jeudi 17 mars 2011

petite planète



J'en étais à mon cinquième kilomètre immobile sur mon vélo paralysé, lorsque Muzo, le kiné, fait une allusion à la catastrophe nucléaire japonaise. Il affirme avoir entendu ce matin à la radio, au sujet d'une éventuelle évacuation de Tokyo, que la ville recèlerait 30 millions d'habitants. Je n'ai pas les idées très claires mais je pense, sans le dire, qu'il se trompe. Il ajoute, "presque la moitié de la population française" ce qui est l'évidente aberration qui signale l'erreur.


Quand je passe devant Lariboisière, je repense souvent
à l'intervention de l'artiste Felice Varini, en 2006.
En sortant il fait beaucoup trop beau pour s'enfermer dans le métro. Je redescends donc le boulevard Magenta, fief, à ce niveau, juste sous Barbès, des revendeurs de robes de mariées et de chaussures made in China. 
De loin, j'aperçois à l'entrée d'une boutique de sportswear un homme en habit juif traditionnel, chapeau, talit katane dont les franges dépassent sous la veste noire etc. Je m'amuse du contraste entre sa tenue et le genre du magasin, et m'étonne de le voir dans ce quartier que je qualifierais assez bêtement de quartier arabe. Je suis encore à quelques pas de lui quand je constate qu'il est en grande conversation avec l'un des vendeurs à l'entrée et tout près quand je le vois, avant de franchir le seuil, toucher une mezouzah discrètement installée de biais sous une étagère qui soutient une paire de Nike. 
Voilà, je ricane de mes raccourcis imbéciles : oui il y a des juifs arabes, des arabes juifs, des juifs pas arabes qui vivent dans des quartiers présumés arabes, et plein d'autres choses encore.


À midi je vais déjeuner dans un mini "thaï corner" proche de chez moi où je n'ai pas mis les pieds depuis des mois. J'ai une légère complicité avec le tenancier, petit homme au corps soigné avec force gymnastique j'imagine, qui m'a déjà montré les photos de son "mari" et raconté quelques anecdotes de sa vie. Au lieu de m'installer dans la salle, je me pose toujours à côté du comptoir où il sert avec une aide, face à un miroir qui me permet de les observer tous deux du coin de l'œil. Depuis le temps, ils savent que je les reluque par ce biais, s'en accommodent ou en jouent, selon l'humeur. Bien sûr ils discutent entre eux en thaï. À un moment, lui s'arrête considérant mon regard sur eux et il me précise : "elle parle du Japon". Il maîtrise assez mal le français, disons plus mal que sa fausse aisance et son perpétuel sourire pourraient le laisser penser et il faut souvent vérifications et périphrases pour s'assurer d'être compris ou de bien comprendre.
- Évidemment c'est plus près du nuage radioactif que nous, dis-je comme une plaisanterie macabre.
- Seulement quatre heures, dit-il avec la main décollant pour mimer un avion.
Plus tard il explique qu'en Thaïlande, ils ont peu de centrale nucléaire (ou pas ? il ne sait pas exactement), mais beaucoup d'énergie venant de — nouveaux mimes — des barrages.
Il conclut
- Nucléaire, pas bien.


Plus tard au journal j'ai le temps de vérifier. C'est treize millions le nombre de Tokyoïtes. Quand à la Thaïlande, non, il n'y a pas de centrale, des projets sont en cours selon les sources pour 2014 ou 2020 ou 2025... Des chiffres, des dates et finalement, une toute petite planète.


Question de point de vue, de perspective, de relations. Cela me fait penser à l'intervention de l'artiste suisse Felice Varini sur l'hôpital Lariboisière, en 2006. Je n'ai pas retrouvé les photos que j'en avais fait, j'ai piquée celle-ci, ci-dessus, sur le Net.

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