lundi 28 novembre 2011

helm

Mon week-end a encore été absorbé par des cartons de déménagement.
C'est le moment cauchemardesque où rien n'avance, où démonter un meuble et décrocher un plafonnier prend des heures alors qu'on imaginait y passer cinq minutes. 
C'est le moment cauchemardesque où la révolte des objets semble à son moment historique, toutes ces choses sortant de partout – des tiroirs, des placards, des valises, des cartons à dessins, du haut de l'armoire, de derrière les fagots – pour se rassembler, réclamer de l'attention, refuser d'aller dans cette boîte, déborder de celle-ci, se répandant plus loin, s'agrippant ailleurs pour finalement s'éparpiller partout. 
Marie Poppins, à l'aide!
Je voudrais les foutre tous dehors, ouste!, mais j'ai un passé avec eux tous, ou presque.

Photo du blog The Delta Blog/ The Egypt Report

L'un d'entre eux est particulièrement d'actualité  : c'est une lampe singulière, réalisée au Caire ; une calligraphie de métal qui trace en volume dans l'espace le mot helm (trois lettres, à lire de droite à gauche), et qui accueille quelques ampoules sur le signe vertical de son centre. 
Dans cet appartement-ci, pour des raisons techniques que je vous épargne, je ne l'ai pas raccordée au secteur : elle a vécu son temps éteinte. J'espère que dans le prochain appart je pourrais lui redonner sa lumière.
En tout cas elle trône sur le mur au dessus de mon lit, place idéale car – mais j'ai omis de le dire – helm signifie rêve.

Toute cette semaine j'avais évidemment le coeur tourné vers l'Egypte. J'ai trouvé quelques billets dignes d'intérêt sur le blog The Delta Blog, dont la photo ci-dessus est tirée : un des auteurs, Eric Knecht, nous fait partager la une de la presse locale, avec traduction des différents titres. Une opportunité de porter son regard sur le regard porté... Toujours instructif. D'autant que le blog chronique les événements à Mansoura : il n'y a pas que le Caire, ni que Tahrir, en Egypte.
Je l'ai découvert grâce à cet autre blog, The arabist, où il y a toujours des choses à lire.

mercredi 23 novembre 2011

regards

Comment imaginer que cette place que j'ai tant traversé, dont le souvenir est pour moi lié à la nuit égyptienne, douce, dorée de poussière lumineuse, comment imaginer que cette place Tahrir allait devenir ce centre, cet œil par lequel on regarde une incroyable révolution, espoirs et drames confondus ?

La place Tahrir, dimanche soir. Photo de Mohammed Hossam
prise sur le site du Parisien.


Fin août à Paris des amis cairottes me racontaient comment A., jeune égyptien de la rue qui considérait la révolution de loin comme réservée aux étudiants, aux jeunes de la classe moyenne ou aux fils de famille, avait subitement changé son regard : le spectacle, à Alexandrie, des militaires reculant devant les manifestants fut son épiphanie. L'impossible (l'armée reculant) devenu réalité, tout s'avérait possible, même une révolution, même une autre façon d'être sujet, acteur, de ces événements.
C'est dans cette même ville que plus tard, fièrement, les pêcheurs sur le port exhibaient leur index taché d'encre qui marquait leur participation aux élections.


L'implication des militaires dans les faits divers sanglants de la manifestation de Shubra à Maspero n'est plus à prouver (il faut voir les vidéos disponibles sur le Net à ce sujet, c'est édifiant) ; depuis cinq jours les égyptiens mobilisés place Tahrir comptent des morts dans leurs rangs. Jusqu'où l'armée ira-t-elle pour conserver les restes du pouvoir ?

lundi 21 novembre 2011

terre natale

Le temps me manque, signant ici à la fois la banalité du quotidien et l'inexorable éloignement du jour de ma naissance, chaque minute une de plus qui me rapproche de la terre. 

Hier soir, j'ai commencé à décrocher les tableaux chez moi car j'avais voulu garder à l'appartement, pour ce week end encore, son allure de lieu habité malgré les piles de cartons qui réduisent l'espace vital du salon à un confetti. J'ai donc attendu le départ d'Alain pour dénuder les murs. Et toutes ces images et photos encadrées, posées au sol, me sont apparues comme une forme de portrait de moi.

Le temps me manque car au lieu de faire tout cela j'aimerais écrire sur Van Gogh (a-t-il été assassiné ?), Fra Angelico (l'exposition au musée Jacquemart-André), Stendhal (Armance), Maurizio Cattelan (sa retro au musée Guggenheim), Farid et Lætitia (souvenez-vous, les jeunes SDF de ma rue, ils ont maintenant un enfant, un petit garçon) et plein d'autres choses, des petites et des grandes.


Par exemple, à nouveau, quelques anecdotes ouïghoures ? 
Vendredi soir Alain, qui me voit arriver à sa rencontre sur le chemin de la gare du Nord me dit : "c'est marrant comme tu es habillé, ça te fait de toutes petites jambes et un torse large, on dirait Bob l'éponge." Comme Alain me fait irrésistiblement penser à la Panthère rose, voilà le drôle de couple qui se dirige au 77 rue du Faubourg-saint-Martin, 75010 : j'ai en effet eu l'idée de lui faire découvrir le petit restau ouïghour en face de la mairie.
Là-bas l'ambiance est fort différente de ma première visite car une bande de neuf jeunes gens, de toute évidence ouïghours, sont attablés. En réalité plus souvent debout, ou dehors, quelques uns dînant et tous pianotant sur leur téléphone mobile, appelant, sortant, entrant, ouvrant et fermant les voitures stationnées le long du trottoir. Des jeunes filles et des jeunes hommes aux cheveux noir d'encre ; les garçons avec fantaisies capillaires, les filles envuittonées.
La carte étant réduite au minimum, je regoûte aux même plats que la dernière fois. La soupe aux raviolis ainsi que le riz chaud aux raisins (qui paraît cette fois cuisiné de façon plus grasse) accompagné de viande de mouton froide. D'office, ici, on vous apporte du thé bouillant.





Le tenancier, Ahatjan, est content de me reconnaître. Je lui dis que j'ai vu "son" film. Les jeunes gens quittent le restaurant et je note que lorsque les garçons serrent la main du patron, chacun se penche pour que les fronts se touchent pendant la poignée de mains. 
Alain, qui possède depuis quelques jours le tout dernier iPhone fait des photos de l'endroit, puis du patron qui pose sagement devant l'affiche du film Ata. La communication est un peu ardue avec lui, mais c'est aussi le charme du personnage. Je le questionne un peu : les jeunes sont-ils de sa famille ? "Non, étudiants", dit-il, me donnant un chiffre d'étudiants à Paris que je n'arrive pas à comprendre. La signification de ce salut avec la tête ? "Ami, même chose", explique-t-il. 

Malgré les difficultés de langage, Ahatjan aime à parler de son pays : je lui avoue que je n'en savais presque rien il y a peu, que j'ai lu deux trois choses sur le Turkestan uniquement grâce à lui. 
 "My country, 1949, comme Tibet", ajoute-t-il en un saisissant raccourci (qui dit beaucoup de l'avidité de la Chine mais rien de celle, passée, de l'ex-Union Soviétique à l'égard de ce territoire).


"À quoi tu penses ?" questionne Alain alors que mon regard trahi une réflexion songeuse. "Je pense que ces gens ont du cran car moi, je m'imagine mal monter un restau au fin fond de la Chine du Nord Ouest".

mardi 15 novembre 2011

touchables

Vendredi, samedi, dimanche, lundi... : j'ai passé une bonne partie de ces journées à mettre ma maison et ma vie en carton en vue du déménagement. Je ne suis pas d'une grande efficacité, en tout cas le rendement n'est pas très spectaculaire.
Je me suis délesté de sacs et de sacs de fringues en tout genre. 
J'ai plus de mal à mettre la bibliothèque au régime (les rayonnages, cartons après cartons, ne semblent pas vouloir s'alléger), elle porte la marque de ce foutu éclectisme que j'évoquais dans un billet précédent. Et c'est difficile de mettre tous ces bouquins en caisse sans les feuilleter au passage. J'avais décidé de faire quelques photos d'objets que je trimballe avec moi depuis des lustres et des lustres pour les publier ici, et puis je n'en ai pas eu le temps.

Ahatjan Ali, restaurateur et acteur du film Ata.

Samedi soir deux amis (pourtant respectables) me convient à aller voir au cinéma Intouchables, proposition que je décline vivement et que je troque contre un rendez-vous à dîner, après leur séance, dans un restaurant ouïghour. Oui quoi ? Ouïghour. Fichtre.

Les Ouïghours sont une minorité chinoise, peuplant la région de Xinjiang, aussi appelée Turkestan oriental, dans cette partie du monde où le nom des pays se termine de cette façon : Kazakhstan, Tadjikistan, Kirghizstan... Ce territoire chinois regorge de matières premières énergétiques (de tout : pétrole, gaz, charbon, uranium) et sert de terrain d'essais nucléaires (et certains chuchotent, bactériologiques aussi) avec les précautions écologiques et humaines que nous connaissons à ce pays. D'autre part, pour des raisons que j'ignore mais qui n'ont pas de secrets pour les spécialistes, le territoire a une importance stratégique énorme.
On imagine aisément avec quelle chaleur sont accueillis par les autorités chinoises les souhaits d'indépendance des Ouïghours, et ceux-ci étant aujourd'hui majoritairement musulmans, on sait aussi quel épouvantail est agité pour permettre les rafles et les exactions contre cette population.

Loin de la Chine donc, mais pile face à la mairie du Xe, nous voici attablés dans ce restau sympathique à la cuisine inconnue. Soupe de raviolis, riz à la viande, nouilles fraîches aux légumes... : c'est bon. Le tout servi par un petit homme moustachu, qui maîtrise mal le français. Les Ouïghours ont la particularité d'être turcophones tout en maniant une écriture en caractères arabes. Sur le mur s'expose une affiche, gros plan de visage qui paraît être celui de notre hôte : oui, c'est lui nous apprend-il, c'est une affiche de film dans lequel il a joué en 2008. Re fichtre.

Plus tard, je glisse la tête dans la toile du Net pour en savoir plus. Je trouve quelques interviews des réalisateurs, Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti. J'apprends que ce film est un court métrage, comme tous les autres films réalisés auparavant par ce duo (qui serait en tournage d'un long au Pakistan). Aussi que Ata, le film qui met à l'affiche notre restaurateur accueillant, a été primé une quinzaine de fois (voir sur le site des réalisateurs). Je farfouille encore et je trouve, en ligne, un documentaire des mêmes réalisateurs sur des jardins urbains berlinois, d'une vingtaine de minutes, primé lui aussi (le lien est là) ainsi que, oh merveille du Net, Ata dans son intégralité (cliquer là).

Deux films qui valent bien une grosse cavalerie en salle actuellement.

jeudi 10 novembre 2011

Sam suffit

Aujourd'hui circule un peu partout sur le Web la photo la plus chère du monde.
Elle vient d'être vendue chez Christie's. Bien sûr on ne se rend pas très bien compte du travail du photographe, Andreas Gursky, sur cet écran, travail dont l'impact repose en partie sur l'utilisation de grands formats.

Andreas Gursky, Rhein II, 1999
Sam Wagstaff, autoportrait.

La fameuse photo donc, intitulée "Rhein II", fait 81 x 151 inches, soit 205,7 x 383,5 centimètres. C'est un numéro un sur un tirage de six et elle coûte un peu plus de 4,3 millions de dollars (ça valait le coup d'appuyer sur le déclencheur de l'appareil).

Cette nouvelle arrive alors qu'hier je lisais un article très très mauvais sur une prochaine exposition Mapplethorpe à la galerie Thaddaeus Ropac*, dont le commissaire pour l'occasion est Sofia Coppola. Pas grand chose à dire je crois de cette prochaine présentation. Ce n'est pas la première fois qu'un "curator" people est nommé pour sélectionner un ensemble d'œuvres de Mapplethorpe : David Hockney en Angleterre,  Cindy Sherman aux États-Unis, Hedi Slimane et Bob Wilson en France se sont déjà prêtés au jeu.

Cet article m'a cependant amené à creuser un peu la biographie du photographe et m'a permis de découvrir Sam Wagstaff, sa personnalité et l'importance qu'il a eu dans la vie de Robert Mapplethorpe. Je n'avais jusqu'à présent toujours eu d'yeux que pour les amant(e)s spectaculaires de Mapplethorpe (dont Patti Smith, Milton Moore – Mr Polyester pour ceux à qui la référence dit quelque chose... – et Jack Walls, par exemple) et le très blanc Sam ne m'avait pas tapé dans l'œil. C'est pourtant, vraisemblablement, l'une des clefs du succès de Mapplethorpe.
Sam, une sorte de beau gosse quinqua au physique vaguement "playboyisant" fut donc l'amant puis l'ami de Robert pendant un certain nombre d'années. Il fut surtout un collectionneur de photos, dans ce début des années soixante-dix où la photo était peu considérée et peu cotée : on pourrait même dire qu'il est l'un des cinq ou six collectionneurs à avoir favorisé la reconnaissance artistique de la photographie. On comprend mieux la complicité d'intelligence et de passion qui unissaient les deux hommes que vingt cinq ans séparaient.
Un documentaire existe (Black White + Grey, de James Crump), que je n'ai pas vu mais qui semble tout à fait intéressant, qui retrace la vie de cet homme atypique, passionné par ailleurs d'art minimaliste (lien ici).

Sam Wagstaff asleep, Polaroid, 1973, Robert Mapplethorpe.

Pour l'anecdote, quand Sam Wagstaff vendit sa collection au Getty Museum, trois ans avant sa mort, en 1984, il en retira 5 millions de dollars, somme importante à l'époque mais qui, au regard des 4,3 millions de Rhein II, fait un drôle d'effet : sa collection était riche de près de 30000 images...
Le plus haut record pour la vente d'un Mapplethorpe semble être actuellement légèrement sous la barre des 650 000 dollars.

*Robert Mapplethorpe curated by Sofia Coppola.
Du 25 novembre au 7 janvier 2012. 
7, rue Debelleyme, 75003.

lundi 7 novembre 2011

Lulu revue

Un autre genre d'esthétisme, pas de copeaux, bien qu'une hache s'y fasse entendre : le Lulu donné par le Berliner Ensemble au Théâtre de la ville. C'est d'après Wedekind, mis en scène par Robert Wilson et mis en musique par Lou Reed avec, dans le rôle titre, la très grande Angela Winkler.



L'histoire de Lulu cette fois nous est présentée par le prisme de sa mort, exposée à l'avant-scène, en prologue, en pré-texte. Ensuite la narration s'effectue depuis ce point de fuite : Lulu's death A, Lulu's death B, Lulu's death C...
On est dans une logique de frontalité – c'est cru, c'est là, c'est extrêmement formel, cruel – et dans une fatalité contraire de perspective – tout est lié, sur une même ligne, c'est une mécanique dont le point de départ est là-bas et vers lequel on tend –, fausses contradictions auxquelles le décor rend grâce.



Frontalité et perspective :
ces deux photos sont de Lesley Leslie-Spinks
(la rouge vilainement rephotographiée depuis le programme).

Ici on ne craint pas le malheur qu'apporterait la couleur verte sur une scène : ce sera au contraire la teinte des gants de Lulu dans les premiers tableaux, comme une inversion du costume d'Yvonne Guilbert par Toulouse Lautrec. Ainsi que celle des végétaux phalliques, asperges ou cyprès, qui tressent ici encore la sève et la mort dans leur intimité. Oui, cette vie est un malheur interminable qui ne voit pas de répit.


Le Berliner Ensemble est plus qu'à son aise avec les chansons de Lou Reed : c'est un cadeau pour ces gens-là qui savent tout faire, chanter, danser, jouer, bouger et rester immobiles! Angela Winkler qui, selon Bob Wilson, "est particulièrement douée pour produire le son le plus doux, ce qui est la chose la plus difficile à faire au théâtre" (démonstration qu'elle réalise effectivement), fait presque aussitôt oublier qu'elle n'a pas l'âge du rôle (elle est née en 44).
On pourrait s'agacer du formalisme wilsonien, mais on est vite emporté, conquis par la vitalité des artistes et obligé de reconnaître que rigueur n'est pas sécheresse, au contraire : dans ses plans millimétrés, Wilson fait passer tant d'expression que l'on y trouvera du Pabst et du Kurosawa, du théâtre d'ombre et du cabaret berlinois, du Paul Strand et du Munch selon sa sensibilité, und so weiter.
Ces trois heures de spectacle paraissent trois quarts d'heure.

mercredi 2 novembre 2011

statuaire

C'est une belle exposition que celle des sculptures de Baselitz au musée d'Art moderne de Paris : complète  – des pièces de 1979 à nos jours, simplement présentées. 
Il y a deux ou trois choses intéressantes à signaler, qui peuvent inciter à aller voir sur place, de ses propres yeux. D'abord, tout bêtement, comme le suggérait le jeu de mot du titre du post d'hier (art will not be televised), la sculpture de Baselitz mérite le direct : photos, vidéos..., non, rien de tout cela ne rend compte de la présence physique de ces corps de bois.
Photo Jacques Demarthon/AFP/Getty
Les femmes de Dresde.
Ensuite, le parcours rétrospectif de l'exposition permet d'appréhender le cheminement de l'artiste et conserve l'intégrité de différents ensembles – les femmes de Dresde, les fragments, les figures populaires etc. 
Ce qui a l'intérêt de mettre en évidence la richesse du travail de Baselitz, le nombre stupéfiant de propositions sculpturales, formelles, qui s'affichent là avec l'air de n'y être pas, comme dans l'envers de la sculpture. Les spectateurs qui, comme moi, connaissaient peu Baselitz sculpteur, iront de surprise en surprise. Joyeusement.

Troisième chose : le retour de la statue. Je ne sais comment le dire autrement. Lorsque je visitais cette exposition, c'est le mot statue, plutôt que sculpture, qui me venait en tête, de façon insistance, découvrant l'ensemble des femmes de Dresde, les têtes et torses rouges (ci-dessous), les choses à carreaux (Ding kariert) etc, jusqu'aux autoportraits monumentaux (on voit, ci-dessus, la taille de ces derniers). C'est une célébration de la sculpture par elle-même.

Sonderling (Excentrique)