jeudi 27 septembre 2012

Grrr...

J'avoue. La valise est encore dans l'entrée, la gueule ouverte comme une palourde agonisante, demi pleine demi vidée, entourée de débardeurs colorés, en boule, qui attendent ici leur passage en machine alors qu'ils devraient sagement s'entasser dans le panier à linge exactement créé pour.

C'est que moi aussi j'ai un peu l'humeur en boule, chiffonnée, marquée d'eau salée. Ce fichu séjour à Ibiza a passé trop vite, et c'est la première fois que je me trouve de mauvaise humeur de retour de vacances. Et ce n'est pas, évidemment, la météo qui va me mettre du soleil en tête.

Repenser, devant ma salade de fruits Cojean, qu'il y a quelques jours le charmant A me cueillait des figues sur l'arbre qui pousse à côté de l'arrêt du bus, non loin de la plage quasi sauvage. Repenser, devant l'écran bleu de mon ordi, aux poissons joueurs qui s'approchaient si près de mon visage, sous l'eau, tandis que je les appâtais de petits morceaux de pain.

Il a fait beau. Chaud. (Un éclair jaune allais-je écrire, quand le souvenir du Petit prince a troublé cette image.) Alors une parenthèse, mais si serrée (), presque un zéro, un o dans l'eau. O bleu.
Et pas pris le temps d'envoyer une seule carte postale. Pour me faire pardonner, ci-dessous, le chemin de la plage.

jeudi 13 septembre 2012

ibiza


 « Dans le même temps le nombre de touristes venant à Ibiza augmente considérablement – 350 000 en 1970, huit fois plus qu'en 1961 – et la "fièvre de l'or" immobilière s'est emparée de l'île. On y construit à tout-va, y compris n'importe quoi n'importe où et n'importe comment.
   Le régime franquiste est à bout de souffle et prend fin en 1975 avec la mort du dictateur [...].
   C'est précisément au milieu des années 1970 que s'ouvrent les temps d'Ibiza la fête : au croisement de la culture hippie, de l'invasion touristique et de l'explosion de la "transition" (la Movida).
   Le Pacha ouvre à Ibiza en 1973. C'est au départ une simple succursale du Pacha de Sitges ouvert en 1967 sur la Costa Brava par le chef de famille qui en est encore propriétaire, Ricardo Urgell. Le club ouvre dans un no man's land au nord de la ville, de l'autre côté du port, passé la zone de cultures maraîchères de Ses Feixes et au milieu des marécages pleins de moustiques, alors que le port n'a pas encore été agrandi. L'investissement ne coûte pas cher. Sur le moment personne ne pense que l'endroit a le moindre avenir tant il est excentré et dans une zone inhospitalière quasi vide de constructions. Excellent pari de son fondateur, le Pacha se retrouve aujourd'hui en plein milieu du quartier luxueux de la marine de Botafoch, le port de plaisance privé créé pour agrandir le port, dans une  zone pour résidents riches et maintenant pour les people un peu âgés comme le père du président Sarkozy.»
Extrait de Ibiza mon amour, enquête sur l'industrialisation du plaisir, de Yves Michaud, éditions Nil.

À gauche et en haut, photo tirée d'un livre de photo de 1967
que je viens d'acheter et dont je reparlerai, au centre, carte postale et, à droite,
photo glanée sur le Net (Alberto Loyo/Photaki.es). Alors que les modifications
 de la ville sont peu visibles sur les images, on note clairement l'expansion du port
et les constructions qui l'entourent maintenant.


mercredi 12 septembre 2012

acceptance, forgiveness and love

Ce week end j'ai regardé un ancien Woody Allen que je n'avais jamais vu, Broadway Danny Rose. Je ne savais pas à quoi m'attendre et j'ai été extrêmement surpris de ce film, extrêmement charmé. A-t-on déjà vu ça ? C'est un long plaidoyer pour la tendresse, la gentillesse, le désintéressement (bien loin de la stupide une de presse, "casse toi riche con" que je découvre lundi matin sur mon iPhone et qui – mais c'est sans doute parce que je suis vieux et triste – me paraît choquante, inutile, violente). 
Filmé en noir et blanc, sorti en 1984, Brodway Danny Rose débute et se termine au restaurant Carnegie Deli. 

Au départ, une bande d'acteurs comiques attablés se remémorent les tribulations de Danny Rose (Woody Allen), manager de performers plutôt désuets sinon losers (sculpteurs de ballons de baudruche, dresseurs de perruches pianistes etc) et l'une de ses mésaventures en particulier qui donne prétexte à un flash back se déroulant en 1969.

Le personnage de Danny Rose, gentiment ringard – chemise à motifs et pendentif doré en hébreu – s'investit dans le come back d'un chanteur, auteur d'un ancien et unique succès qui tente de surfer sur une vague rétro nostalgique. Pour se faire, Danny Rose doit chaperonner la maîtresse de cet homme, Tina (Mia Farrow) qui, par malheur, a eu une aventure passée avec un mafieux. Quiproquo, maladresse,  course poursuite..., les péripéties du scenario n'ont d'autre intérêt que de mettre en situation les caractères opposés de Danny et Tina.
Mia Farrow joue la partition la plus éloignée d'elle qu'elle ait jamais jouée, perruque bouffante et immuables lunettes fumées sur le visage, fille un peu paumée qui tente de se protéger de tout pour s'en sortir. Danny Rose Woody Allen est au contraire un adepte de la culpabilité, moteur de toutes ses actions qui le pousse à vouloir prendre soin de tous ses petits protégés, ponctuant sa véhémence de dictons ou de sentences venus d'un oncle, d'un cousin ou d'une tante, dont le "acceptance, forgiveness and love", fil rouge du film.


C'est la capacité des personnages à produire de l'émotion qui est mise en avant – le mafieux amoureux est poète, le chanteur has been fait le show malgré tout, la fille paumée rêve d'être décoratrice – dispositif qui préfigure le chanteur sous sa douche du récent to Rome with Love où Allen est à nouveau dans le rôle d'un manager atypique.
Juste avant la scène devant le Deli (ci-dessus) qui boucle le flash back dans le film, se tient une scène de réveillon minable absolument merveilleuse, tous les pathétiques artistes de music-hall réunis autour d'une dinde surgelée pour la meilleure soirée qu'il leur ait été donnée de vivre : c'est freaks au paradis.  I love you monsieur Woody.

vendredi 7 septembre 2012

les Doltrucs

«    J'avais à l'époque une grande admiration pour Dolto, pour "Françoise", personnage central de l'École, la magicienne, celle qui, disait-on, opérait des miracles par son écoute. [...] Ce prestige augmenta à partir du congrès de Lille, alors qu'elle annonçait publiquement qu'elle prenait sa retraite pour se consacrer à la mise en ordre de ses notes. En vérité, pour lancer la prodigieuse opération médiatique qui allait doltoïser la France entière et eut pour effet de faire d'elle la papesse incontestée d'une certaine vulgarisation psychanalytique. Cette admiration ne résista pas à l'épreuve des faits. 
   [...] Je ne manquais jamais, sur le chemin de retour de l'hôpital de Meaux à Paris, d'écouter l'émission qu'elle animait chaque jour sur France Inter en compagnie de Jacques Pradel. Cette émission était riche en conseils que je me proposais de mettre en pratique, à présent que je disposais d'une consultation pour enfants au centre de Montrouge.
   Les deux complices évoquèrent un jour la question de l'énurésie, ce mal qui frappe les grands enfants qui mouillent encore leur lit pendant leur sommeil.
   "C'est un trouble facile à traiter, annonça Dolto. Comment ? En plaçant au chevet de l'enfant un verre d'eau. Si la chose ne marche pas, on remplace ce verre par un bocal renfermant un poisson rouge."
   J'étais tellement fasciné par la magicienne que pas un instant je ne me suis posé la question : qu'avait donc de freudien, de psychanalytique, ce magnifique bocal au poisson rouge ? Mais n'étais-je pas au début du long chemin de ma formation ?
   Le lendemain, un mercredi, jour de ma consultation pour enfants, je reçus un enfant de six ans, un petit Portugais qui souffrait d'énurésie. Je me frottai les mains devant une telle aubaine. Après un long entretien avec la mère et l'enfant, je sortis ma botte secrète : le verre d'eau au chevet. Mon intervention n'eut aucun effet, pas plus que le bocal au poisson rouge qu'en désespoir de cause j'administrai. Pendant son sommeil l'enfant finit par renverser le bocal sur sa couche, l'inondant copieusement cette fois. Il était temps d'arrêter les frais. Parlant à mes collègues de ma mésaventure, on me répéta la remarque qui  courait les couloirs de l'École :
   "Les trucs de Françoise ne marchent souvent qu'avec elle". »

Extrait de Le jour où Lacan m'a adopté, Gérard Haddad, Grasset 2002. Le livre existe aussi au Livre de Poche, collection Biblio essai.

Là ?! Quand ?

Quelle mouche m'a piqué ? J'ai subitement eu le désir de me plonger dans Lacan. 
Pas le Lacan théoricien des Séminaires et des Écrits, non, le Lacan praticien, analyste, le Lacan du 5, rue de Lille, à Paris. L'envie a dû naître de la lecture, au mois d'août, d'un ouvrage assez intéressant sur Freud et de quelques livres en revanche très médiocres écrits par des psys médiatiques ou cherchant à l'être : donc du désir par cousinage de sympathie et par réaction agacée.

J'ai délaissé momentanément un autre bouquin satisfaisant, Ibiza mon amour, de Yves Michaud, sous-titré "enquête sur l'industrialisation du plaisir", que je lisais avec gourmandise pour anticiper mes prochaines vacances sur l'île.

Dans cet ordre-là, j'ai lu :
- Jacques Lacan, 5, rue de Lille, de Jean-Guy Godin (1990)
- Une saison chez Lacan, de Pierre Rey (1989)
- Le Jour où Lacan m'a adopté, de Gérard Haddad (2002).

Le premier m'a un peu intéressé, le deuxième m'a tiré des baillements et j'ai dévoré le troisième comme on avale un roman policier, pressé de dégager des plages de temps rien que pour moi afin de retrouver le tête à tête avec le livre. Happé par un suspense qui n'existe pas : alors quoi, que va-t-il se passer ? Haddad arrivera-t-il a mener à bien sa passe ? Alors, Haddad va-t-il divorcer ou ré épouser sa femme ? Alors quoi, Lacan va-t-il mourir ou bien est-il éternel ? À cette dernière question les deux réponses sont sans doute possibles.


Le livre de Godin m'a donné quelques indications sur la manière de Lacan, certaines que j'avais perçues, d'autres que j'ignorais, positives et négatives. Celui de Rey m'a plutôt indisposé : outre le portrait de Lacan, Rey y dresse le sien avec une complaisance absolument insupportable et par-dessus tout, parsème son propos de quelques réflexions psychanalytiques lacaniennes qui hésitent entre tentatives de vulgarisation et ânnonements de premier de la classe récitant son Lacan. Nauséeux.
Celui de Haddad a plein de qualités. D'abord c'est avant tout la narration d'une analyse, ce qui est une rareté : ça veut dire histoires des protagonistes, de la relation de transfert, des rebondissements liés à la cure (déménagements, changements d'orientation professionnelle, nouveaux engouements... ) Gérard Haddad bouge beaucoup et entraîne sa famille dans son sillage. Il se montre sans fard, très loin d'être toujours à son avantage (aïe, j'ai plaint sa femme, Antonietta, mille fois !!). La fin est très intéressante, avec la dissolution de l'Efp et Lacan en colosse vieillissant tandis qu'autour s'affairent les vautours de la jeune garde guettant la mort du maître.

dimanche 2 septembre 2012

projections

C'est l'anniversaire de ma mère dans quelques jours. Je vais la voir demain. Deux ou trois semaines se sont écoulées depuis ma dernière visite chez elle où je l'avais trouvée assez en forme d'une certaine façon, à nouveau diminuée d'une autre.
Son visage commence à ressembler maintenant à celui de sa propre mère. À part la mémoire, elle perd curieusement certaines facultés de raisonnement. Elle avait l'air, cette fois, déterminée à se faire suivre médicalement pour ces problèmes, mais je doute qu'elle persiste dans cette voie.


On discute à nouveau de ce qu'elle pourrait avoir envie de faire à la rentrée ; je tente de la persuader depuis longtemps de suivre une activité qui l'obligerait à des contacts sociaux, à une ouverture sur le monde, toutes choses qui me semblent propices à ralentir un certain vieillissement : gymnastique, cours de dessin, atelier d'écriture, cinéma... Tout y passe et rien ne la tente. Elle affirme qu'elle est heureuse chez elle à faire peu de choses, lire beaucoup, sortir pour quelques courses dans son périmètre bien connu. Finalement elle dit : "je vois bien que je ne suis pas comme vous aimeriez que je sois."

Je prends cette phrase dans la figure. Je n'ai jamais crédité ma mère d'une grande intelligence, ni d'une grande clairvoyance psychologique. Là, en revanche, elle épingle très clairement mes projections intimes sur la vieillesse. Elle ne se trompe pas sur mes intentions "louables", et elle ne les remet pas en question : mais elle me questionne sur autre chose.
Il est vrai que dans ma famille de centenaires, aussi bien du côté maternel que du côté paternel, les grands-parents et arrières-grands-parents ont toujours été des modèles de dynamisme, de présence au monde, aptes à transmettre. J'imagine qu'inconsciemment je jauge, sans la juger, ma mère à cette lumière qu'elle semble trouver trop crue pour elle. Je ravale mes grands discours, mes caisses de sollicitude, mes valises de "il faudrait que" et prends sa main ridée.
Une jolie petite pierre dans mon jardin que je garderai longtemps comme on garde quelquefois un galet ramassé sur la plage.

Je reçois ce soir un sms d'une amie qui a été voir la Vierge, les Coptes et moi, film que je conseille à qui veut m'entendre depuis mercredi soir. Elle se dit émue.
La bande annonce du film laisse penser qu'il est cocasse, drôle. C'est vrai. Mais il est surtout émouvant. Souvent d'ailleurs, le réalisateur lui-même semble partir d'un petit rire, s'évader par la dérision.
J'imagine que mon amie ML, comme moi, aura été touchée par la scène primordiale du film (on aimerait écrire la scène primitive), qui dure fort peu : celle où l'on raconte au réalisateur comment, à lui tout bébé que sa mère avait laissé au village pour partir en France, on expliquait qu'elle reviendrait, qu'elle réapparaîtrait, fidèle au portrait d'elle accroché au mur en pisé.