jeudi 5 septembre 2019

déclin et trésor


Dans ce village de Creuse, à Vallières, à l'époque de mon enfance et à celle de mon adolescence, il y avait quantité de commerces. Les plus nombreux étaient les bistrots, bien entendu, mais les autres existaient aussi en plusieurs exemplaires : deux boucheries, deux boulangeries, plusieurs épiceries etc. On avait donc un certain choix (acheter cela à la "boulangerie du haut" et cela à la "boulangerie du bas"), et l'été, ou plus généralement lors des vacances, au moins l'un d'eux restait ouvert pendant le congé des autres.

Rien de tel aujourd'hui. Le samedi matin, je traverse le village désert en remontant la rue principale, qui mène au champ de foire, au dessus duquel se tient le cimetière, but de ma balade. Le caveau où reposent, entre autres, les os de mon père se situe dans la partie neuve, qui était à peine investie il y a dix-neuf ans. Evidemment depuis les tombes se sont multipliées. Je prends en photo celles qui concernent ma famille, il y en a deux, puis aussi une autre sépulture qui est décorée de drôles de plaques. Sur l'une d'elle, qui affiche "à mon époux", on voit un panier de cèpes ; sur une autre, c'est un troupeau de vaches qui illustre "à notre arrière-grand-père".

Les époques se superposent bizarrement. En effet, mes dernières venues dans la région avaient été pour rendre visite à mon père qui vivait là son ultime année, le cerveau constellé de métastases. Le but de mon voyage de ce week-end, outre les festivités du mariage, est aussi de rendre visite à l'une de mes cousines que le cancer atteint durement.
On passe une heure ensemble à discuter, puis je la laisse quand la fatigue la gagne. Elle m'appelle d'un ancien surnom que j'avais dans mon enfance et que plus personne n'utilise. On évoque des souvenirs bien sûr, mais aussi ce qui fait son bonheur actuel, par exemple ses petits-enfants. Alors que la maladie l'a diminuée physiquement, l'a immobilisée, il y a une partie inaltérable d'elle qui résiste, brillante et limpide, un diamant tombé dans la boue. En parlant de ses cheveux gris, elle dit plusieurs fois le mot "argent", en insistant, comme s'il fallait de toute chose trouver la richesse. Comme dans l'expression "mon adoré", qu'elle a subitement à mon sujet, et dont l'or me saute au yeux.

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