lundi 4 avril 2011

hispanophones

Ce matin, après moult kilomêtres immobiles en salle de gym, j'ai finalement été récupérer le disque dur qui contient les images que j'ai filmées récemment (voir "travelling", billet du 03/04/11). Ça a surtout été l'occasion d'une conversation agréable avec Olga, plongée dans les affres de la rédaction d'une thèse sur le théâtre contemporain. Pendant qu'elle décrit son angoisse, sa façon d'écrire ou de ne pas le faire, je pense irrésistiblement au mémoire que moi-même je suis censé produire pour la fin de l'été et à mes camarades de promo, avec qui j'ai bossé ce samedi, et que j'ai taquinés à ce sujet.
Olga est originaire de Colombie et elle a conservé un accent charmant : elle possède surtout ce que moi j'associe à l'Amérique Latine, c'est-à-dire une énergie communicative qui d'ailleurs, m'empêche un peu de prendre ses difficultés de thésarde tout à fait au sérieux.
Après l'avoir quittée je me dirige vers un métro direct pour rejoindre le journal et je me pose pour déjeuner dans un café, le Rouge limé, proche de la station Charonne. Non loin de la table que j'ai choisie se tiennent deux femmes aux cheveux gris, dont l'une, justement, à elle aussi l'accent espagnol.

"Saturne dévorant un de ses enfants",
par Goya. C'est cette peinture
qui figure sur la couverture
du séminaire IV de Lacan,
consacré à la relation d'objet...
"J'ai pleuré, pleuré, pleuré tout le temps de mon premier mariage", l'entends-je dire et je tends l'oreille pour écouter le suite de l'échange. C'est elle qui parle le plus. Malheureusement beaucoup de paroles se perdent dans le bruit environnant. Je comprends par la suite que la femme espagnole insiste sur la nécessité de "discuter, pas se disputer", puis qu'il existe un léger différent entre elles sur des questions politiques. Je ne sais pas pourquoi je suis à ce point absorbé par elles, et aussi par l'Espagne subitement car je trouve que la serveuse à un type hispanique alors que de toute évidence on pourrait prétendre que non.

Mes deux voisines abordent le sujet de la religion. La volubile est croyante, catholique, véhémente, tandis que l'autre du bout des lèvres admet qu'il y a sans doute une puissance, mais pas ce genre de Dieu-là...
- "Dieu c'est la toute-puissance, ce n'est pas la puissance, c'est la toute-puissance" assène l'énergique grand-mère.
Par quel mystère l'autre surenchérit-elle en murmurant "Dieu c'est la géométrie "... ? Mon abuelita ne s'en laisse pas compter :
-"Dieu c'est zéro et c'est l'infini".
Elles sont vraiment amusantes. C'est à ce moment, puisqu'elles ont déjà remarqué depuis longtemps que je les écoute, que je glisse :
- "Vous savez qu'un poète disait : la vie des Dieux est mathématique". Voilà qui les comble, les deux, et leur semble comme une conclusion.

Je leur confie volontiers que j'ai écouté la conversation depuis le début, depuis le "j'ai pleuré tout le temps de mon premier mariage" qui m'a en quelque sorte agrippé. L'intarissable grand-mère, 86 ans, me raconte le dit mariage, en Espagne, fiançailles à 17 ans et noces à 22 ans, avec un colonel de la guerre d'Espagne, machissimo et maltraitant. "Il avait tué des enfants à la baïonnette, violé des femmes, brûlé des villages entiers, c'est comme ça qu'ils faisaient." "Moi j'étais une enfant, je ne savais rien, il était d'une cruauté..." J'ai même droit à quelques détails du voyage de noces. Mais elle raconte tout cela avec un soleil dans les yeux et un sourire éclatant.
Quand enfin je dois m'enfuir elle me demande si je prie. Je lui avoue que non. Elle me demande alors de prier tout de même pour elle, pour qu'elle parte à son heure et en bonne santé et se réjouit car nous nous reverrons un jour dans l'au-delà !

1 commentaire:

  1. Ce post m'inspire deux citations.

    L'une tirée de l'Apocalypse (1,8) :
    "Je suis l'alpha et l'oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était, et qui vient, le Tout Puissant."

    Et l'autre, l'exergue de Fleurs Bleues de Raymond Queneau (1965) :
    "Tchouang-tseu rêve qu'il est un papillon, mais n'est-ce point le papillon qui rêve qu'il est Tchouang-tseu ?"

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