jeudi 29 mars 2012

monstre

Il est prisé l'abri, sous l'auvent de la Matmut boulevard Magenta, où cet hiver un homme sdf a trouvé la mort (voir billet du 13 février 2012, sdf mdf). Sans cesse il est occupé par de nouveaux errants. L'un me demande une cigarette l'autre jour mais je ne fume pas. Sait-il qu'il est installé là où l'autre s'est endormi gelé ? J'irai fumer sur vos tombes. J'irai manger sur vos tombes. J'irai dormir sur vos tombes...
J'avais noté à l'époque que l'indication de la nationalité du mort dans le journal contextualisait le décès et en même temps créait une distanciation confortable pour le lecteur. "Ah, c'est un roumain, c'est donc ça (il est de passage, il n'est pas français, il est en situation de précarité etc). Cela ne va pas m'arriver et, de plus, je n'y pouvais rien. "

La nature humaine n'échappe pas aux lois de
la nature. Les plans les plus rigoureux semblent
donner naissance aux formes les plus libres,
les plus folles. Dessin de Ernst Haeckel
Aujourd'hui, je me demande à quoi sert le mot monstre. C'est frappant non? La façon dont il est utilisé, par qui, et le fait que personne n'ait l'air de s'en soucier ?
J'écoute, je lis les déclarations successives de Nicolas Sarkozy, d'Alain Juppé et de Henri Guaino concernant le jeune tueur jihadiste de Toulouse : il s'agit d'asséner que M. M. ne fait pas partie de l'espèce humaine, n'a rien à voir avec nous, ne saurait être en lien de quelques façons avec nous, société humaine, société française, société de croyants etc.
 
Chacun est invité à ne pas : ne pas réfléchir, ne pas chercher d'explications, ne pas regarder ce mal-là. Ou le regarder comme une chose abstraite, une chimère, quelque chose qui ne pourra pas être en rapport avec nous. Ce n'est même plus un autre.
(Même sa famille est sommée de se taire, dans la honte. C'est énorme, non, que le discours officiel d'une république évoluée puisse être celui-ci ?)

C'est évidemment la démarche inverse qui est fertile. Permettre la parole, oser le regard, mettre en lien, questionner. Comprendre comment l'imaginaire façonne une société. Voilà pourquoi tenter de réduire un homme à un mot est une entreprise vaine, porteuse de refoulé. Le mot comme le monstre sont des créatures de l'homme.

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