vendredi 27 janvier 2012

trébucher

C'est vraiment un joli livre ce "Dieu gît dans les détails" de Depussé, que j'ai donc relu puisque chacun a compris que la caisse des livres condamnés (voir billet du 19/01/12) est en réalité une caisse de rescapés.
La densité du temps qui s'écoule, l'obstination à être, tout cela s'y écrit lentement, avec une gravité sans pesanteur. Il y a des phrases qu'on voudrait noter, des pages qui s'éclairent d'un sourire, d'autres que l'on s'en veut d'avoir si tôt oubliées. D'autres pages qui font mal, tout de même.
Jean-Claude Polack, une vidéo Uto Psys sur Vimeo
On y voit passer O., qui n'est autre que Jean Oury, et Félix, appelé parfois le commandant, qui est bien sûr Félix Guattari, ces deux portraits en creux suscitant une tendresse infinie. Pour avoir un aperçu assez vivant de La Borde et de ces deux "énergumènes", on peut écouter et se régaler d'une vidéo de 40 mn, témoignage de Jean-Claude Polack qui a travaillé sur place (vidéo qui ne laissera pas indifférent ceux qui s'intéressent à la psychanalyse, à l'analyse existentielle, à Binswanger, Maldiney, Pankow etc, suivez mon regard). C'est sérieux et drôle, comme la folie.


S'y tient aussi, dans le livre, à peine, affleurant le texte par moment, une autre défunte, la mère de la narratrice. Elle fait signe lors d'une lecture, dans la chapelle transformée en bibliothèque, du Barrage contre le Pacifique, puis dans un chapitre où il est question de Loyse, une jeune femme devenue mère à La Borde. Lame de fond, mouvements secrets, remous, clapotement du passé. C'est ma mère – oui, la mienne cette fois – qui m'a fait trébucher dans le texte d'hier. Au moment où j'écrivais le mot claudication, j'allais ajouter entre parenthèse : ce mot-là, c'est l'apparition de ma mère dans le texte (en effet, ma mère boite). (Autre parenthèse, ces derniers mots ne font-ils pas penser à un cercueil maternel?). Bref, imaginant que c'est l'image de ma mère qui me faisait choisir le terme de claudication, j'ai écrit "claudiquement". Qu'en dites-vous ?
Clôt dit que ment ?

3 commentaires:

  1. Merci encore, décidément ! J'ai retiré aujourd'hui à la librairie de la "fameuse" rue du Rendez-vous, le livre de Marie Depussé commandé la semaine dernière, que tu m'as donné envie d'acquérir. Et avec la vidéo en bonus, ton blog est vraiment une ressource éclectique et précieuse. Continue, encore et encore !
    Claude

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  2. Et pour ceux qui passent il existe des initiatives similaires pour une psychiatrie citoyenne:
    www.lesinvitesaufestin.fr

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  3. Comme à mon habitude, il m'arrive de cliquer "au hasard" sur un libellé à droite et de relire les messages passés.
    Ce soir, c'est celui-ci; et je suis frappée par le mot tendresse à propos d'Oury. C'est exactement le mot que je fais mien pour qualifier le sentiment qu'a laissé chez moi Gisela Pantkoff avec laquelle j'ai partagé une partie de mon enfance. Elle était elle-même d'une tendresse un peu rugueuse, brusque et parfois maladroite, mais ce petit bout d'amour qui a le parfum de l'enfance, de la spontanéité était vraiment là présent quand Gisela parlait de "ses" patients comme de "ses" enfants. Je m'interroge parfois sur ce terme d'amour ou de tendresse en psychothérapie et s'il est pertinent dans ce champ. C'est à cette question de la tendresse que je suis revenue l'an passé lorsque j'ai suivi à la Société de Psychanalyse Française un séminaire sur Binswanger. Il y avait de la tendresse chez lui aussi et c'est cela, me semble-t-il, qui lui a fait faire tant d'innovations dans le contexte psychiatrique du Zurich des années 30/50. Et puis, puisqu'il est le père de la notion "d'être au monde" (cf Sein und Zeit), utilisons donc ce concept pour parler justement de sa tendresse, de leur tendresse, leur être au monde.
    Sans claudiquer, je saute par association d'idées au dernier billet d'octobre 2015 au sujet de ta mère et cette "merveilleuse" réponse à ta question du vieillissement: "je crois que je n'existe plus" qui prend un sens particulier vu sous l'angle de la Dasein analyse ou de la Gestalt -versus existentiel- et je me suis prise à penser qu'il était peut-être temps de lire Le rêve et l'existence de Binswanger préfacé, je te le donne en mille, par......Michel Foucault :))

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