dimanche 14 avril 2019

de la fidélité

Par un drôle de hasard, plongé dans la paperasserie cet après-midi, je tombe, entre deux papiers qui n'ont rien à voir, sur le ticket d'entrée havrais du spectacle Dance With Dinosaurs, que j'évoquais hier.

Evidemment cette découverte m'interroge sur la question de la trace, sur celle de la fidélité aussi, motifs qui m'invitent à évoquer un autre personnage, aperçu au Théâtre de Vanves jeudi soir, que j'ai déjà cité ici dans ce blog, Yves-Noel Genod.

J'ai l'habitude que l'on ne se souvienne pas de moi, et d'une certaine façon, cela me convient parfaitement. Je n'ai pas un physique saisissant, et je suis rarement celui qui se fait remarquer. En revanche, que quelqu'un avec qui j'ai partagé une certaine intimité ne se souvienne pas de moi, cela me surprend. 
C'est ainsi qu'en 2011 ou 12, je ne sais plus trop, j'avais eu plaisir à aller voir un spectacle de Yves-Noel au Théâtre de la Bastille, heureux de sa réussite de metteur en scène, c'était, je crois, la première ou la deuxième fois qu'il était programmé à Paris même. Nous ne nous étions pas vus depuis des lustres, mais ayant quelques amis en communs, j'imagine qu'il avait de mes nouvelles comme j'avais des siennes.
Après la représentation, le hasard nous avait réunis dans le même restaurant, et Yves Noel avait feint de ne pas me reconnaître, ou ne m'avait pas reconnu réellement. J'étais en compagnie de mon amie Fabienne, à laquelle il avait joué un tour pendable peu avant, se désistant au dernier moment d'une pièce qu'elle mettait en scène, et j'avais imaginé alors qu'une forme de gêne pouvait aussi expliquer cette distance et cette amnésie. Bien qu'il puisse être coutumier du fait puisque je l'avais moi-même remplacé dans le passé pour la tournée d'une chorégraphie qu'il n'avait pas souhaité honorer...

Deux Polaroids rephotographiés aujourd'hui. A gauche un autoportrait,
à droite Yves-Noël. On avait fait ces photos chez moi, en 1989, dans un atelier
d'artiste situé le long du bassin de La Villette.
Le revoir au Théâtre de Vanves m'a troublé. Bien sûr son regard s'est posé sur moi sans s'attarder, tandis que je calculais que trente années séparaient ce moment de notre lointaine rencontre. Contrairement à moi, à son habitude il faisait tout pour être remarquable, depuis son attitude jusqu'à son look : ses cheveux facticement blonds, un chapeau brun Yohji Yamamoto et un ensemble vert d'eau - sûrement griffé lui aussi - lui donnaient l'allure d'un personnage de cartoon.
J'étais étonné de voir son visage vieillir ainsi : je l'aurais imaginé se creusant, s'émaciant, je le voyais plutôt plein, rond, comme gonflé de savantes piqures.

Le sachant très très prolixe sur les réseaux sociaux, je suis allé sur son blog voir s'il relatait quelque chose du spectacle de danse regardé ensemble jeudi. Rien.
En revanche, lisant ça et là plusieurs textes, je découvrais dans l'un qu'il se plaignait qu'on l'oublie ("tous mes amis ont maintenant des postes — et, quand un ami accède à un poste, notre amitié disparait de son champ de vision"), puis, dans un autre, qu'il situait sa naissance dans les années soixante-dix, ou quatre-vingt selon comment on comprenait la phrase "nous ne sommes plus dans les années soixante-dix qui ont précédé ma naissance". Assez surpris, j'ai consulté sa fiche Wiki, pour apprendre sa date de naissance "présumée" : 1972. Il aurait donc eu, quand nous nous sommes rencontrés, 17 ans. Fichtre, il ne paraissait pas si jeune...

Des traces et de la fidélité. On peut difficilement vouloir effacer les première sans sacrifier la deuxième.


Un autre Pola pris le même jour,
à la lumière rouge également.


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