rebelle : les algériens sont les rebelles du moment.

"Lors d'un ratissage, un autre commando a blessé accidentellement un jeune garçon d'une dizaine d'années - une balle dans le bras, une autre dans le poumon. Un sergent, réputé pour sa dureté, un vrai baroudeur, l'a pourtant remonté sur la piste où nous attendent les camions pour rentrer. Mais le commandant de compagnie a refusé de l'évacuer. L'enfant est laissé sur le terrain.
Le lieutenant-colonel B... nous attend sur la route. Nous avons déjà fait fuir à  coups de fusil les femmes courant après leurs hommes prisonniers. Il nous ordonne d'ouvrir le feu sur un troupeau de vaches : "Allez, tirez, tirez!" crie-t-il. Les bêtes s'écroulent, une à une. " (Page 37

"Embuscade géante, par demi-sections, dans la zone du sud de T... Tous les gens ramassés sont dirigés vers notre section de commandement, ou le sergent G..., pied noir de Oran, interroge, aidé de ses harkis. Comme d'autres compagnies font un vaste bouclage, les gens, apeurés, se réfugient dans la forêt où nous attendons et se jettent dans nos filets.[...]
D'autres gens arrivent. Un père, déjà vieux, soutient son fils, vingt ans à peine, tuberculeux. Tous deux marchent difficilement. A l'heure de "décrocher", de rentrer au camp, les hommes nous accompagne jusqu'à T..., pour un contrôle d'identité. Le père et le fils ont du mal à suivre. Comme nous marchons vite, ils nous retardent. Ils sont égorgés sur place, dans la forêt, tandis que les avions de chasse s'éloignent. Tout le monde est d'une humeur parfaite." (Page 47)

Extraits de Les égorgeurs, de Benoist Rey, éditions de Minuit, réédité aux éditions Libertaires.

1 commentaire:

  1. Ton post sur noël en côtoie 3 sur l'horreur de la guerre. C'est la réalité.Et il n'y a aucune raison de l'édulcorer au sapin-guirlandes-cadeaux.
    Merci de mettre des mots et de nous rappeler à notre humanité à partir de notre barbarie. Cela me rend immensément triste!
    Si seulement tu pouvais être entendu...mais j'ai l'impression que c'est le genre de vœux pieux que l'enfant en moi fait encore, celui qui croyait, en son temps, au petit Jésus de Noël!

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