jeudi 28 avril 2011

babel

J'ai passé la fin de l'après-midi à la BnF, c'était la première fois que j'allais dans la Bibliothèque dite de recherche, au sous-sol. J'aime bien cet endroit, je m'y sens un peu perdu sans les automatismes de l'habitude : il y a pas mal de procédures à suivre — avoir réservé sa place, ses ouvrages à l'avance, passer au vestiaire troquer son cartable contre une pochette transparente, s'identifier avec son badge ici, puis là...



Les espaces de transition sont démesurés, un peu comme des décors de ciné. Une fois de plus j'avais l'air assez atypique là-bas : je n'avais qu'un seul livre et quelques cahiers d'enfant, en kraft, sur lesquels j'écrivais à la main alors qu'autour de moi les étudiants et les chercheurs possédaient tous un ordi et étaient entourés de piles de documents. Ambiance studieuse. Je regardais les uns et les autres à la dérobée tentant de percevoir l'objet de leur recherche, leurs cogitations... Mais les masques montraient tous une même impassibilité, une concentration dénuée de haussements de sourcils, de sourire, de rictus : du marbre.

Lorsque j'allais chez Muzo faire de la kiné respiratoire, en sortant du métro Barbès je tombais régulièrement sur des jeunes gens qui distribuaient des publicités pour des médiums. Il y a fort longtemps j'étais friand de ces mini prospectus dont les promesses naïves alliées à des fautes de français touchantes en faisaient de véritable petits poèmes. 
Malheureusement ces voyants ont avec le temps amélioré orthographe et syntaxe et la charge poétique a disparu. Platitude du progrès, fadeur du conforme, tristesse du faux savoir... De Charles, médium voyant guérisseur, à Maître Haly, grand médium voyant, en passant par Professeur Daouda, grand voyant médium guérisseur, il n'y a que le sobre Professeur Moro pour m'émerveiller avec cette introduction étrange : "Regardez bien ce qu'il a en main, c'est une preuve fatale ! Si vous voulez vous faire aimer et si votre partenaire est parti(e) avec quelqu'un, c'est du domaine." 
"C'est du domaine", une expression dont j'aimerais me resservir.



Sur un mode similaire mais cette fois éminemment émouvant, une amie me révèle un courrier qu'elle a reçu d'un étranger parlant peu le français. Je n'ai nulle permission de publier ici cette lettre, cependant je me permets d'en citer les deux premières phrases, écrites à l'origine en bleu turquoise, positionnées comme  les vers d'un poème :
"Je ne te oublie jamais
je vous pense toujours".
À la lecture de la missive, j'en avais la gorge nouée, ne pouvant m'empêcher de trouver plus de sens et de puissance émotionnelle à cette formulation-là que si les phrases avaient été tournées en "bon" français. Plus loin il y a aussi un "pour l'amour je t'aime" qui là aussi déborde de sur-sens. Oui un homme qui écrit comme ça, j'aimerais qu'il me pense toujours.

mercredi 27 avril 2011

zurich

Quelques jours de silence côté blog puisque je suis parti pour Zurich où je n'ai à ma disposition qu'un clavier de langue allemande : chaque lettre accentuée nécessite des manipulations digitales sans fin... Donc j'ai renoncé.


Depuis ma dernière venue, plusieurs mois se sont écoulés et j'ai découvert des nouveautés locales. Une grande tour bleu vert, au loin devant la fenêtre, se dresse presque terminée. Je n'en avais vu que l'ossature de béton.

C'est la plus haute tour de Suisse parait-il et le magasin Freitag constitué de containers superposés, à deux pas, paraît maintenant microscopique (la photo est téléchargée d'après le site, voir ici).


À côté encore, un nouvel espace s'est ouvert, dédié aux meubles industriels. Chez Walter, un homme sympathique, passionné, qui, lorsqu'il apprend que je viens de Paris, fait spontanément de la pub pour un confrère français, l'atelier 154, rue Oberkampf. Sa boutique est vaste et l'offre de mobilier agrémentée de textiles et de petits objets (le site c'est walterwalter.ch mais je ne fais de lien car je le trouve un peu triste).



Il a fait un temps magnifique. Alain et moi sommes allés nous promener en montagne vers Interlaken. D'autres jours, nous avons simplement fait des balades en vélo, près de Zurich : la campagne est aux portes de la ville, tout de suite la nature est éclatante. L'eau, bien qu'assez basse dans les rivières, montrait une transparence de cristal. 
Ce matin encore j'étais à moitié nu (je garde mon tee-shirt pour protéger des UV les cicatrices de la lobectomie) à prendre le soleil sur une petite île, avant de boucler ma valise et de me diriger vers la gare.
Une agréable parenthèse pleine de tendresse.

mercredi 20 avril 2011

écran

Je suis allé tout à l'heure chez mon frère lui offrir un exemplaire de Polina, de Bastien Vivès. Dieu merci il n'avait pas l'album et puisqu'il ne connaît pas Vivès, il lui reste plein de belles découvertes à faire. 

Comme il est avocat, je partage avec lui ma dernière "découverte" sur le thème de la justice : dimanche dernier j'ai regardé à la suite, abasourdi, les huit épisodes du documentaire The Staircase (Soupçons), de Jean-Xavier de Lestrade, auteur entres autres du célébrissime et oscarisé Un coupable idéal. Cette fois le présumé coupable est un homme blanc, riche et reconnu...

Jean-Xavier de Lestrade.
Évidemment ni à mon frère ni à quiconque je ne veux révéler la fin, c'est-à-dire le verdict du procès. Donc certaines questions que je souhaitais lui poser concernant la différence entre les systèmes judiciaires français et américain passent à la trappe dans le souci de préserver le suspense. Pour la même raison, quiconque achète le boîtier des trois DVDs doit s'empêcher de regarder le DVD de compléments avant la série complète. Ce dernier comporte par ailleurs une intéressante interview du réalisateur dont j'ai tiré l'image ci-dessus.
À certains moments de la soirée, mon frère me fait penser au héros de la série, l'accusé Michael Peterson. Parce que je trouve l'échange entre lui et moi assez difficile (il me paraît plus apte à se livrer qu'à m'écouter) et dans certaines façons qu'il a d'évoquer son couple et ses enfants.

mardi 19 avril 2011

gigot bitume

Inutile de chercher un titre plus adéquat à ce billet. 
Gigot fait penser aux repas de famille, aux plats mijotés et au bonheur de vivre ; bitume renvoie à l'urbain, au bâtiment mais aussi au monde de la peinture ; et l'association de ces deux mots semble un poème à lui tout seul alors qu'il est véritablement le nom d'une recette... Mais tous ces signifiés valent pour évoquer ce nouveau resto de la rue Martel, qui porte ce drôle de nom et se situe dans l'ancien magasin de luminaire auparavant bourré de cristalleries.


C'est vraiment l'endroit le plus sympa du quartier. Pour l'instant, Ludivine Billaud, aussi illustratrice (et ça se voit) a investi le lieu de façon éphémère. Une déco inspirée, des tables d'hôtes, une nourriture savoureuse... : on est vraiment bien ici. Moi j'ai mis un peu de temps à entrer car le lieu n'a pas de porte sur la rue, mais une fois à l'intérieur, j'étais ravi de cet aspect vaguement confidentiel.
Ludivine est adorable et c'est vraiment agréable de croiser une personne pleine de talent (le tout petit café-resto Look, en face dans la rue, c'était déjà elle) qui semble faire les choses avec limpidité et générosité (oui ça me change de mon milieu professionnel...).
Mi-mai des travaux vont commencer pour rendre le lieu plus fonctionnel. À coup sur il aura ensuite autant de charme que maintenant. Mais ça vaut la peine d'y jeter un coup d'œil sans tarder, pour profiter de l'effet avant-après.
Le midi seulement (toujours pour l'instant).

Gigot Bitume, 12 rue Martel, 75010. Le midi, sauf le week end.
Moi j'ai pris une assiette végétarienne froide, un verre de vin, une tarte et un café : 25 euros.

lundi 18 avril 2011

vacances

Je suis passé à la BnF tout à l'heure. 
C'est un mini voyage car dès la ligne 14, tout est différent. Est-on à l'étranger ? C'est moderne, les espaces sont gigantesques, le métro roule très vite, la quantité de touristes renforce l'idée du déplacement. Rendu à la station de la biblio, on se croirait carrément arrivé à un terminal d'aéroport. Quand au quartier autour de la Bibliothèque, c'est aussi un Paris bien particulier : pas mal d'immeubles contemporains, avec leur balcons, me font penser à ceux de Zurich.
Avec ce beau temps, la sensation d'ailleurs était complète. 



Dans la BnF en elle-même, j'ai été très longuement et très bien renseigné par une jolie femme de l'accueil (même la création du dépôt légal par François 1er y est passé!...). Finalement vu la fréquentation durant les vacances, elle me conseille de venir plutôt le soir, vers 17 heures. Je vais tenter ça ces jours-ci.

repos

Jeudi midi je suis arrivé assez tôt au journal, beaucoup plus tôt que d'ordinaire car j'avais eu rendez-vous juste avant pour un déjeuner assez matinal. Je ne sais plus comment cela est arrivé, mais une collègue de travail se met en tête de me raconter une scène entr'aperçue depuis chez elle, dont le spectacle l'a captivée et charmée en même temps.
Il s'agit d'un immeuble en face du sien, sûrement à une certaine distance, un foyer où un hôtel ou une résidence de meublés, en tout cas à différentes fenêtres elle reconnaît les mêmes éléments de mobilier aux mêmes endroits. Elle évoque Mondrian, il y a trois de ces fenêtres éclairées à des niveaux différents de l'édifice et trois silhouettes d'homme, chacun dans son habitat. Des zones sont de lumière dorée, d'autres verdâtres tels des aquariums. Plusieurs fois elle dit "ce sont des hommes" et ces simples mots décrivent une situation sociologique et donnent une coloration érotique. C'est loin pourtant, elle ne saurait pas dire si ces hommes sont habillés ou nus, ce n'est pas de voyeurisme qu'il s'agit mais de la confrontation visuelle des mouvements de ces trois ombres chinoises, ici et là, avec les mains elle place les appartements dans l'espace devant elle, comme la même scène qui aurait subi des translations dans l'espace (ou une situation écrite par Claude Simon ou Alain Robbe-Grillet). Au bout d'un moment d'observation, bien qu'elle ne cherche en rien à savoir ce qui se passe vraiment sous ses yeux, ma collègue décrypte l'étrange chorégraphie de l'un des trois hommes : il étend son linge, avec les gestes précautionneux dont sont capables les hommes célibataires. Comme elle a une façon bien à elle, pas du tout linéaire, de raconter, plus elle en parle et plus je me sens pris dans la torpeur intimiste qu'elle dit avoir éprouvée. Une forme d'apaisement, d'intimité partagée, et j'arrive très bien à visualiser la scène et à ressentir moi aussi cette fatigue douce et fade.



Plus tard, cette fois c'est vendredi avec CL au théâtre de la ville, je repense beaucoup à cet immeuble-chorégraphiant-ses-célibataires-eux-mêmes pendant un spectacle qui a peu à voir. Il y a d'abord une pièce intitulé White Feeling, par dix danseurs qui pourrait être dix marins en voguette s'ils n'étaient vêtus de noir ; puis Organic Beat, sur une musique de John Cage avec cette fois trente danseurs et danseuses optiquement nus. Les deux sont de Paulo Ribeiro. Oui il me manque, pendant cette débauche d'excellence corporelle (le ballet de Lorraine), extrêmement gymnique, des moments d'émotions fatiguées, des surfaces où le temps s'étire jusqu'à se fâner ; de la fragilité.

vendredi 15 avril 2011

entre nous

Une partie de ma vie s'abime dans mes nuits. C'est nouveau. Est-ce la fatigue générée par l'exercice physique quotidien ? Ne s'écoutant que lui-même (c'est-à-dire ignorant l'alarme du téléphone), mon corps s'octroie huit heures de sommeil ces derniers jours. 
- Huit heures ? Mais je ne suis pas du tout organisé pour cela, je n'ai pas prévu cela !!! Je n'y arriverai jamais, j'ai plein d'autres choses à faire !!!
- Tais-toi je dors.

Voilà le style de dialogue qui advient entre mon esprit et mon corps. 
L'un est impuissant, l'autre est paresseux. Voyez un peu le genre de personnes avec lesquelles je vis. 
Pffff!




mardi 12 avril 2011

brazil

En rentrant du yoga hier soir je photographie mes voisins de métro qui pianotent tous deux sur leur téléphone ou leur mp3, j'ai l'impression d'assister à un jeu de miroir. 
Par la fenêtre, on aperçoit le Christ du Corcovado.



lundi 11 avril 2011

mobile

Alain était en Espagne ce week end et ne rentre en Suisse que demain. Il m'appelle plusieurs fois grâce à Skype et à son iPhone, notamment de la Plaza del Parque, à Ibiza. Pendant qu'il me parle il me voit sur son téléphone saisi par la webcam de mon ordi tandis que moi j'ai vue sur le paysage en face de lui.


 J'ai déjà parlé de mon attrait pour les photos "ratées" et les images qui défilent sous mes yeux pendant la conversation sont assez belles dans ce goût-là. Je réalise quelques captures d'écran. Celle-ci, ci-dessus, est un hommage à CC, seigneur des ano(nymes).


Elles condensent deux extrêmes que j'aime bien : l'aspect fané des photos anciennes —avec les couleurs passées et les détails effacés —, et celui d'une vidéo d'art contemporain — avec les pixels qui redistribuent le rouge vert bleu de façon aléatoire et la lumière vivante qui dévore tout.

Ce soir Alain me téléphone de Barcelona, d'un bed and breakfast où il a l'habitude de descendre. De sa petite chambre, l'écran me montre des teintes rouges et sang séché comme celles d'un Rothko.

dimanche 10 avril 2011

du meurtre (3)

Pour clore cette chaude journée du jeudi m'attendait l'avant-première du documentaire "Maurice Papon, itinéraire d'un homme d'ordre", réalisé par Emmanuel Hamon et co-écrit par Marc Olivier Baruch.




Avec ce film on suit la carrière de Papon, stupéfiante de longévité : entre autres, détaché auprès de François de Tessan (gouvernement Blum !!), directeur de cabinet de Maurice Sabatier, secrétaire général de la préfecture de Gironde, directeur de cabinet de Gaston Cursin à la Libération, chef de cabinet à l'intérieur, préfet de Constantine, Préfet de police de 58 à 67... pour finir ministre sous Giscard d'Estaing.
Le parti pris est de s'en tenir à la description du parcours professionnel — images d'archives, interventions d'historien, extraits du procès...— sans tenter un portrait psychologique de l'homme : on reste donc centré sur les questions essentielles du lien entre la liberté individuelle et la raison d'État, la responsabilité et l'obéissance, la morale et la fonction etc.
Passionnant. 
Moi j'ai été spécialement marqué par l'évocation de la période de violence (fin des années 50 début des années 60) entre la France et les mouvements indépendantistes algériens, les attentats et la répression policière.

Pour chacun, le film pourra être vu sur France 2, magazine Infrarouge, le 14 avril.


Dernier petit clin d'œil sur le meurtre du père, qui m'est venu lors de la lecture de la critique que j'évoquais dans le billet précédent, qui est une bonne occasion de constater que l'on peut se présenter expert de quelquechose et n'y rien comprendre pour autant.
C'est lors de la promo de son pamphlet anti-Freud, l'année dernière, que Michel Onfray nous régale de cette sottise. Ça se passe sur le plateau de "On n'est pas couché". Éric Naulleau questionne Onfray lui demandant si, en déboulonnant ainsi Freud, il ne s'inscrirait pas lui-même "dans une démarche alors là freudienne, où vous voulez tuer le père ?" 
La question n'est pas mauvaise et Onfray, après quelques détours et après avoir clamé qu'il ne croyait pas au complexe d'Œdipe, répond enfin : 
"... simplement l'histoire du meurtre du père, moi je n'y crois pas, il se fait que j'ai adoré mon père qui est décédé quelques jours après la fin de cet ouvrage donc je trouve que c'est un mauvais procès que d'imaginer que j'aurais eu un problème à régler avec mon propre père."
C'est tellement drôle.
- parce qu'Onfray en parle comme d'un meurtre réel
- parce qu'Onfray a l'air de penser qu'il faut forcément ne pas aimer son père pour le tuer symboliquement
- parce qu'Onfray, en répondant sur la mort réelle du père quand on le questionne sur le meurtre symbolique, se place vraiment dans la logique du retour du refoulé : il avait donc vivement envie de tuer le père! Ce dont semble attester l'apparition inattendue du "mauvais procès".
Noircir des pages entières sur la psychanalyse et ne pas saisir des choses aussi simples : c'est la force de la névrose.

vendredi 8 avril 2011

du meurtre (2)

Il fait très chaud aujourd'hui mais ce n'était pas sensible dans les rues étroites que j'avais empruntées, jusqu'à ce début d'après-midi où soudain je débouche en plein soleil sur les Grands boulevards au niveau de Bonne-Nouvelle. Une sensation de canicule m'assaille, avec l'odeur du chaud qui transpire du macadam et déjà des quidams en short.
L'un d'eux me dépasse et je vois qu'il porte son bermuda descendu en dessous de son sous-vêtement comme on le voit souvent avec des jeans, mais là, avec un pantalon de coton aussi léger que le caleçon en lui-même, la fausse dégringolade ne rend pas le même effet. On dirait un simple oubli après une pause aux toilettes.






Plus tard, cherchant sur Internet la critique du dernier album de Bastien Vivès dont Malika parlait dans son commentaire, je tombe sur un texte signé Stéphane Beaujean, publié sur le site des Inrocks. Je ne sais pas si c'est à cet article que Malika faisait allusion, mais pour être étrange, cette "critique" l'est certainement par ces balancements perpétuels entre "c'est bien" et "ce n'est pas bien". L'artiste est talentueux mais crée des album moyens et tourne en rond, la main naturellement douée et le dessin élégant produisent tout de même des images laborieuses, etc. Ces considérations présentent peu d'intêret.
Je suis toujours troublé quand je lis une critique qui ne m'apprend rien ni sur l'œuvre, ni sur l'auteur. Quoique c'est injuste, car si je n'avais écouté Bastien Vivès à la radio, je n'aurais pas su que ses deux parents étaient eux aussi des artistes, et cet article le signale en partie (en partie seulement, car uniquement du côté du père, détail signifiant...).


Ce qui m'a amusé, c'est le paragraphe sur le meurtre du père. Ça m'a fait penser à Michel Onfray mais j'expliquerai plus loin pourquoi.

Extrait : "....puisqu'il propose, somme toute, de tuer le père. Mais il s'agit ici de le tuer avec nuances, avec affection, comme par inadvertance, par le simple fait de vivre. Cette scène où la danseuse, sortie de l'enfance et désormais célèbre, prend conscience de l'inversion des rapports, que désormais le maître admire l'ancienne élève, est belle. "


On passe sur les confusions entre "tuer le père" et "dépasser son maître" (ou même "être admiré par son maître") qui ne se superposent pas.  Mais ce que n'a pas saisi Stéphane Beaujean dans ses cours exprès de psychanalyse, c'est que le meurtre du père concerne surtout les enfants mâles et que les petites filles, elles, auront à faire avec le meurtre de la mère et avec d'autres choses concernant les figures paternelles beaucoup plus complexes qu'un "simple" meurtre... 
Je pourrais même me laisser aller à une hypothèse : que cette incompréhension empêcherait Stéphane Beaujean de goûter la subtilité du travail de Bastien Vivès, notamment dans son évocation de l'adolescence...

jeudi 7 avril 2011

du meurtre (1)

Après avoir rendu visite à un confrère psychothérapeute je me retrouve vers 14 heures à Chemin vert et le soleil m'incite à m'arrêter à une terrasse dont j'ai pourtant déjà testé par le passé la médiocrité (Café Cuba compagnie). Une fois installé, comme l'avant-veille je me laisse aller à écouter les conversations voisines, d'autant plus facilement que quelques tables plus loin trois messieurs de l'âge de la retraite contemplent un ancien Leica que l'un d'eux extirpe d'un sac spécial photo. Il faut dire que ce tronçon du boulevard Beaumarchais est le spot des réparateurs et vendeurs d'appareils anciens.
Les trois hommes sont assis côte à côté, me faisant face, à quelques mètres sur ma gauche. Mon regard est immédiatement capté par le petit bijou d'optique qu'ils manipulent.

Le Leica en question date de 1936, jumeau de ce modèle
à gauche, mais il possédait aussi un viseur supérieur comme sur la photo de droite.

- J'en avais un que j'avais acheté passage Verdeau chez...
- Chez Latour !
- Oui, ce bon Jean Latour.
S'ensuit une conversation sur les objectifs ("il est de 1950, 1951, n'est-ce pas ?"), les numéros de boitiers, les traficotages d'objectifs... bref, je suis bien avec des spécialistes. Je n'arrive pourtant pas à savoir si ces hommes sont des collectionneurs nostalgiques ou réellement des photographes qui utiliseraient leurs appareils pour réaliser des photos. Il y a quelque chose dans leur rapport à l'objet qui m'apparaît comme un entre-deux, qui n'est pas "franc" et notamment celui qui est venu avec l'appareil le range et le ressort régulièrement du sac posé à coté de lui, sac dont il garde la bandoulière sur l'épaule tout en me regardant comme si j'étais susceptible, soudain, de vol à l'arraché. 

Mon esprit vogue ici ou là quand je crois entendre l'un d'eux dire
- Vous avez vu en Haïti ils ont élu un chanteur. Ce sont bien des nègres !
Celui qui est le plus proche de moi, qui est donc le plus audible, répond
- Ils auraient pu choisir un joueur de foot!
Je n'arrive pas bien à saisir si c'est du second degré ou non, à nouveau je tends l'oreille mais la conversation est reparti sur les Leica, le nettoyage des objectifs, le prix des réparations etc. Le propriétaire de l'appareil sort une mini brosse rétractable qui ressemble à un tube de rouge à lèvres pour épousseter l'objectif.
Un quatrième larron arrive qui est peut-être quelqu'un du café, je n'ai pas prêté attention à tout aux prises avec le foie de veau le plus coriace de ces cinquante dernières années, et attaché à trouver un peu de fraîcheur dans la salade annoncée qui s'avère une mini-chiffonnade dans une timbale de porcelaine.
Je les entends cette fois marmonner avec acrimonie mais aussi avec le ronronnement des personnes qui se savent en confiance :
- Blablabla... Panthéon... blablabla vont bientôt nous faire croire... blablabla mieux que Victor Hugo.

Le vin est aussi mauvais que la nourriture. Je suis assez bluffé des connaissances techniques de "mes" trois retraités en matière de photo. Le plus silencieux des trois s'avère lui aussi propriétaire d'un Leica et semble tout aussi informé. En fait, chaque fois la conversation revient sur le thème photo et l'appareil refait le tour de leurs mains, qui regardant dans le drôle de petit viseur supérieur, qui commentant les objectifs supplémentaires que l'autre sort de son sac comme des munitions. Au bout d'un moment j'apostrophe le plus proche :
- "Vous vous en servez réellement ou bien juste vous les collectionnez ?"
- "Je m'en sers, il y a du film dedans", me répond le vieux sans perdre son air suspicieux à mon égard et sans engager cependant la conversation.

Ensuite il y a nouveau un quatrième personnage — est-ce celui qui était déjà passé échanger quelques mots ? — venu les rejoindre, qui comme précédemment reste debout entre eux et moi, brisant le flot de leurs paroles puis quand il s'apprête à partir l'un des trois lui lance :
- "Tu connais l'histoire du Pape avec le noir ? Elle est excellente."
Et le voilà racontant une histoire "drôle" du niveau école primaire qui s'avère un "blague" anti-noir.
J'en reste sur le cul de tant d'imbécilité. Tout d'un coup mes trois vieux ont un autre visage et je comprends mieux ce qui m'intriguait dans leur rapport aux appareils photos. En réalité, ils ont avec ces appareils un lien que certains collectionneurs ont avec les armes à feu. Même dans le maniement des boîtiers, la façon de viser, tout sent le meurtrier en puissance.

En rentrant au journal je vérifie : je tape Panthéon mercredi sur google. Oui, c'était bien aujourd'hui l'hommage de la nation à Aimé Césaire.
Putain de planète.

mercredi 6 avril 2011

une page de pub

Comme je devais dîner ce soir avec Malika, je suis passé lui acheter le dernier Bastien Vivès, qui est sorti le mois dernier. J'en ai pris un aussi pour mon frère, qui est fan de bédé, en supputant que ni l'un ni l'autre ne l'auront déjà lu. Si j'imagine que mon frère ne connaît pas forcément cet auteur, j'espère que Malika, elle, lisant ce blog (elle a annulé notre dîner), évitera de s'offrir l'album...


Bastien Vivès


On peut écouter le charmant Bastien sur France Infos, j'ai la flemme de faire le lien ici, on trouve tout cela facilement en tapant quelques mots dans google. 
J'ai noté que sur son blog (lien à droite), certains commentateurs soulignent des fautes d'orthographes dans les textes sans accabler Vivès mais, à juste titre à mon avis, l'éditeur. Quand on a la chance de travailler avec un auteur d'un tel talent, le minimum est de prendre soin de son travail : Casterman pourrait se payer un correcteur tout de même. Bon, le livre s'appelle Polina.

lundi 4 avril 2011

hispanophones

Ce matin, après moult kilomêtres immobiles en salle de gym, j'ai finalement été récupérer le disque dur qui contient les images que j'ai filmées récemment (voir "travelling", billet du 03/04/11). Ça a surtout été l'occasion d'une conversation agréable avec Olga, plongée dans les affres de la rédaction d'une thèse sur le théâtre contemporain. Pendant qu'elle décrit son angoisse, sa façon d'écrire ou de ne pas le faire, je pense irrésistiblement au mémoire que moi-même je suis censé produire pour la fin de l'été et à mes camarades de promo, avec qui j'ai bossé ce samedi, et que j'ai taquinés à ce sujet.
Olga est originaire de Colombie et elle a conservé un accent charmant : elle possède surtout ce que moi j'associe à l'Amérique Latine, c'est-à-dire une énergie communicative qui d'ailleurs, m'empêche un peu de prendre ses difficultés de thésarde tout à fait au sérieux.
Après l'avoir quittée je me dirige vers un métro direct pour rejoindre le journal et je me pose pour déjeuner dans un café, le Rouge limé, proche de la station Charonne. Non loin de la table que j'ai choisie se tiennent deux femmes aux cheveux gris, dont l'une, justement, à elle aussi l'accent espagnol.

"Saturne dévorant un de ses enfants",
par Goya. C'est cette peinture
qui figure sur la couverture
du séminaire IV de Lacan,
consacré à la relation d'objet...
"J'ai pleuré, pleuré, pleuré tout le temps de mon premier mariage", l'entends-je dire et je tends l'oreille pour écouter le suite de l'échange. C'est elle qui parle le plus. Malheureusement beaucoup de paroles se perdent dans le bruit environnant. Je comprends par la suite que la femme espagnole insiste sur la nécessité de "discuter, pas se disputer", puis qu'il existe un léger différent entre elles sur des questions politiques. Je ne sais pas pourquoi je suis à ce point absorbé par elles, et aussi par l'Espagne subitement car je trouve que la serveuse à un type hispanique alors que de toute évidence on pourrait prétendre que non.

Mes deux voisines abordent le sujet de la religion. La volubile est croyante, catholique, véhémente, tandis que l'autre du bout des lèvres admet qu'il y a sans doute une puissance, mais pas ce genre de Dieu-là...
- "Dieu c'est la toute-puissance, ce n'est pas la puissance, c'est la toute-puissance" assène l'énergique grand-mère.
Par quel mystère l'autre surenchérit-elle en murmurant "Dieu c'est la géométrie "... ? Mon abuelita ne s'en laisse pas compter :
-"Dieu c'est zéro et c'est l'infini".
Elles sont vraiment amusantes. C'est à ce moment, puisqu'elles ont déjà remarqué depuis longtemps que je les écoute, que je glisse :
- "Vous savez qu'un poète disait : la vie des Dieux est mathématique". Voilà qui les comble, les deux, et leur semble comme une conclusion.

Je leur confie volontiers que j'ai écouté la conversation depuis le début, depuis le "j'ai pleuré tout le temps de mon premier mariage" qui m'a en quelque sorte agrippé. L'intarissable grand-mère, 86 ans, me raconte le dit mariage, en Espagne, fiançailles à 17 ans et noces à 22 ans, avec un colonel de la guerre d'Espagne, machissimo et maltraitant. "Il avait tué des enfants à la baïonnette, violé des femmes, brûlé des villages entiers, c'est comme ça qu'ils faisaient." "Moi j'étais une enfant, je ne savais rien, il était d'une cruauté..." J'ai même droit à quelques détails du voyage de noces. Mais elle raconte tout cela avec un soleil dans les yeux et un sourire éclatant.
Quand enfin je dois m'enfuir elle me demande si je prie. Je lui avoue que non. Elle me demande alors de prier tout de même pour elle, pour qu'elle parte à son heure et en bonne santé et se réjouit car nous nous reverrons un jour dans l'au-delà !

dimanche 3 avril 2011

travelling

A Philippe-Auguste donc, je devais aller récupérer les images que j'ai filmées au cours des semaines passées. La caméra que l'on m'avait prêtée ayant quelques bugs, Maria s'était gentiment chargée de les numériser avant de partir en vacances et les avait laissées à mon intention chez elle. Avec force compliments d'ailleurs : les rushes étaient soi-disant très beaux, très stables etc. Du coup j'ai un peu hâte de les voir, mais je pense aussi que ces louanges révèlent plutôt qu'elle s'attendait à des images tremblées, mal exposées, mal cadrées etc. Malheureusement nous nous sommes loupés avec Olga qui devait me remettre les cassettes et le disque dur. Je suis rentré bredouille à la maison.
Et comme cette matinée devait me réserver des surprises, je me suis retrouvé coincé dans l'ascenseur entre le quatrième et le cinquième étage alors que je n'avais plus que trois-quarts d'heure pour aller rejoindre S. au Café Beaubourg. Sur le coup ça m'a fait un peu peur : la cabine est petite, la taille d'un cercueil pour trois disons. J'ai appuyé fébrilement sur les boutons et notamment sur celui de la sonnerie. Aïe, je me voyais immobilisé-là pour la journée. Rien ne se passant (alors qu'une fois précédente par inadvertance j'avais appuyé sur le bouton sonnerie et j'avais presque immédiatement été mis en relation avec une hot-line de maintenance à qui je ne savais que dire) j'ai eu l'idée d'essayer de remonter. Bingo ! Si l'ascenseur refusait de descendre, il était tout à fait d'accord pour retourner au septième. Pas encore l'échafaud. Un petit bonheur paradoxal.

vendredi 1 avril 2011

exercices de style 3

En allant à Philippe-Auguste ce matin : on ne les voit pas sur la photo mais le jeune garçon qui aime les duos colorés porte des chaussures elles aussi bicolores, noir et rouge.


(...) "Ce n'était ni la veille, ni le lendemain, mais le jour même. Ce n'était ni la gare du Nord, ni la gare de Lyon mais la gare Saint-Lazare. Ce n'était ni un parent, ni un inconnu, mais un ami. Ce n'était ni une injure, ni une moquerie, mais un conseil vestimentaire."
Extrait du chapitre Négativités, Exercices de style, Raymond Queneau, éd. Gallimard.

les portes du temps

Aujourd'hui, nous sommes jeudi, et le temps d'écrire et de poster ce billet il va s'afficher à la date de vendredi. Parfois ces petits détails me déconcertent.


Hier j'ai déjeuné avec la séduisante CL, que je n'avais pas vu depuis quelques mois. Elle a changé un peu, physiquement, car l'amour l'apaise : elle a trouvé son Paul (voir "Paul et John", billet du 15/02/11) qui, par un fait exprès, se nomme Paolo. J'avais en tête qu'elle le connaissait depuis plus d'un an : je me trompe, c'est 10 mois corrige-t-elle. Comme je suis extrêmement fleur bleue, je l'imagine déjà avec des enfants mais ce serait bien rapide (?)... Je découvre que nous partageons la même passion pour les plantes (pas seulement les fleurs bleues, donc) : elle fleurit et verdit le balcon de son Paul, évoque le plaisir d'arroser le soir.
Parfois j'ai le sentiment que CL est ma petite sœur, parce qu'elle a quelque chose qui me fait penser à ma vraie sœur pourtant mon aînée et pourtant très différente.

Va-t-elle se lancer dans une stratégie pour redresser ses dents ? De mignonnes petites dents de guingois. "Ce sont les dents de mon grand-père", dit-elle. Je bride ma curiosité et retiens toutes les questions qui me viennent à l'esprit concernant cet ancêtre maternel, sa mère, je voudrais tout savoir.
Plus tard dans l'après-midi, alors que chacun nous sommes retournés dans nos journaux respectifs, je lui envoie les coordonnées de ce blog. Et pour elle, un petit clin d'œil, cette statue de Maimonides photographiée à Cordoue, référence à son autre grand-père.