vendredi 1 juin 2018

je suis fol(le)(s)

Elle est folle, et je pense que je le deviens aussi.

Si cela fait longtemps que je n'ai pas reproduit ici d'exemples de conversations tenues avec ma mère, c'est que sa folie rend cette restitution très difficile. 

Auparavant je notais quelques phrases que nous avions échangées, et plus tard je pouvais reconstruire la conversation que nous avions eu. Une forme de logique rendait l'exercice possible, qui a maintenant tout à fait disparue.

L'autre soir elle me racontait encore une suite absurde d'événements qu'elle aurait vécus dans la journée, et faisant à nouveau le constat que j'allais tout oublier j'ai pris conscience que je pourrais l'enregistrer. J'ai regardé mon iPhone comme une poule qui a trouvé un couteau - je n'avais encore jamais utilisé la fonction dictaphone - et j'ai réalisé deux essais d'enregistrement avec elle, dont l'un que j'ai partiellement effacé par mégarde.

Le soir, rentré chez moi, j'ai réécouté ces moments passés avec ma mère à peine quelques heures plus tôt.
L'expérience a été celle-ci : j'ai été saisi, stupéfait de sa dinguerie. Comme si, en sa présence, appuyé sur la priorité donnée à l'interaction, l'esprit rationnel en quelque sorte anesthésié par la volonté de laisser place à ce qui advient, je perdais toute notion du normal et de l'anormal, du fou et du non-fou. Et que, dans l'après-coup, éloigné de l'exigence de créer du chaleureux pour ma mère, ne me restait que des bouts de bois carbonisés sans pouvoir imaginer qu'ils avaient porté les flammes d'un feu réconfortant.
Et l'expérience a été double : j'ai été saisi, stupéfait de ma propre dinguerie (lire ici ma capacité, peut-être, à devenir timbré, et comme une inquiétante acceptation de l'absurde).

Rétrospectivement j'ai mieux compris le regard qu'une soignante me portait l'autre soir. 
Au moment où j'allais quitter la maison de retraite, une pensionnaire qui se tenait vers la porte, visiblement nouvelle dans le lieu, m'a demandé si elle pouvait sortir avec moi. Maria, l'une des femmes chargées du coucher, qui était là, m'a informé que cela faisait déjà trois fois qu'elle remontait cette femme dans sa chambre, sans résultat. Je la sentais prête à l'empoigner une quatrième fois pour la tirer de force vers l'ascenseur.
La vieille dame présentait l'énergie et la conscience diffuse de l'étrangeté de sa présence sur place que montrent souvent les nouveaux pensionnaires. Elle m'expliqua avec fermeté qu'elle devait sortir car son mari allait la chercher partout. Elle n'avait "pas l'habitude de rentrer dans un hôtel et de ne pas en sortir, n'est-ce pas ?"
Voulant l'éloigner de la porte d'entrée et faire en sorte qu'elle s'installe calmement sur l'un des canapés que recèle le lobby, je suis rentré en conversation avec elle naturellement, marchant à ses côtés en écoutant ses arguments farfelus et y répondant comme si de rien n'était. J'ai même évoqué l'intelligence de son mari, qui, nous le savions bien, n'allait pas manquer d'être un atout pour qu'il la retrouve.

Quand la vieille dame fut rassurée et assise, je suis parti tranquillement. Maria me regardait inquiète pensais-je, "comme si j'étais dingue".

Alors que c'est moi qui ne me rend plus compte que, par moment, je deviens réellement fou.





2 commentaires:

  1. Toi, fou ? (je me retiens d'ajouter "tu délires")
    Essayer de parler avec les fous (mettons) requiert beaucoup de finesse, de patience et de sensibilité.
    Mon avis sur l'expression de Maria : elle a été prise de court que tu t'y prennes si bien. Mieux qu'elle, a-t-elle peut etre jugé, mal à l'aise.

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  2. En somme tu es fin prêt pour être un pur phénoménologue :))

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