samedi 3 juin 2017

peñible

Je me laisse aller à un dernier billet, du moins pour cette saison, sur les métamorphoses d'Ibiza, pour faire frémir notre cher Sda, qui y trouvera sans doute de nouvelles idées pour combler les retraites de quelques administrateurs en quête d'action (voir les commentaires des billets précédents).

J'étais, je le dis avec grande humilité, tout prêt à faire le deuil de mon Île et à considérer que, comme toute chose, l'Ibiza qui m'habite est imaginaire. Et qu'à ce titre, elle ne peut ni véritablement vieillir, ni véritablement s'émouvoir de ce que son avatar bien réel - la vraie Ibiza en terre et en rocs - est devenu ou en train de devenir.
J'allais même jusqu'à me réjouir à haute voix de ce que finalement, malgré les assauts du progrès, du confort, du tourisme et du capitalisme, l'endroit n'avait pas été sauvagement défiguré, avec le bémol de la vilaine digue construite pour accueillir les bateaux de croisière (tout ce positivisme, je l'avoue, s'épanouissait avant la découverte du projet d'hôtel de luxe sur Vara de Rey).
Mais dans cette mare de détachement, un pavé est tombé, lorsque je remarquai qu'un des paysages les plus typiques de l'Ile, sa Penya, était en phase de transformation.

Le paysage de Sa Penya,
défiguré par un chemin de terre l'entourant.

Sa Penya, ou la Peña, est un quartier de la ville basse, entre le port et les murailles de la ville haute, à l'extrémité orientale de la ville : la zone occupe une forme de triangle qui avance dans la mer, juxtaposition de petits habitats blancs qui, du côté des flôts, surplombe une falaise qui va s'amenuisant vert le port et s'élevant vers Dalt Vila, ménageant à un endroit une forme de plage de cailloux inaccessible à pied.
Le lieu possède plusieurs caractéristiques notables : la beauté de ce morceau de ville pointu, comme accroché aux rochers, terminé par une petite tourelle d'observation ; la vétusté des habitats, identique à celle que connaissaient nombre de quartiers autrefois, qui fait de certaines maisons plus des ruines qu'autre chose ; le trafic de drogue, et toute sa kyrielle d'insécurités, réelles ou fantasmées ; la Casa Broner, une petite maison musée (1960) de l'architecte Erwin Broner ; la présence des gitans, longtemps majoritaires.

Je ne vais pas m'étendre sur les multiples politiques de rénovations du quartier qui se sont succédées depuis des lustres, certaines plus sociales, d'autres plus immobilières. Ce que l'on comprend aisément, c'est que cette zone, dans un monde qui se veut propre et rentable, est devenu le point noir pour beaucoup. Et comme on est en Espagne, l'enfer et le diable ne sont pas loin : "El barrio esta dejado de la mano de Dios".
La dernière opération en date, tout de même, a consisté en l'évacuation des familles du quartier pour mettre les habitats aux normes. Je n'ai pas bien compris si ces expulsions étaient uniquement provisoires ou définitives. En tout cas, amusement suprême, la presse annonçait que l'on avait "découvert" presque une vingtaine de familles branchées illégalement sur le réseau électrique. Rigolade, car quand on connaît le lieu, la chose est à peu près aussi surprenante que d'avoir mis à jour des vestiges archéologiques lors des travaux du Parador de Dalt Vila (toujours pas réalisé d'ailleurs...)!

La nuit, la pointe de sa Penya : on voit à droite
 le chemin artificiel qui borde les rochers.
C'est donc cette ville-rocher posée sur l'eau que je voyais soudain les pieds sur terre, comme ourlée par un chemin artificiel qui m'a fait frémir. Effectivement, vu de plus près, les choses constatées de jour comme de nuit, force était de se rendre à l'évidence : une route était créée sur la mer, depuis le port, qui longeait sa Penya jusqu'à la petite plage de cailloux. Sacrilège !
Une fois de plus les articles de presse consultés sur Internet allaient m'apprendre le pourquoi du comment. La falaise s'est effondrée, comme celle surplombant la playa de las damas dont je parlais ici. Et cet effondrement, s'il n'était pas le premier, a été jugé suffisamment préoccupant, notamment pour la sécurité de la Casa Broner qui est tout de même le joyau du quartier. Décision a donc été prise de consolider l'a pic, et pour cela de construire ce vers de terre qui amènera des camions sur place. 
Soulagé ? Pas vraiment. Car une association de "voisins et de commerçants" milite pour que soit conservé, dans l'avenir, un chemin piéton jusqu'à cette playita de caillasses.
Ay! Que Dieu et Diable m'entendent et détruisent le commerce!



Pour le plaisir : vue de la petite plage de las damas, débarrassée des éboulis,
toujours interdite d'accès.

2 commentaires:

  1. Frémir ? C'est peu dire ! Faudrait s'intéresser à la cause des éboulements qui fleurissent à Ibiza (et aussi dans d'autres îles des Baléares). Un chemin ? ça a plutôt l'air d'une route ! Je croyais naïvement que l'Europe prenait de plus en plus conscience de son patrimoine culturel littoral en le protégeant. C'est terriblement faux en Espagne. Au Portugal, on peut imaginer ce qu'a été l'Algarve et ce que deviendra le Nord du pays. En Italie, on se demande si on va mettre en place un quota de touristes pour visiter l'accès des villages des "Cinque Terre". En France, on pouvait imaginer qu'il n'y avait plus rien à martyriser sur la côte d'Azur. Il restait des "poches", quelques mètres carrés oubliés ici ou là... Fini ! C'est pas tant le commerce qui est en cause, il a toujours existé sur les rivages méditerranéens. C'est plutôt comment on le pratique, par qui et pour qui. C'est comme l'agriculture... Bref, je n'enverrai pas les élus du Var et des Alpes Maritimes en retraite anticipée à Ibiza. Qu'ils restent chez eux dans la pollution des bords de mer dont la vue s'estompe d'année en année. SdA

    RépondreSupprimer