mardi 20 janvier 2015

la vérité qui reste

L'autre jour je suis passé à la Fnac pour acheter un imagier à ma mère. Puis j'ai renoncé, devant l'aspect trop enfantin de la plupart, ou parce que le vocabulaire proposé me paraissait de peu d'intêret pour elle : le crocodile, le tracteur, le bolet..., bof.

Les mots les plus simples lui échappent maintenant.
Au téléphone :
- Je viendrai te voir ce week-end, maman.
- Je ne comprends pas.
Au moins a-t-elle la capacité de le dire, aujourd'hui et avec moi.

Lorqu'elle était hospitalisée à Léopold Bellan, je me retrouvais auprès d'elle un peu désemparé, en visite, assigné à un périmètre restreint autour d'un lit et d'un fauteuil, alors que chez elle, la préparation du dîner nous anime et la met en contact avec des couleurs, des odeurs, des objets, des mots, des tâches à effectuer... Une préfiguration de la maison de retraite sans doute.
Dans cette chambre jaune pâle, j'avais entrepris un petit jeu inspiré du jeu du pendu : rapidement sur une feuille, je dessine des objets présents sur la table - un verre, une cruche et un paquet de mouchoir - et lui demande de trouver leur nom, une fois inscrits sur le papier la première et la dernière lettres du mot et des tirets pour les lettres manquantes. 
Elle regarde le dessin du verre accompagné de V_ _ _E.
- Eau!
- Non, ce n'est pas ce qu'il y a dedans, c'est le récipient.
- Je ne vois pas.
Pour finir, après quelques hésitations et des "je ne sais pas", elle dit Vase!
Pas si bête.

Des chansons, il ne lui reste en général que quelques vers, souvent quelques mots seulement qu'elle ressasse très joyeusement en boucle. Il y a des airs connus (La bohème) où des ritournelles militantes qu'elle tient de son père royaliste. Celle qui revient en rengaine, sans doute parce que les seuls mots dont elle se souvient la décrivent si bien, c'est Sarah, écrite par Moustaki.
Allant et venant dans son appartement, se perdant de la cuisine au salon mais poursuivant sa route avec une obstination de jouet mécanique, elle fredonne sans arrêt :
- La femme qui est dans mon lit n'a plus vingt ans depuis longtemps.

Elle dit vrai.

 

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