samedi 21 décembre 2013

kmer Noël

"Quand j'arrivais à Siemreap en 1965, le Cambodge vivait plutôt calmement à côté du Vietnam plongé dans la guerre, et, dans l'arrière-pays, malgré les incidents de frontières, les villageois demeuraient comme en dehors du temps. La Révolution culturelle couvait chez le voisin chinois. L'Europe encourageait partout ceux qui travaillait au renversement des vieilles sociétés féodales pour l'avènement d'un monde meilleur. L'intelligentsia de tous les pays conspuait l'engagement américain au Vietnam.
Moi je n'étais ni pour ni contre : ma pensée était ailleurs. [...] Sans que je ne me le sois jamais formulé, les seuls dieux qui vivaient en moi étaient américains : le dessinateur Saul Steinberg et le saxophoniste Charlie Parker... C'est dire qu'à mon arrivée en Indochine, j'avais peu de raisons de me reconnaître dans l'a priori hostile qui caractérisait la plus grande partie de la communauté française à l'égard des États-Unis.
Il apparaissait, au contraire, que les paysans qui m'entouraient, dont j'allais partager l'existence répétitive en m'établissant dans un village reculé d'Angkor, avaient tout à perdre de l'arrivée des communistes. Dans ma passion pour les religions et les coutumes du passé, que je voulais voir se perpétuer, j'aurais plus volontiers pris le contre-pied des idéologies en vogue. Mais écartelé sur place, très vite confronté aux plus absurdes contradictions, je fus réduit au désespoir. Des 1970, date de l'arrivée des Américains au Cambodge, et jusqu'en 1975, l'irresponsabilité de ceux que j'avais cru mes alliés dans cette impossible quête, leur immense maladresse, leur coupable et fausse naïveté, leur cynisme même, provoquèrent, sur le coup, plus de fureur et de révolte en moi que, bien souvent, le mensonge des communistes... Pendant ces années de guerre, battant frénétiquement l'arrière-pays pour rechercher les vieux manuscrits que les chefs des monastères conservaient secrètement dans des coffres laqués, je fus le témoin de l'imperméabilité des Américains aux réalités cambodgiennes... Mais je ne saurais dire aujourd'hui ce que je leur reproche finalement le plus, de leur intervention ou de leur désengagement."
Extrait de l'avant-propos du "Portail", de François Bizot, éditions La Table ronde, 2000.



Le cadeau de Noël que je me suis fait cette année.

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