mercredi 22 février 2012

la contagion

Ils arrivent là-bas parce qu'ils vont mourir. Ils sont envoyés là-bas pour que les autres puissent vivre, sans les voir. Leur mort a, dans un premier temps, les contours de cette île. Mais leurs corps se déforment, se minéralisent, deviennent pierre, écorce, ruines : ils deviennent l'île.
Car c'était trop vite dit, trop vite pensé : finalement ils ne meurent pas. En tout cas pas tous, pas si vite : les voici à s'inventer une vie, une société, un vivre ensemble, tout en cheminant sur cette passerelle de verre jetée au dessus de l'abîme. Voir sa fin, mais en soi, dans ce village où même l'échoppe du barbier évite les miroirs.


C'est l'histoire des lépreux envoyés en 1904 sur l'ïle de Spinalonga (Crête). De force, parfois menottés, avec la bénédiction des familles qui veulent bannir cette infamie car – sait-on jamais – si elle était héréditaire cette maladie ? Puis cinquante ans plus tard les mêmes sont exclus du monde qu'ils avaient construit. Il faut revenir sur le continent, en hôpital. C'est la découverte d'une autre exclusion, au sein des autres, pire que l'inaccessible et l'oubli de leur île.
Dans les années soixante-dix Jean Daniel Pollet réalise L'Ordre, un film sur cette étrange histoire, dans le style de l'époque. Longs travellings dans l'île désertée, plans répétitifs, commentaires off, images d'archives, et la parole des lépreux portée par Raimondakis, au visage de glaise et dont la diction, presque déclamatoire, semble celle d'un oracle.
Cette voix reste d'actualité. Le film peut être regardé ici.
"Vous allez droit à la catastrophe. Nous vous plaignons.
Je vous dis ça sincèrement pour votre indifférence,
votre décadence, votre insolence."

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