samedi 30 janvier 2021

pan dans les dents

Je suis retourné chez le dentiste. Ça faisait très longtemps que je n’y avais pas mis les pieds, ou plutôt les mâchoires. Ce n’est bien sûr pas un événement, même en ces jours de réduction d’activité où tout devrait se téléréaliser.

Pourtant « aller chez le dentiste » fait tout de même figure d’événement pour moi, ce terme n’étant  pas à comprendre comme « fait extraordinaire », mais comme une situation signifiante, voire même à significations multiples. Situation susceptible d’être répétée et donc de contenir de l’identique et du différent : c’est ici que peuvent se révéler l’immobilisme et la nouveauté. 
Quelques indices pour donner une idée des processus à l’œuvre dans mon cas : des ancêtres dentistes, mais du côté adoptif (non biologique), et donc des questions de racines... Bref...


Je retrouve avec surprise le cabinet quasiment inchangé, si ce n’est un tableau supplémentaire accroché dans la salle d’attente (ici aussi, le connu et le nouveau). J’imaginais le praticien m’accueillir en combi de cosmonaute anti-Covid : pas du tout. Cette bonne mesure me rassure.
Rapidement il émet un diagnostic concernant le problème dentaire. Je m’entends lui suggérer une option, la solution la plus onéreuse et la plus coûteuse au regard de la durée des interventions et fatalement de la douleur et de l’inconfort inhérents. Puis, gêné, je lui glisse maladroitement : « Enfin, excusez-moi, c’est plutôt à vous de me dire ce que vous pensez qu’il faut faire. »

Comme j’ai des décennies de pratique derrière moi, ma suggestion n’a rien d’absurde et nous nous mettons d’accord sur ce projet. On prend un rendez-vous pour une séance dont la durée prévue sera de deux heures. La chose me paraît à peine inquiétante.

Le jour J, j’ai beau faire, je ne suis ni réservé ni frileux. Sur le fauteuil, presque allongé, je m’étonne de recouvrer mon habituelle maladresse à trouver une position agréable. 
Une fois l’anesthésie réalisée, le travail n’est pas mince. Le dentiste doit s’acharner sur trois couronnes, arracher une racine, intervenir sur la gencive, la recoudre... Côté gymnastique faciale, je donne de ma personne! 
Pendant tout cela, mon regard balaye le plafond. J’ai devant moi cette même lampe que j’avais prise en photo pour un billet datant de mars 2012, luminaire qui m’a toujours paru ressembler à un insecte ou un E.T. et qui m’est cette fois plutôt amical.
Je m’interroge vraiment sur le peu de difficulté avec lequel je vis le moment présent. Je pense à une amie à qui j’ai recommandé ce praticien, et qui, contrairement à ce que j’avais pu imaginer, l’adore. J’allais écrire  « c’est à ce moment que je réalise la confiance que je porte à ce dentiste », mais c’est parfaitement inexact. J’ai déjà pris conscience de cette confiance, je l’ai même déjà clairement formulée, à lui et à d’autres. Non, je prends la mesure de cette confiance singulière ne se situant pas sur le plan affectif, mais qui permet ce consentement dont mon corps est l’enjeu. Je me prends à rêver que je suis un nourrisson sur ce fauteuil de dentiste, vigilant à ce qu’on prenne soin de son corps, des manifestations émanant de lui.

Et en même temps que je fais le triste constat qu’il y a peu de personnes en qui j’ai confiance, je m’amuse à penser qu’une partie de ma sexualité a bien à voir avec cette dimension-là, rejouer quelque chose de la confiance dans l’incarnation. La chair.

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