jeudi 28 avril 2011

babel

J'ai passé la fin de l'après-midi à la BnF, c'était la première fois que j'allais dans la Bibliothèque dite de recherche, au sous-sol. J'aime bien cet endroit, je m'y sens un peu perdu sans les automatismes de l'habitude : il y a pas mal de procédures à suivre — avoir réservé sa place, ses ouvrages à l'avance, passer au vestiaire troquer son cartable contre une pochette transparente, s'identifier avec son badge ici, puis là...



Les espaces de transition sont démesurés, un peu comme des décors de ciné. Une fois de plus j'avais l'air assez atypique là-bas : je n'avais qu'un seul livre et quelques cahiers d'enfant, en kraft, sur lesquels j'écrivais à la main alors qu'autour de moi les étudiants et les chercheurs possédaient tous un ordi et étaient entourés de piles de documents. Ambiance studieuse. Je regardais les uns et les autres à la dérobée tentant de percevoir l'objet de leur recherche, leurs cogitations... Mais les masques montraient tous une même impassibilité, une concentration dénuée de haussements de sourcils, de sourire, de rictus : du marbre.

Lorsque j'allais chez Muzo faire de la kiné respiratoire, en sortant du métro Barbès je tombais régulièrement sur des jeunes gens qui distribuaient des publicités pour des médiums. Il y a fort longtemps j'étais friand de ces mini prospectus dont les promesses naïves alliées à des fautes de français touchantes en faisaient de véritable petits poèmes. 
Malheureusement ces voyants ont avec le temps amélioré orthographe et syntaxe et la charge poétique a disparu. Platitude du progrès, fadeur du conforme, tristesse du faux savoir... De Charles, médium voyant guérisseur, à Maître Haly, grand médium voyant, en passant par Professeur Daouda, grand voyant médium guérisseur, il n'y a que le sobre Professeur Moro pour m'émerveiller avec cette introduction étrange : "Regardez bien ce qu'il a en main, c'est une preuve fatale ! Si vous voulez vous faire aimer et si votre partenaire est parti(e) avec quelqu'un, c'est du domaine." 
"C'est du domaine", une expression dont j'aimerais me resservir.



Sur un mode similaire mais cette fois éminemment émouvant, une amie me révèle un courrier qu'elle a reçu d'un étranger parlant peu le français. Je n'ai nulle permission de publier ici cette lettre, cependant je me permets d'en citer les deux premières phrases, écrites à l'origine en bleu turquoise, positionnées comme  les vers d'un poème :
"Je ne te oublie jamais
je vous pense toujours".
À la lecture de la missive, j'en avais la gorge nouée, ne pouvant m'empêcher de trouver plus de sens et de puissance émotionnelle à cette formulation-là que si les phrases avaient été tournées en "bon" français. Plus loin il y a aussi un "pour l'amour je t'aime" qui là aussi déborde de sur-sens. Oui un homme qui écrit comme ça, j'aimerais qu'il me pense toujours.

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