vendredi 28 octobre 2011

R Will Not Be Televised

J'avais très envie de vous parler de Van Gogh et de Georg Baselitz, de mon avancée dans mes projets immobiliers, de ma non-Fiac de cette année, d'un génie de l'informatique qui est décédé il y a peu, qui ne s'appelle pas Steve Jobs mais Dennis Ritchie et dont j'ignorais tout avant de découvrir sa vie et sa mort par l'intermédiaire du blog de ce bon maître eolas (et de ses commentateurs)...
Et puis il y avait les élections tunisiennes qui avançaient, puis soudain les photos de Kadhafi qui surgissent partout sur le Net, d'abord celle où il apparaît tout ensanglanté comme un pantin désarticulé ; et puis celle où il est exposé, nettoyé, sur un pitoyable matelas taché avec une couverture du bled à motif de grosses fleurs blanches, comme attendant une vieille mère pleureuse qui viendrait lui passer une dernière fois la main dans les cheveux, sur le visage, alors que ne défilent que des hommes rieurs, bruyants, qui braquent leur téléphone portable vers son visage cireux. 
Bref, de drôles d'images de révolution qui m'amènent à mettre ici en ligne un titre fameux d'un autre disparu de l'année (eh oui, qu'y puis-je ?), Gil Scott-Heron : The Revolution Will Not Be Televised.





On trouve sur Internet plein de versions de cette chanson : en haut une version qui balance, ci-dessus, une version sans musique enregistrée en public en 1982.

En haut, dans le texte, j'ai collé un lien vers un article de The Economist paru sur Dennis Ritchie de son vivant. Et un autre vers un blog tunisien, vu sur le site de S. Nony, que j'ai mis aussi à droite dans la liste de favoris, car c'est toujours intéressant d'entendre une parole directe sur les événements d'actualité qui ne nous parviennent que par le prisme des medias.

vendredi 21 octobre 2011

I became real


J'ai regardé un DVD que l'on m'avait prêté il y a un moment déjà, et que j'avais délaissé faute de temps. Je l'ai visionné en plusieurs fois, tranquillement, car il est en vo (anglais des États-Unis) et mes faiblesses avec les langues étrangères m'obligent dans ce cas à la lenteur, ce qui est plutôt agréable. Il s'agit d'un documentaire réalisé dans les années soixante-dix, 1977 exactement, qui donnait la parole à plus d'une vingtaine d'homosexuels, hommes et femmes, de tout style, âge, origine ethnique.


Ce qui m'a poussé à regarder ce film c'est ce que j'écrivais ici l'autre jour. Évoquant le tragique
17 octobre 1961, j'indiquais : c'est mon époque. 
Quelques mois après ma naissance, on peut juger cela exagéré. Mon époque, ne serait-il pas uniquement ce dont j'aurais eu conscience de façon contemporaine ? Mais je ne peux m'empêcher de penser que ma position est la bonne : j'ai la conviction d'avoir été façonné, nourri, par tout mon environnement, quand bien même je n'avais pas d'yeux pour le voir, pas l'usage de la marche pour le parcourir, pas les données pour le comprendre.
Tout ce qui concerne les années soixante-dix prend, à cet égard, une saveur particulière (par rapport aux sixties), puisque j'ai, dans ces années-là, quitté la petite enfance et que je traverse l'adolescence. 
J'ai alors du monde qui m'entoure une vision fragmentée, une perception faussée par mon ignorance, mon milieu, mon manque d'expérience. Pourtant j'affronte cette réalité, je la confronte avec mes désirs, mes peurs, mes interrogations.

J'aime toujours, aujourd'hui, rencontrer à nouveau ces années soixante-dix. J'ai parfois l'illusion de découvrir de nouveaux pans d'un décor devant lequel je serais passé sans tout voir : à d'autres moments en revanche je reconnais profondément, intimement, que tout cela parle de moi quand bien même je ne savais rien du monde (et que ce monde était sans doute en moi autant que moi en lui).
Le Mariposa Group qui a réalisé le film.
L'édition de ce DVD est une édition anniversaire, réalisée à l'occasion des trente ans du documentaire (si je continue je vais oublier d'en donner le titre, c'est Word is Out). Le film est donc enrichi de bonus, notamment des interviews, trois décennies plus tard, des personnes qui s'étaient déjà prêtées au jeu des questions réponses face caméra. Certains intervenants, déjà âgés lors du tournage, sont décédés ; d'autres, pourtant jeunes à la même époque, sont morts aussi : l'épidémie du sida est passée par là.
Le film tente de sortir l'homosexualité d'une série de stéréotypes en misant sur la diversité des personnes filmées, et pointe la violence de la société à leur encontre. Qui, "découvert" par son beau-père se retrouve en cure d'électro chocs à l'hôpital, qui, "démasquée" par son père se retrouve dans les mains de médecins pour qui la cure de laitues est souveraine contre le lesbianisme...
Mais surtout il souligne comment l'acceptation personnelle et la reconnaissance de l'homosexualité par la société permettent à chacun de se sentir "entier". Grâce à la complicité de l'équipe de cinéastes avec les interviewés, le film évite la pesanteur des films militants, et c'est plutôt en parlant d'amour que chacun parle des droits civiques. Du coup le propos dépasse la question de la sexualité et s'élargit sur l'affirmation de soi et le droit d'exister avec ses différences. On se prend à les aimer tous, moi je voudrais tous les avoir rencontrés en chair et en os.

Betty Powell : "the reality was you love another woman
and the world calls that 'lesbian' and
the world doesn't like lesbians"

Un des participants, Michael Mintz (allongé), avec son ami.
À cela s'ajoute le style de l'époque, – maquillage, fringues, canapés à ramages..., et musique. Il y a quelques extraits musicaux d'un groupe de San Francisco nommé Buena Vista qui sont savoureux, tee-shirt emmanchure chauve souris à décolleté sur torse poilu et tortillements du bassin... J'ai trouvé une série de photo à son sujet, c'est là. Il y a aussi des vidéos disponibles sur Internet, qui sont moins amusantes que celle du DVD car on y voit moins le dénommé Michael Gomes qui donne de sa voix suraiguë.
Cerise sur ce gros gâteau, il existe un site concernant ce DVD, où certains internautes (onglet share your stories) témoignent de ce que leur a apporté le film, soit quand ils l'ont vu à sa sortie, soit à l'occasion de cette édition. L'un d'eux écrit : "when I saw the film, I became real. I became a real person. I knew what I was was real."

lundi 17 octobre 2011

un abri

Il y a un peu moins d'un an que j'étais parti en Thailande visiter ces sites maintenant à demi sous l'eau.
À cette même époque, Farid et Lætitia (le jeune couple sdf) vivaient encore dans la rue, à la recherche d'un abri. Ils avaient la promesse d'un hébergement avant l'hiver et, à mon retour de vacances, ils avaient disparus. À ma connaissance, ils ne sont jamais repassé dans le quartier. Je repense souvent à eux devant le supermarché où ils faisaient la manche. Trouver un toit, se mettre au sec ; les réalités sont multiples.






Alternance de photos de vacances fin 2010
et de photos d'actualité.

Ces premiers jours de froid sont aussi l'occasion d'une célébration, celle du 17 octobre 1961. Cinquante ans. J'avais quelques mois à cette époque, et c'est pourtant mon époque ces années soixante en noir et blanc. Pour s'en souvenir, il y a toujours le documentaire Maurice Papon, itinéraire d'un homme d'ordre, réalisé par Emmanuel Hamon et co-écrit par  Marc Olivier Baruch, déjà cité ici.


Photo Mehdi Fedouach/APF.

dimanche 16 octobre 2011

zoom

Deuxième tour des primaires socialistes.
"C'est ainsi que la même chose, chacun la juge d'après sa position : c'est dans des termes aussi opposés que parlent de l'état actuel de la société des personnes également respectables qui veulent suivre des routes différentes pour nous conduire au bonheur. Mais chacun prête des ridicules au parti contraire."
Stendhal, avant propos de Armance (coll. Folio, Gallimard, 1975).



J'écris peu, c'est notable, assez absorbé par la recherche d'un appartement, tâche ingrate qui brûle beaucoup d'énergie. Depuis que j'ai vraiment commencé cette recherche, il y a en réalité un mois seulement, j'ai visité neuf logements, en comptant celui que j'ai vu hier en fin d'après midi. Ce n'est pas si mal, vraiment, tout cela avec dernièrement une semaine de travail assez dingue puisque nous devions (problème d'imprimerie) réaliser en trois jours ce que nous bouclons d'habitude en cinq : grosses journées.
L'encombrement de mon emploi du temps avec cette activité immobilière sans grand intérêt laisse peu de place à des choses susceptibles d'être partagées ici, sans me priver toutefois d'un lot de petits bonheurs difficiles aussi à relater sur ce blog.
L'autre jour par exemple – comment restituer cette impression fugace ? – : je suis attablé dans un restaurant pizzeria dont les baies vitrées donnent, sur le boulevard, sur un kiosque à journaux. C'est un endroit où je vais, sinon fréquemment, du moins régulièrement. J'ai noté que tout le personnel qui sert en salle est blanc alors que tout le personnel qui travaille en cuisine est noir, et c'est d'autant plus frappant que la cuisine est volontairement à vue des clients.
Les uns et les autres sortent fumer des cigarettes à l'extérieur, ils ont installé un siège sous un porche qui jouxte l'établissement de l'autre côté de la salle où je me trouve maintenant. Soudain je remarque qu'avec le kiosquier, le personnel du resto et d'autres personnes du quartier (des magasins alentours ?) s'est créé une vraie convivialité. Certains viennent fumer leur cigarette de ce côté-ci, discutant, blaguant chahutant même avec ce kiosquier et l'espace d'un instant j'ai l'impression d'être dans un livre de Paul Auster (que pourtant je ne goûte guère) ou dans l'un de ses films, Smoke. En sortant je remarque qu'il y a aussi un sdf qui est allongé le long de la devanture, avec une bouteille, et qui participe activement aux conversations et à cette petite vie qui tiendrait dans l'objectif d'une caméra.





mercredi 12 octobre 2011

bien ou mal vu

Certaines personnes m'ont demandé pourquoi, dans le billet "Chambre noire" daté du 30 septembre, j'avais précisé que je n'avais pas vu l'exposition de Denis Dailleux. C'est une petite coquetterie pour me démarquer des pratiques pénibles que l'on voit aujourd'hui ici et là, c'est-à-dire un peu partout.
Il est sans doute difficile de croire, à ceux qui sont extérieurs à la presse, que bon nombre de journalistes écrivent des articles sur des expositions qu'ils n'ont pas vues. 

((   Certains écrivent aussi sur des livres qu'ils n'ont pas lus ; certains, comme l'a montré récemment la fameuse affaire Macé-Scaron, n'écrivent même pas les articles qu'ils écrivent sur les livres qu'ils n'ont pas lus (et ne prennent pas non plus la peine d'écrire leurs propres livres, ce qui, avouons-le, est plutôt un signe de clairvoyance puisqu'ils reconnaissent ainsi que d'autres le font mieux qu'eux, ou aussi mal). Fermons cette satanée parenthèse.  ))

Il y a une "bonne" raison à cette bizarrerie, ce sont les délais de fabrication. S'il s'agit de commenter une exposition dans un hebdomadaire ou un mensuel, on ne peut quasiment jamais avoir vu l'exposition au moment où il faut livrer l'article, ou même l'avant-première généralement réservée à la presse quelques jours avant. Avec le temps nécessaire à fabriquer un magazine, si on attend l'ouverture de l'exposition pour écrire son article, il paraîtra au mieux une semaine après le vernissage : pas terrible.
Dieu merci il est des journalistes consciencieux qui s'appuient sur leur connaissance antérieure de l'artiste pour décrypter, avec des informations complémentaires, la nouvelle exposition proposée. Certains prendront l'option d'une interview ou d'un portrait, façon de donner de la matière sans pour autant commenter une expo non vue. Bref, il y a mille façons de faire son travail de façon honnête même dans ces circonstances.
Cependant nombre de journalistes recopient bêtement le dossier de presse, sans se poser de questions.

Photo de Paul Strand (Aveugle,1916, Metropolitain
Museum of Art, New York)
saisie sur le blog blindflaneur.com


La presse journalière échappe un peu, ou devrait échapper, à ce genre de pratique. En effet avec des délais de fabrication réduits à une journée, le journaliste peut être réactif et rendre compte de l'actualité culturelle presque instantanément (atout précieux notamment pour le théâtre et le spectacle vivant en général). Que dire des blogs alors ! Encore plus véloces !
Et pourtant. L'habitude est prise de commenter tout et rien depuis son siège, recopiant une ligne ici piochant une expression là. Combien de fois ai-je lu des compte-rendus d'expos signés de journalistes que je savais n'avoir rien vu, puis découvert que leur article paraphrasait naisement (et sans complexe !) le dossier de presse...
Enfin, rien qui ne ressemble ni à du journalisme, ni à de l'intelligence.


Bientôt je l'espère, ici, des nouvelles de l'expo Georg Baselitz sculpteur au musée d'Art Moderne de Paris...

jeudi 6 octobre 2011

réponse

Ivan Tourguéniev voit le jour le 28 octobre 1818, à Orel, en Russie, dans une famille aisée, aristocratique. Études secondaires puis études de lettres à Moscou. À la mort de son père, en 34 – il a donc 16 ans –, il est inscrit à l'université de Saint-Pétersbourg. Le jeune homme voyage – il maîtrise plusieurs langues grâce à l'enseignement des précepteurs de son enfance – mais c'est à Saint-Pétersbourg encore qu'il va rencontrer la cantatrice Pauline Viardot. Il s'en éprend, il a 25 ans, elle en a 22, connaît déjà la célébrité. C'est la sœur de la Malibran ; la musique est une affaire de famille et les enfants que Pauline aura avec son mari, Louis, directeur du théâtre des Italiens, suivront aussi cette voie. 

Deux ans plus tard, nous sommes en 1845, Ivan rejoint Pauline à Paris. Puis encore deux ans plus tard (1847-49) puis encore (1856). C'est l'amour d'une vie dirait-on, situation d'autant plus complexe qu'Ivan est un sincère ami de Louis, le mari de Pauline, lui aussi cultivé, lettré et polyglotte. Jules et Jim ? La situation est encore plus atypique : Pélagie, une enfant que Tourguéniev a eue avec une domestique en Russie, sera en partie élevée par le couple Viardot, et renommée Paulinette...
Pauline avoue à Ivan une autre liaison. Il s'enferme dans la tristesse, détruit ses manuscrits.

C'est aussi un homme de conviction. Tôt, il s'est ému de l'inégalité sociale et du sort des serfs. Il lui est arrivé de racheter une servante pour la libérer. En 59 il met en place un fond fonds littéraire pour aider les écrivains démunis, en 60, il partage ses terres avec les paysans. On le voit encore en France, en Russie, en Italie, à Londres. Puis il s'installe rue de Rivoli, à Paris.
Finalement il va rejoindre le couple Viardot à Baden-Baden.

C'est en 1864 qu'Ivan Tourgueniev publie Apparitions dans la revue l'Époque. C'est son premier texte fantastique. Il a déjà écrit quantité d'ouvrages, les Mémoires d'un chasseur, traduit en français en 1858, Le journal d'un homme de trop, Nid de gentilhomme, Premier Amour, Pères et Fils...
Apparitions est le récit d'escapades nocturnes que le héros fait avec une "blanche figure de femme", "transparente comme un brouillard" qui surgit une nuit à son chevet. Elle l'attire, il frissonne, une attraction-répulsion forte s'installe de suite entre l'homme et celle qu'il qualifie de fantôme.
"Donne-toi à moi" exige-t-elle. "Je ne te ferai pas de mal. Dis seulement ces deux mots : Prends-moi."
Voilà comment le désir de cette muse "sans corps" s'exprime. Le narrateur accepte et à peine elle l'enserre, le couple s'élève dans les airs. L'apparition, qui répond au nom d'Ellis, va emporter le narrateur où il le souhaite, à sa guise. 
C'est au cours d'un de ces extravagants voyages qu'ils survolent Paris, occasion de la description dont j'ai publié un extrait précédemment, le 29 juillet.


En 1872, Ivan Tourguéniev s'installe à Paris rue de Douai, avec les Viardot. C'est aussi à leurs côtés, dans leur propriété commune de Bougival, qu'il meurt en 1883.

La datcha de Bougival : sur le domaine des Fresnes,
acquis en 1874, se dresse une maison de style italien,
demeure des Viardot, et la datcha que fit construire Tourguéniev,
aujourd'hui transformée en musée.

mardi 4 octobre 2011

promesses


J'avais promis dans un billet précédent des cartes postales grecques : les voici. En plus d'un faible pour les photos ratées, j'aime les cartes postales moches. La beauté moche a une force que ne possède pas la beauté belle, n'est-ce pas ?
Depuis des années c'est un rituel : dès que je pars en vacances je cherche une carte postale cocasse ou ringarde à envoyer mes collègues restés au journal. D'Athènes, j'ai posté celle où on voit une femme en toge brandir un simulacre de flamme olympique... sauf que le cadrage coupe cette flamme précisément. C'est drôle. À droite, sur l'original on voit clairement qu'un morceau de colonne a été ajouté en surimpression pour masquer quelqu'un ou quelque chose qui devait faire tâche sur l'image...
La carte de gauche a sa bizarrerie aussi : le photographe a choisi un angle de prise de vue tel que l'on ne sait pas si la main pointe vers le bas un index tendu ou si c'est le sexe du cavalier que l'on aperçoit.
J'ai réservé la plus étonnante à mon ami Christophe : c'est une photo de grotte (je ne sais où), et les couleurs souffrées – jaune, vert, ocre –, légèrement outrées, semblent sortir de la palette de Jean Lurçat.


Qu'avais-je promis d'autre ? La réponse à une devinette publiée le 29 juillet. Elle arrive... Quelques jours de rhume ont un peu ralenti ma fougue blogueuse...