mercredi 15 avril 2015

mère de famille

Récemment elle me regarde intensément, c'est signe qu'une question très personnelle la taraude, comme ce jour où elle m'avait demandé si j'avais des frères et des soeurs :
- Tu es resté longtemps bébé ?, questionne-t-elle, sans que rien avant n'ait laissé prévoir cette interrogation.
- Euh, je ne sais pas ce que tu appelles bébé... Si c'est simplement petit, c'est plusieurs années ; si c'est avant que je marche, ça doit être un an environ ; si c'est tout petit qu'on tient dans ses bras, ça doit être quelques mois...
Ma réponse ne lui convient pas, elle secoue la tête. Elle cherche comment exprimer plus justement sa question, mais le vocabulaire lui manque, et dans son cerveau, c'est un tel foutoir maintenant que quand elle se concentre, ça a plutôt un effet paradoxal, elle chevauche plus souvent un autre sujet de conversation qui passe par là. Cette fois pourtant elle réussit à préciser :
- Je veux dire, à quel moment toi tu as su que tu n'étais plus bébé ?

Ce soir elle chante tout le temps ; quand elle cesse, c'est pour discuter avec ce qui l'entoure. Elle parle à son cor au pied, elle parle au plancher. Elle parle aux verres qu'elle dépose sur la table :
- Ils sont mignons, dit-elle en les caressant comme si c'était des chatons.

Au cours du dîner, je ne sais plus à quelle occasion je lui balance : 
 - Tu es vraiment une drôle de femme, une drôle de maman!
- Mais est-ce qu'il y a des choses que j'ai faites qui ne vous ont pas pris ?
J'imagine d'après ses mimiques qu'elle veut dire "qui ne vous ont pas plu". Je tente l'interprétation :
- Est-ce que tu aurais peur d'avoir été une mauvaise mère ?
- Ah non, pas du tout, je ne me suis jamais posé la question. Tu sais, je ne suis pas du genre à prendre le truc du voisin.
- Mais tu étais contente d'avoir des enfants, non ?
- Je ne me souviens plus. Je crois que oui, mais je ne sais plus.

Plus tard, au moment du coucher, une scène répétée déjà des dizaines de fois se remet en place autour du deshabillage :
- Tiens maman, assieds-toi sur le lit que je t'enlève tes chaussures et tes chaussettes.
- Oh, mais ce n'est pas la peine, je peux le faire, dit-elle en s'asseyant.
- Oui je sais, mais quand je le fais c'est plus facile, ça va plus vite, non ?
- Mais regarde ce que ça t'oblige à faire. Déjà que tu travailles tant.
L'idée que l'on s'occupe d'elle reste toujours un peu dérangeante en même temps qu'elle est plaisante.
- Oui, mais ce n'est rien, dis-je en lui ôtant ses chaussures. Puis tirant sur ses chaussettes : On s'en fout, sois un peu rock'n roll...
Elle rit :
- Eh bien ton rock'n roll je vais le mettre dans une boîte.
Elle rit encore. Puis, gravement :
- On s'entend bien quand même. Je veux dire, on est bien ensemble.
- Oui maman. On est une bonne famille.

2 commentaires:

  1. Attentive aux libellés, notamment du comment ils reflètent ou pas l’ambiance générale du blog et des derniers billets, je vois en ce moment que les mots qui dominent sont: mère, Paris et.....imprévu. Charmant, non?

    RépondreSupprimer
  2. et j'oubliais le mot le plus important (un acte manqué?) AMOUR

    RépondreSupprimer