jeudi 19 janvier 2012

c'est fou !

Les livres ont une complainte particulière, un appel de sirène, une mélopée sournoise qui me tortillonne et soudain m'abat. J'étais pourtant bien parti. J'avais juré que, mêmes les livres, si!, j'allais réussir à m'en débarrasser, à faire le tri. J'avais commencé par remplir un carton d'ouvrages que je ne relirais pas, que je ne lirais pas, que je n'aurais jamais dû lire, que... 
Mais il aurait fallu les supprimer sans les regarder, appuyer sur la gâchette en détournant le regard.
Dans cette boîte, cercueil de condamnés, j'avais glissé Jeunes Turcs, de Moris Fahri que je n'avais jamais ouvert. Mais finalement, quoi de plus tentant qu'un livre intact, vierge, qui ne demande qu'à être effeuillé ? Donc je l'ai maté, caressé, amadoué et j'ai encore le nez dedans, l'ayant pour l'instant à demi lu...

Photo Raymond Depardon tirée de son reportage sur l'Ile de San Clemente.


Voilà pourquoi je n'avance pas : j'ai bien retenu la leçon du petit poucet, je ne sème pas de miettes sur mon passage mais de petits cailloux. Et voulant revenir à l'un d'eux (cette fois un blog que j'avais bien aimé et que je souhaitais intégrer à ma liste de liens, ici à droite), je l'ouvre et découvre son dernier billet qui évoque la Borde. Illustré de photos de Diane Arbus (pas bête). 
Flûte, me voilà sans plus attendre, comme somnambule, à extraire du tas de livres condamnés Dieu gît dans les détails, de Marie Depussé, sous-titré La Borde, un asile. Tout cela sous le fumeux prétexte de vous en donner deux extraits.

« Le commencement.

Je suis arrivée à La Borde un jour d'été. J'avais, il me semble, vingt ans. C'était la fin d'une guerre, un ami sortait de prison, il faisait beau. Son amante du jour était médecin à La Borde. La clinique avait un grand parc, ouvert sur le pays de Loire.
C'est comme ça que je suis arrivée.
[...]
Dans la cuisine, des malades essuyaient la vaisselle.
Une grande femme rousse, autoritaire et belle me regarda et dit : 
"Vous, mon petit, ça n'a pas l'air d'aller bien fort. Prenez donc ce torchon."
Je le pris. C'est comme ça que je suis restée. »

« Les fous.

Je dis les fous. Par prudence. Dire, comme chacun s'autorise à le faire, les psychotiques, est une violence qui engendre des diagnostics, à vie. Par tendresse. On ne peut dire "les fous" sans les aimer un peu. Tous les pensionnaires ne méritent pas le mot. À côté des fous, il y a les fragiles, les boudeurs de la vie, les très fatigués. Si je m'autorise à les désigner, indifféremment, par le mot, c'est que les habitants de La Borde l'aiment bien. Nous, les fous.
Il ne les vexe pas : au contraire... »

Extraits de Dieu gît dans les détails, de Marie Depussé, éditions Pol, pages 9 et 11, et page 28.

7 commentaires:

  1. Je mets une option sur ce bouquin ! Malika

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    1. Avec plaisir. D'autant que, grâce à toi, mon amie Claude a découvert Bastien Vives (voir billet "une page de pub" du 6 avril 2011) à travers Polina !
      Besos.

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  2. Interessantes associations !
    Ca me rassure de ne pas être la seule à être envahie par les livres, comme s'il s'agissait d'une colonie de fourmis... mais comme les p'tites fourmis, chacun recèle une petite utililité de circonstance, une idée bienvenue, une affaire de circonstance, un trait d'union avec la vie qu'on mène... Bref, soyons chics avec les livres et les petites fourmis, ils et elles nous le rendent bien, et oui, même les petites fourmis, que j'ai passé des heures à observer, et même à élever, dans un terrarium, avant de savoir lire...!
    Bonne soirée !
    Claude

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  3. Quand viendra mon tour de faire le tri, je crois que j'aurais du mal à jeter Dieu gît dans les détails et Là où le Soleil se tait... probablement par fidélité à l'émotion que leur lecture m'avait procurée à l'époque.

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    1. "Qu'est-ce qu'on garde ?" est d'ailleurs le titre d'un autre ouvrage de Marie Depussé, publié chez Pol aussi!...

      "La question se pose pour nous, elle nous anéantit, les jours de déménagement. Trier, jeter, garder."

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  4. Je crois qu'avec la ressource qu'il y a ici, on pourrait imaginer une foire aux livres, d'échanges et d'idées... J'ai envie de mettre à disposition ma cour pavée, ma cave, mon cabinet recyclé en "salon" et ma possibilité pause repos et pipi, ma bouilloire pour le thé et ma nespresso pour le café, pour organiser une rencontre sympa, autour de tous ces sympathiques encombrants, colonie de fourmi, qu'on ose pas détruire ni jetter, sacrilège, et qu'on aimerait donner, pour qu'ils poursuivent leur vie dans le monde des idées... Une sorte de brocante d'échange, sans argent, juste du troc et de la découverte...

    Qui serait "pour" ? Materiellement, c'est possible... En juin ? Si assez de monde répond partant, pour initier la chose, je pose la date et organise le bazar en l'ouvrant au réseau blog, gestalt, amical et des voisins, ça m'amuse. Chiche. Claude.
    Ca se passerait Paris 12ème, quartier Nation

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  5. Bon je vois que le sujet des colonnes de livres vous préoccupe..;avez-vous pensé au bookcrossing? C'est une autre alternative à la brocante, idée charmante au demeurant!

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