lundi 31 janvier 2011

honni Hosni

Une image du confort moderne au Caire, 2006. 



























C'est demain, en Égypte, la grande grève.

"... Le mausolée ne brillait pas par sa magnificence, aussi éloignait-il la médisance et la suspicion envers son locataire. Il aurait déplu à Karamallah de séjourner dans un édifice trop somptueux et il rendait hommage à l'architecte qui avait conçu ce monument funèbre avec l'imagination bornée d'un fonctionnaire de police. Debout sur le seuil de la pièce qui servait normalement de salon de réception aux familles éplorées, Karamallah, tout en fumant une cigarette, regardait dans le lointain le mont Mokatam dont les contreforts noyés dans une brume de chaleur semblaient l'ultime horizon proposé à sa vue. Un jour songeait-il, il irait vivre là-haut, dans une cabane, tel un ermite qui observerait l'humanité avec sérénité et compassion. Mais ce n'était qu'un projet idéaliste, car il savait qu'il ne pouvait s'éloigner des hommes et de leurs turpitudes. Sans cesse il avait médité sur la lâcheté des peuples et leur soumission à l'impudence de gouvernants iniques. Cette obligeance consentie aux tyrans, laquelle confinait souvent à la dévotion, provoquait en lui un perpétuel étonnement. Il en était arrivé à croire que la majorité des humains n'aspirait qu'à l'esclavage. Longtemps il s'était demandé par quel stratagème cette énorme entreprise de mystification organisée par les possédants avait pu s'étendre et prospérer sur tous les continents. Il faut dire que Karamallah appartenait à cette catégorie de vrais aristocrates qui ont rejeté comme des habits crasseux toutes les valeurs et tous les dogmes institués par ces infâmes personnages le long des siècles pour perpétuer leur domination. Ainsi la persistance du pouvoir de ces chiens puants sur la planète n'altérait en rien sa joie d'exister. Bien au contraire, leurs actions stupides et criminelles étaient pour lui une source inépuisable de sujets divertissants. Au point de s'avouer parfois qu'il regretterait pour sa satisfaction personnelle la disparition de cette engeance, par crainte de l'ennui que dégagerait une humanité débarrassée de sa vermine."

Extrait de Les Couleurs de l'infamie, de Albert Cossery, aux édition Joelle Losfeld.

plongée

Vendredi, la nuit, jusque tard, je regarde sur Internet les nouvelles de l'Égypte, j'envoie un mail à Nelly savoir si elle a des nouvelles de ses amis cairotes. Connaissant la police et l'armée égyptiennes, la situation m'inquiète un peu. Je regarde les photos de foule — et si j'y revoyais Sayed ? —, j'ai du mal à reconnaître la place Tahrir sur les images.

Samedi soir, je termine la première journée de l'EPG consacrée à la paranoïa assez fatigué, je zappe le dîner et la soirée festive pour rentrer vite chez moi. Le frétillement de mon poisson rouge est-il à ce point perceptible ? Sur le quai du métro Bonne nouvelle je me fais silencieusement mais assurément draguer par un grand black : dommage, je manque vraiment d'énergie pour m'attaquer à ce requin marteau. 
À la maison, à nouveau, je surfe : Masr, que deviens-tu ? Photos de nuit, impression de panique : la rue a tant de visages là-bas.

Bien plus tard dans la soirée, après avoir déjà dormi quelques heures, je cherche où se jouerait le film "The Swimmer" : par un drôle de hasard, j'ai vu citer la nouvelle et le film dans un documentaire américain du début de l'année 2010 et j'apprends qu'il est ressorti en France tout récemment. Flûte, plus de séance à Paris. Me reste la bande annonce (postée tout à l'heure, en attendant de trouver un DVD), avec son technicolor tellement irréel et expressif que les couleurs semblent émaner de toutes choses, irradier les corps, effet plus saisissant encore quand l'érotisme est de tous les plans. "Come with me" dit à deux reprises Burt Lancaster à deux partenaires féminines différentes dans cette BA, sans que l'on sache si la répétition est volontaire ou bien une sorte de "technicolorisation" des dialogues, une saturation du désir qui ferait bégayer la chair. "Come with me".

Le dimanche, je repars de bon matin bravement affronter "gestalt et paranoïa". Légère déception, certains des intervenants annoncés ne seront pas là. Mais ça fait du bien de revoir ces amis de formation qui n'habitent pas Paris et sont venus spécialement.
Une fois de plus la fatigue m'envahit au fur à et mesure de la journée et je décline une érotique proposition de mon voisin inconnu de l'autre soir reçue par sms. 
Le soir, je dîne en coup de vent avec M et MO. Celui-ci évoque en ricanant la vie sexuelle d'un certain ambassadeur en poste au Caire, on se lamente des goûts d'un ministre en poste qui, pour donner un bal aux Beaux-Arts, à fait évacuer le personnel (les serviettes, les torchons).

À trois heures du matin, quand je cherche Égypte sur le Net, c'est Obama qui sort comme premier résultat.

samedi 29 janvier 2011

le masque de Lou

Est-ce que j'avais prévu de livrer quelques alexandrins du livre de Anne, la mère de Fréd ? En réalité, non. Mais maintenant que j'ai aiguisé certaines curiosités, je vais tenter de me contredire et de justifier ma première intention.
À la lecture, dès l'introduction, ce qui s'affirme c'est que la forme poétique adoptée n'est pas là pour faire joli, mais parce qu'elle s'impose comme la seule manière possible d'écrire pour Anne. Pourquoi ? Est-ce parce que, chanteuse, elle est habituée à la forme versifiée des paroles de chansons ? Est-ce une façon inconsciente d'infléchir une expression qui serait plus violente en prose ? Je l'ignore. Voici ce que dit l'auteur dans un texte d'avant-propos :
"(...) Ce journal je voulais l'écrire en prose.
Les mots ne venaient pas, je faisais plusieurs pauses.
Par contre, écrire en vers, cela m'était facile 
et les alexandrins arrivèrent tranquilles.
Je n'avais pas besoin de longtemps les chercher. 
Au bout de ma plume ils étaient accrochés. (...)"
Je crois que c'est clair, Anne n'est pas dans une recherche stylistique, elle fait tout bêtement comme elle peut avec ce qu'elle vit. Donc l'idée d'extraire quelque chose de cet ensemble me parut incongru ; c'est souvent un texte entier qui a du sens plutôt que quelques vers.

Mais j'ai tout de même cherché ce qui pourrait en quelques lignes se suffire à soi-même et aussi faire écho à mes propre sentiments. C'est le début d'un poème du 4 avril, donc dans la partie du livre qu'Anne intitule "Après SIDA".
"Lorsque je pense à lui il n'y a qu'une image,
Qui sans cesse me revient. C'est son dernier visage,
Un visage de marbre. Son air n'est plus le même,
Son nez un peu pincé, mais c'est mon fils que j'aime."


Ça m'attendrit. La façon dont le visage d'un mort n'est déjà plus celui qu'on a connu et pourtant. Et le fait que j'avais déjà tant redouté ce moment que son visage inconnu, je crois que je le connais par cœur, que je l'avais tellement imaginé ce dernier masque qu'il n'aurait pas su me surprendre.

vendredi 28 janvier 2011

rééducation

Chez Muzo, le kiné, c'est un joyeux bordel. Sympa, mais bizarre. Le lieu est tout petit : on monte un escalier raidissime et on arrive sur une sorte de palier qui tient lieu, parfois avec difficulté, de salle d'attente (trois chaises) et de réception (un comptoir-bureau). Dans cet espace riquiqui, pas moins de cinq portes : au fond pour des toilettes, à droite pour trois salles de soins, à gauche pour une autre pièce. Inutile de préciser que chaque pièce est aussi de taille plus que réduite.
Mais alors que le lieu est déjà surchargé de matos de rééducation, il y a une profusion de bibelots mais surtout de tableaux proprement délirante ! et d'un éclectisme dans le choix des images qui laisse perplexe. Dessins d'enfants de format géants, photos panoramiques de Paris, peintures plutôt croûtes,  reproductions de tableaux de maître,  aquarelles, gravure sur bois, dessins comiques... Rien ne va avec rien.

Au milieu de ce capharnaüm, un petit aquarium avec un poisson rouge mais orange. Seul. L'aquarium en lui-même n'est pas très glamour et la pauvre bestiole fait un peu pitié. Les premières fois que je suis venu j'avais envie de lui dire à Muzo que ce n'était pas très gai le spectacle de ce poisson seul dans son bouillon. Mais comme ces jours là c'est nous, patients, qui étions serrés comme des sardines devant le comptoir, je me suis abstenu. Ensuite au contraire j'ai eu l'idée de faire ricaner la galerie : en effet ce qui m'était passé par l'esprit c'est de vociférer : "il ne doit pas avoir une vie sexuelle très épanouie votre poisson". Et je me suis à nouveau abstenu, sans trop savoir pourquoi.

C'est le lendemain que j'ai compris pourquoi. Avec toujours en tête cette phrase "il ne doit pas avoir une vie sexuelle très épanouie votre poisson rouge", j'ai pris conscience que je parlais de moi. Flûte. Fallait remédier à cela, bien que je ne me sente pas dans la forme d'un cow boy préparé pour le grand rodéo. 
Heureusement avec Internet on trouve de tout : en l'occurrence un partenaire, pas loin de chez moi, qui se contenterait de ce que j'avais à offrir. Blow job, ça n'a vraiment rien à voir avec la kiné respiratoire ? En tout cas peu après que je l'eus quitté ce partenaire d'un soir m'envoyait un texto : "C'était GÉNIAL!! on se reverra ?". Ça m'a rappelé les années de la trentaine où sans m'en rendre compte j'étais plutôt sur le mode de la performance sexuelle et où un tel message m'aurait fait plaisir.
Bon, mais ce soir-là aussi ça m'a fait plaisir.

jeudi 27 janvier 2011

I'd have to be nuts...

Ce qu'il y a de désarmant, de touchant et de troublant dans les écrits de Marilyn, c'est son indéfectible candeur. Qu'elle écrive des pages pour s'"autoanalyser", qu'elle fasse des listes de tâches à accomplir ou qu'elle écrive un courrier, c'est toujours cela qui frappe : cette drôle de fraîcheur a des relents d'enfance mais n'est jamais naïve (bien au contraire!), ni même innocente. Oui, je ne trouve pas d'autre mot que candeur, et elle la conserve même si elle raconte quelque chose de grave ou de triste, et dans ces moments-là ça en devient assez beau, comme une obstination à la grâce pour tenir le mal à distance.

Au début de la lettre à Greenson, elle évoque "The Misfits"
qui date de 1961. Photo de Eve Arnold saisie sur un site
qui propose un magnifique ensemble
de photos du film : www.sheilaomalley.com
Dans certains écrits, cela produit un effet comique certain. Il y a notamment le long courrier au docteur Ralph Greenson (en 1961) où elle raconte son séjour atroce à la clinique Payne Whitney (on l'y a traitée comme une folle gravement agitée).

"They ask me why I wasn't happy there (everything was under lock and key ; things like electric lights, dresser draws, bathrooms, closets, bars concelead on the windows -- the doors have windows so patients can be visible all the time, also, the violence and markings still remain on the walls from former patients). I answered : 'Well, I'd have to be nuts if I like it there'..."
Il y a une autre scène du même acabit où les médecins s'étonnent qu'elle ne participe pas aux ateliers couture ou tricot avec les autres malades : "j'ai essayé de leur expliquer que le jour où moi je ferais cela, alors ils auraient vraiment affaire à une cinglée".

Quand elle observe les médecins à l'œuvre en revanche, rien d'amusant. C'est avec toujours cette même simplicité faussement ingénue qu'elle note : " I think they (the doctors) might learn something even -- but all are only interested in something from the books they studied -- I was surprised because they already knew that! Maybe from live suffering human being maybe they could discover more --"
Moi ça me rappelle quelque chose...


Extraits de Fragments : poèmes, écrits intimes, lettres, par Marilyn Monroe, éd. Seuil

mercredi 26 janvier 2011

sortilèges

Ces jours-ci je m'endormais avec Marilyn Monroe dans mon lit. Il y a pire comme compagnie. Mais ces deux dernières nuits, les souvenirs de Fréd ont tourné et tourné des heures dans mon crâne. La faute en revient au bouquin de sa maman, Anne.

C'est un drôle de livre. D'abord un titre étrange, "Pendant Après SIDA", les majuscules sont de l'auteur. Ensuite une forme déconcertante. Une suite de petits textes écrits en alexandrins au cours de1993 et 1994, années qui voient environ un an de maladie et de traitements, la mort puis l'après décès de Fréd.
Le but affiché est double : témoigner de la douleur d'une mère, et tracer un portrait de Frédéric, portrait qui est enrichi de quelques photographies, reproductions de ses peintures, articles de presse le concernant. C'est triste forcément. 

Détail d'une photo de André de Dienes
tirée de "Marilyn Monroe, fragments", aux
éd. du Seuil. Un cadeau surprise de Maria.
Cette nuit donc je me demandais : si ma mère devait faire un portrait de moi, aujourd'hui, adulte ? Elle n'aurait pas grand chose à sa disposition pour toucher de près ce que je suis : elle aurait des images de moi en public où je fais bonne figure, des images de moi comme celles d'un album photo, en vacances, lors de fêtes familiales par exemple, et d'autres, de moments plus intimes, mais où, justement parce que c'est ma mère, malgré ma volonté d'être au plus juste avec elle, je filtre ce que je lui montre et j'édulcore ce qui pourrait être difficile pour elle. 
Elle ferait donc de moi un portrait en partie exact, superficiel, blanc comme le petit tiers d'iceberg qui fait le beau au-dessus de l'eau.

"Elle ne t'aime pas beaucoup ", me disait Fréd en parlant de sa mère. Moi je m'étonnais qu'on puisse ne pas m'aimer en si peu de temps (on s'était vus si rapidement!). Mais je compris que par cette affirmation il conservait entre elle et lui la place de Thierry, son ami précédent, mort du sida quelque temps après que nous soyons devenus amants. Culpabilité et idéalisation ne laissent pas beaucoup de place à l'amour vrai. Ça aussi, c'est triste.



lundi 24 janvier 2011

ailleurs

Par quoi commencer ? 
Ce matin j'avais rendez-vous avec le docteur "jailibisterne", petite "private joke" qui date de mon hospitalisation. En effet la première fois que je l'ai vu à l'hôpital, il a traversé ma chambre à grandes enjambées comme s'il cherchait à semer le petit groupe de stagiaires ou d'internes qui le suivait, et il a fort bien réussi car il était déjà arrivé à la fenêtre à droite de mon lit que les autres restaient agglutinés en botte d'asperges, bras ballants, à l'entrée de ma chambre, tout à fait à gauche. 
Et pendant qu'il étendait ses foulées géantes, le doc en question m'avait lancé "j'ai l'ibis terne" avec un vague ton de reproche qui laissait penser que je n'étais pas étranger au manque d'éclat de son volatile. Fichtre. Que faire pour sa volaille, et où la dissimulait-il ?


Thot, le dieu à tête d'ibis, assiste à la la cérémonie
de la pesée du cœur du défunt (Le Livre des morts)

Plus tard j'ai compris deux choses : "j'ai l'ibis terne" était en fait une présentation (son prénom et son nom, ou les initiales de ses prénoms et son nom ?) qui m'était destinée, et ses pas allongés étaient sans rapport avec des gens à fuir. Même non poursuivi, docteur Jailibisterne tentait de rejoindre la fenêtre avec un nombre d'enjambées limité, un pari avec lui-même peut-être ?


Bref. Après avoir fait une radiographie pulmonaire je suis reçu par le doc (et une interne ?, qui assiste à l'entretien mais ne m'est pas présentée) qui ne note aucune amélioration concernant l'épanchement pleural. Et qui doute que la kiné respiratoire soit d'une quelconque utilité sur ce point. Il propose de ponctionner et je me résous à cette idée qui ne me réjouit guère.
Dieu merci il est assisté dans cette tâche pénible par une infirmière vraiment très soutenante et très gentille, qui m'aide à supporter le petit désagrément : on pique et repique pour anesthésier, on pique pour ponctionner, et comme on ne retire pas grand chose on rerepique pour réanesthésier, puis on rerepique pour reponctionner et cette fois on ne retire rien du tout.
Ça fait pas mal de déception. Au moins on pourra faire analyser le peu de liquide recueilli. 
Bien que n'ayant pas l'air de croire au bien fondé de la kiné, Jailibisterne, beaucoup plus cool en consult' qu'en service d'hospitalisation, tient absolument à ce que je termine les quinze séances prescrites. Moi je suis un peu déconcerté mais je n'ai pas vraiment d'alternative.

Il faut dire aussi que ce matin j'ai enfin reçu par la poste le livre de la maman de Fréd. J'ai commencé à le lire dans le métro et cela me rend tellement triste que j'ai un peu la tête ailleurs.

dimanche 23 janvier 2011

douceurs

Arrivés par la poste cette semaine : des chocolats de la maison Vieillard, un rituel annuel d'une de mes tantes de Clermont-Ferrand ; du pain de mie et de la confiture d'oranges amères, faits maison par ma sœur. Et apporté par Malika qui a demandé spécialement à sa mère de les confectionner pour moi, des m'besses, gâteaux à base de semoule, fleur d'oranger et miel. 
Humm, c'est doux.

À propos de tendresse, quelques mots au sujet du dernier commentaire de mamy laine (le 9 janvier), qui a du paraître plutôt abrupt aux lecteurs réguliers de ce blog, dont l'un me confiait par mail : 
"...Je suis haletante, tendue, vers l'aboutissement de la rencontre avec Mamie Laine... Explosion émotionnelle en prespective. C'est super beau, ce qui se passe, et dire que c'est la vraie vie ! Merci de nous laisser regarder ça par le trou de la serrure..."

Donc en réalité ce même jour du 9 janvier, mamy laine postait un second billet pour expliquer que le premier était juste le fragment d'un message qu'une mauvaise manipulation avait tronqué. Mais elle indiquait dans ce second texte ses coordonnées, et ne souhaitant pas qu'elles apparaissent sur le site, elle m'a demandé de les faire disparaître. Ce qui m'a obligé à supprimer son deuxième commentaire en entier.
C'est grâce à mamy laine j'ai su que la maman de Fréd avait écrit un livre. Je l'ai commandé de suite sur un site d'occasion que je n'aime pas beaucoup et, dix jours après, il n'est toujours pas arrivé. Lundi je ferai le deuil de cette commande si le colis n'est pas là, et j'en achèterai un autre, j'ai trouvé une autre annonce. 
J'ai vraiment hâte de le lire.

samedi 22 janvier 2011

le moins, le plus

Lobectomie. Voilà, c'est ça le mot technique qui signifie ablation d'un lobe. On peut se faire enlever des lobes de plein de choses. Tout organe lobé est susceptible de subir une lobectomie. C'est chouette, non ? ça ouvre des perspectives. Non sérieusement si j'en parle c'est que bientôt je n'en parlerai plus. Bientôt ces histoires de poumons qui encombrent mon emploi du temps depuis le mois de septembre 2010 vont rester sur le bas-côté, et je vais continuer à avancer sans elles. Je vais en trimballer quelques souvenirs, mais elles seront derrière. 
Plus que quelques tracasseries — radio, rendez-vous à l'hôpital etc —, plus que quelques précautions, et plus que quelques cicatrices.

Moi j'ai tendance à michelaudiariser le langage médical. Ça dédramatise. Je dis plus volontiers : "je me suis fait ratatiner un poumon", "je me suis fait rectifier l'airbag". Parfois je me laisse en imaginer d'autres. "Il s'est fait réduire le respirant" ou "c'est d'un tiers de mou qu'on l'a allégé" ou "on lui a réparé le soufflet". "Il avait un des jumeaux baudruche mal en point". "Quand t'as l'poumon qui ventile plus, autant le filer au chat". "Finalement il s'est fait raboter la boîte à inspirs". "Faut te faire réviser, parce que c'est respire ou expire, y'a pas d'entre deux".
Faudrait pas qu'on me coupe la langue.

jeudi 20 janvier 2011

kinemascope

Ce matin je me suis levé assez tôt car je devais me trouver à 8h30 chez le kiné, pour ma troisième séance maintenant (dieu merci les rendez-vous ne sont pas toujours aussi matinaux). Au dessus des toits, une frange de nuages sombres et rosés mangeait à vive allure un ciel bleu limpide, c'était impressionnant.


La première fois que je suis allé chez ce kiné, il a de suite voulu regarder mes cicatrices. 
Je ne sais pas si je l'ai expliqué précédemment : l'opération a ceci de remarquable que, grâce à une assistance vidéo, l'intervention peut se faire en ouvrant au minimum le thorax (ce qui minimise d'autant les suites post-opératoires, notamment le nombre de journées à supporter un drain).
J'ai donc trois petites cicatrices façon trou dans le dos (le passage de la caméra, le passage du drain et un autre pour intervenir) et côté face, sous le muscle pectoral droit, une petite cicatrice de six centimètres environ. Sans cela précise le kiné, vous auriez une cicatrice qui ferait tout le tour de la côte depuis le devant jusque derrière. Je traduis : c'est-à-dire presque un quart du thorax ouvert, aïe. Merci au docteur T de m'avoir envoyé à l'hôpital de pointe en la matière.
J'ai l'impression que c'est efficace cette kiné : je fais des mouvements avec ou sans poids, je souffle dans des trucs, je fais des mouvements allongé aussi. C'est un poil douloureux par moment, c'est surtout très crevant et ce matin je me suis endormi après être rentré à la maison.

Pour y aller, je prends le métro jusqu'à Barbès et je passe devant le vieux ciné Louxor, qui est enfin en restauration, après des années de points d'interrogation. J'ai trouvé l'image ci-contre sur le site des amis du louxor qui rassemble plein d'infos anciennes ou contemporaines sur le lieu.
Oui, moi aussi je me sens en travaux alors je compatit en longeant les palissades qui enserrent le vieux ciné. Surtout que cela m'amuse de penser que j'y ai dansé quand il a momentanément été transformé en boîte dans les années 80, le Megatown. Il y a peu, on voyait encore les panneaux avec le grand M.

mardi 18 janvier 2011

histoires de famille

Il y a une forme d'indécence à donner des petites nouvelles de sa petite santé quand on vit des moments aussi incroyables que ceux des événements tunisiens, non ? Un président en fuite avec sa smala et ses lingots d'or (et vraisemblablement une Rolex au poignet) : du Claude Zidi à l'échelon international! Quel aveu d'indignité! Vraiment, le fric rend dingue (et la pauvreté, quand elle ne tue pas, rend parfois vif argent).

Les fleurs de l'hiver : au fond des jacinthes
que mon frère m'a apportées à l'hôpital ;
devant, des roses de Noël
offertes par ma sœur et ma mère. 
Autre dinguerie, mais plutôt réjouissante et intelligente, le film "le Nom des Gens", de Michel Leclerc (scénario de Michel Leclerc et Baya Kasmi), avec Sara Forestier et Jacques Gamblin, tous deux excellents.
"Le Nom des Gens", c'est à la fois leur patronyme, mais aussi leur prénom : ce que ça dit, ce que ça dissimule, ce que ça ne dit pas. Comment ça se transforme, comment ça se transmet, comment ça se lie, comment ça s'oublie... Comment ça présuppose, superpose, dépose.
Un lacanien y ferait son miel : il y a notamment cette scène où Arthur apprend la mort de sa mère (elle emporte avec elle le récit jamais dit de sa vie) un cygne mort entre les bras. Cygne, signe, je souligne pour ceux qui ne suivent pas ;-)

Mais c'est une vraie comédie marrante, avec ses caricatures et ses scènes de genre (qui peuvent énerver mais qui sont traitées avec singularité). 
En vrac : une scène de strip-tease à l'envers, un dîner où aucun mot ne doit évoquer la déportation et la présence de Lionel Jospin qui joue son propre rôle.

jeudi 13 janvier 2011

dépenser plus et soigner moins

Juste avant que je me fasse opérer, j'avais trouvé dans ma boite mail un message titré "intervention". En lisant l'intitulé, ce qui m'était venu à l'esprit c'était intervention militaire, ou intervention technique sur la voie ferrée, quelque chose de bref, de mécanique, aussi quelque chose de l'ordre de l'intervention publique, du happening. Et j'avais été surpris de découvrir que dans ce mail, un ami évoquait l'opération chirurgicale, moi qui me préparais pour de longues journées d'hospitalisation dont elle n'était qu'un élément parmi d'autres. En fait, j'avais tort.

L'extrémité de mon lit d'hôpital,
avec ce lien attaché au montant qui permet
de se redresser sans peine.
Deux jours après cette intervention donc (qui techniquement s'était bien déroulée), j'étais là sur mon lit, la perfusion dans un bras d'un côté, le drain sortant du thorax de l'autre (on m'avait enlevé l'oxygène la veille) et je commençais à m'inquiéter sérieusement. J'avais des douleurs, pas très vives mais multiples, dans toute la partie droite du torse, face dorsale et face ventrale, comme si j'avais été lardé de coups de couteau. Et mes mouvements en étaient à ce point entravés que je me demandais si j'allais réussir à me laver et à m'habiller seul, à me faire à manger, à faire les courses etc. J'en étais là de mes réflexions quand le téléphone sonna : c'était EMA, ma chère doctoresse (je crois que je ne lui avais même pas dit où j'étais hospitalisé, elle est vraiment incroyable), qui venait prendre de mes nouvelles et était, chaleureuse et prévenante, dans l'anticipation de l'après hôpital. Allais-je être seul chez moi à la sortie ? Mon immeuble avait-il un ascenseur ? Comment trouver une infirmière au moment des fêtes pour me faire les pansements ? Et la kiné respiratoire ? Ne serais-je pas mieux en maison de repos etc.
Je venais juste d'apprendre que mon ami Alain allait sans doute rester la semaine entière à Paris plutôt que juste le week end, ça changeait pas mal la donne, il fallait que je repense à tout cela, on convint avec EMA de se rappeler le lendemain.

Le lendemain, je devais avoir avec le docteur Gé ce dialogue surréaliste.
Gé : j'ai eu votre médecin traitant au téléphone.
Moi, ignorant s'il parle du docteur T ou de EMA, je cite le prénom de EMA.
Gé : je ne connais pas son petit nom.
Moi : EMA ?
Gé : je crois que c'est cela son nom. Elle avait l'air de s'inquiéter.
Moi : elle s'inquiète plutôt pour l'après.
Gé, fièrement : mais je lui ai dis, il n'y a pas d'après (faisant avec le bras le mouvement d'une serpe qui couperait de l'herbe rase).

Ok. C'est juste que le docteur Gé a oublié qu'après, moi j'existais encore. Mais il doit y avoir une gloire à ce que l'intervention soit tout et suffisante.
Je suis sorti de l'hôpital avec juste une ordonnance pour faire enlever le fil du drain la semaine suivante. Comme de bien entendu, une fois ce fil ôté, la plaie demeurait ouverte et suintante. L'infirmière a du revenir plusieurs fois refaire le pansement, ce pour quoi je n'avais pas d'ordonnance et j'ai du déranger encore EMA.
Aujourd'hui j'ai cet épanchement pleural, que le docteur Gé, vu tout à l'heure à l'hôpital, considère comme modéré ("ça arrive fréquemment") et pour lequel il me prescrit de la kiné respiratoire, kiné respiratoire que EMA appelait de ses vœux il y a déjà trois semaines.
On a donc perdu trois semaines et les kilos qui vont avec en ce qui me concerne. A-t-on voulu faire des économies ? C'est raté on vient de dépenser radio pulmonaire et consultation de spécialiste, sans faire l'impasse sur la kiné, et en repoussant encore mon arrêt maladie.

Parfois je me demande : mais pourquoi on écoute pas les médecins qui soignent, comme EMA, plutôt que les interventionnistes qui interviennent ?


mercredi 12 janvier 2011

s'épancher

Ne rien prévoir disais-je ? Ce n'est donc pas demain après-midi que je tenterai une sortie ciné puisque je dois retourner voir le chirurgien, le docteur Gé, à l'hôpital.

En effet aujourd'hui j'avais rendez-vous avec le docteur T, et j'ai pris pour la première fois les transports en commun depuis trois semaines avec un peu d'appréhension. Dans le bus j'ai de suite opté pour une place surmontée du pictogramme "vieillard", petite silhouette blanche à canne, sur fond bleu. Au moins c'est clair.

Au premier coup d'œil le docteur T a constaté ma perte de poids et mon essoufflement, qui lui semble aussi trop important. Il me donne une bonne nouvelle : la fameuse tumeur framboisée que nous avons ôtée, dûment analysée, ne montre aucune mauvaise surprise, confirme le diagnostic de départ et s'avère "typique" (donc ne recèlant pas de vilaines cellules susceptibles de se transformer en sorcières). Ouf.
Je file au labo d'imagerie médicale qui se trouve en bas pour faire une radio. La salle d'accueil est minuscule et quand la secrétaire rentre les données me concernant elle ne peut s'empêcher de clamer "Bon anniversaire !" repris en cœur par une autre puis une petite dame qui patiente à côté de moi. D'habitude ce genre de truc m'énerve ou me met mal à l'aise mais là, c'est tellement spontané et bon enfant que ça m'amuse.
De retour auprès de T on compare les clichés, celui d'aujourd'hui et celui de ma sortie de l'hôpital (moi je ne cesse de clamer que j'étais moins essoufflé de suite après l'intervention que quelques jours plus tard) : résultat il y a un épanchement. Il a un truc sympa le docteur T, c'est qu'il prend bien le temps de montrer sur les radios ce qu'il y a à voir, à quoi correspond telle zone etc (et je ne dis pas seulement ça parce je sais qu'il lit le blog...) Donc, il faut se poser la question avec le chirurgien : faut-il ponctionner ou non ?

J'ai une étrange sensation : j'ai perdu plus de cinq kilos, est-ce que je disparais petit à petit ? Et en même temps je me remplis d'eau, quelle partie de moi-même change-t-elle ainsi d'état ? Suis-je un caillou qui se mêle aux vagues et s'y dissout ? Tout cela parce qu'on a réduit un petit sac d'air à l'intérieur d'une cage d'os. Oui j'ai l'étrange sensation que mon corps est un cabinet de curiosités dont les spécimens instables se métamorphosent sans cesse.





mardi 11 janvier 2011

à voir

J'écris peu, n'est-ce pas ? 
La convalescence est ce moment particulier où l'on est tout occupé de ce qui est (déjà, encore) possible et ce qui ne l'est (toujours) pas, donc un peu désarticulé. Avec l'esprit qui turbine d'un côté et le corps qui piétine de l'autre.

L'élément principal que j'avais mal anticipé, c'est en premier lieu l'essoufflement. Lorsque l'anesthésiste m'a prévenu, "vous serez essoufflé un bon mois, un mois ou deux", je n'ai pas pris la mesure du truc. Tout simplement parce que ce mot recouvre pour moi quelque chose de précis : je cours, et à la fin je me retrouve essoufflé. Alors que là, non, ce n'est pas ça. C'est : je ne cours pas, je suis essoufflé. C'est : je veux parler, je suis essoufflé. C'est : je me penche pour ramasser quelque chose au sol et je manque d'air. C'est comme si tout repartait de zéro.

En tout cas c'était comme ça la première semaine. Chaque jour voit des progrès arriver. Je m'exerce en soufflant dans un petit bidule qui ressemble à un jouet pour enfant, que m'a laissé l'adorable kiné de l'hôpital. 
J'ai bien profité des journées plus douces, pluvieuses, pour marcher dans les rues sans crainte de l'air glacé dans mes poumons. J'arrive même—une prouesse, vous n'imaginez pas! — à marcher en parlant (mieux que G. Bush!). Et le sentiment d'extrême vulnérabilité que je ressentais les premiers jours sur les trottoirs turbulents du quartier s'estompe lui aussi petit à petit. Evidemment je ne vais toujours pas très loin. Ce week end, j'ai été saisi d'éprouver dans mon corps la pente de la rue du Faubourg-Saint-Denis. Ainsi les représentations que j'ai de ma condition physique passent du prématuré en couveuse au vieillard cacochyme.
Aujourd'hui j'avais imaginé pouvoir aller au cinéma. Mais la micro balade que j'ai faite ce matin m'a exténué. Ne rien prévoir.

Donc je n'aurai pas la force d'aller voir la troupe de Burlesque (du film "Tournée") qui est à Paris, au 104, du 21 au 25 janvier, ni l'un des deux concerts de Christophe au Palace (30 et 31 janvier)

Dirty Martini, image saisie sur le site de la troupe www.cabaretsnewburlesque.com.
Et Christophe, image sans crédit piquée sur le net.















Aurais-je cependant l'énergie d'aller voir "Le nom des gens", dont on me parle à plusieurs reprises ? Et aurais-je l'esprit suffisamment "deshospitalisé" pour me confronter au documentaire "Les yeux ouverts" qui passe le 20 janvier au Brady, en présence du réalisateur ? Ne rien prévoir, ai-je dit.



dimanche 9 janvier 2011

à mamy laine again

Chère amie laine vous m'entraînez à une impudeur dont je ne suis pas coutumier bien que depuis l'existence de ce blog je bouscule joyeusement les limites de la discrétion que je me fixe habituellement. 

N'ayant pas vos cordonnées pour vous répondre en privé je me vois obligé, au su et vu de tout le monde, de le faire via ce blog ; je pourrais, il est vrai, publier ma réponse sous forme de commentaire à la suite du votre (08/01/11) mais j'ai eu peur que sous cette forme discrète (trop cette fois!) il ne vous apparaisse pas et que vous pensiez votre message sans réponse.  

Ceci dit et avant toute autre chose : merci de vos baisers affectueux, je les ai pris au sérieux et ils m'ont fait le plus grand bien. 
Je ne vais pas tenter d'exprimer par écrit tous les sentiments qu'ont fait naître en moi vos quelques lignes : je ne possède pas ce talent-là d'écrivain. Mais sachez que pour le parisien dur à cuire que je suis, tous ces noms de villes ensoleillées que vous citez sont comme un sésame qui ouvre en moi une nostalgie étrange du sud de la France que je relie à mes origines provençales. (Je me nomme Frédéric en référence à Frédéric Mistral...). Et que votre vie condensée en quelques mots m'a paru comme un poème, simple et chaleureux. 
Je n'ai pas saisi tout de suite ce que vous disiez de "Suzette" et de ce qu'elle avait écrit. Il m'a fallu une deuxième lecture pour comprendre qu'il s'agissait bien d'un livre. De fait je l'ignorais. Je viens de le commander sur Internet.
Mais ce qui m'interroge par-dessus tout mamy laine, c'est pourquoi un premier janvier 2011 devant votre ordi, vous tapotez "Lou Goaco" ????

vendredi 7 janvier 2011

à mamy laine

La "bien vieille amie" de Fred qui laissait un message le premier janvier s'est identifiée : il s'agit d'une Mamy Laine (que je ne connais pas). Voici un nom (presque un adoucissant pour le linge !) qui amène douceur et chaleur au cœur de l'hiver.
Mais chère amie Laine, si vous souhaitez que je vous réponde, il faut que vous laissiez vos coordonnées via la fonction "publier un commentaire" qui envoie directement votre message dans ma boite mail.
À bientôt, baisers cachemire.

mercredi 5 janvier 2011

esalen! esalen!

Karim, le jeune narrateur, reste un moment chez sa mère après la séparation de ses parents. Enfin il va habiter chez son père (le Bouddha du titre du livre) et sa compagne Eva :
"That night Eva put me in her clean little spare room. Before getting into bed I went into the large bathroom beside her bedroom, where I hadn't been before. The bath was in the center of the room, with an old-fashioned brass spigot. There were candles around the edge of it and an old aluminium bucket beside it. And on the oak shelves were rows of lipsticks and blushers, eye-make-up removers, cleansers, moisturizers, hair-sprays, creamy-soaps for soft skin, sensitive skin and normal skin; soaps in exotic wrappings and pretty boxes; there were sweet-peas in a jam-jar and an egg-cup, rose-petals in wedgwood saucers ; there were bottles of perfume, cotton wool, conditioners, hair-bands, hair-slides and shampoos. It was confusing : such self-attention repelled me, and yet it represented a world of sensuality, of smell and touch, of indulgence and feeling wich aroused me like an unexpected caress as I undressed, lit the candles and got into the bath in this room of Eva's."

 Et pour les initiés :
"Pyke was a star of the flourishing alternative theatre scene. He was one of the most original directors around. He'd worked and taught at the Magic Theater in San Francisco; had therapy at the Esalen Institute in Big Sur with Fritz Perls ; worked in New York with Chaikin and La Mama."

The Buddha of Suburdia, Hanif Kureishi

dimanche 2 janvier 2011

visages

Il y a quelques temps, avec Yolande, nous discutions des commentaires publiés à la suite des billets de ce blog. Elle est très prolixe en la matière et elle s'étonnait quand je lui apprenais en recevoir beaucoup, mais en mail plutôt que par le biais de la fonction "publier un commentaire". "Ce n'est pas jouer le jeu", disait-elle, ou quelque chose d'approchant.
C'est vrai que cela enlève un peu de piquant, je pense notamment aux réactions contrastées qui ont suivi la publication de la photo de mes cordes vocales ("ouvertures", 25/10/10) et dont moi seul ai eu le sel.

Peu après la même Yolande tenant de publier un autre texte se voyait obligé de le faire sous l'intitulé "anonyme". Il semble que quelque chose ait été modifié dans l'interface de blogger ; en tout cas, alerté, je trouvais ça et là sur la toile des témoignages d'internautes qui rencontraient des problèmes analogues. Je ne sais d'ailleurs comment cyber-Yolande a brillamment résolu le problème mais en tout cas elle clamait crânement Essayer c'est gagné! le 19 décembre où elle réapparaissait sous son identité. Y'a de quoi la ramener!

Le premier jour de cette nouvelle année apparaissait sous le billet "en campagne" un message enigmatique.
Anonyme a dit…
je viens de lire .... par hasard
une vieille amie de lou
mais bien vieille

Est-ce une vieille amie que je connais ? Décidément que d'émotions me procure ce blog. Des semaines que les photos de Fred traînent ici à côté de l'ordi dans l'attente d'un scanner de qualité (voir le billet "instantanés" du 18/11/10). Faisant fi de la contrainte de perfection, j'y vois comme un signe (les amateurs y verront l'inévitable rencontre du début et de la fin) et numérise tout de même deux d'entre d'elles.

Lou Goaco (Frédéric Goacolou) est mort du sida le 19 mars 1994.
Celle-ci est une photo que Fred aimait bien. Elle date d'avant notre rencontre et il l'avait déjà rephotographiée une fois (sans doute n'avait-il plus le négatif) tant elle lui plaisait.
Moi je lui trouve une tête un peu trop poupée et je sens tellement le "regarde comme je suis beau", que cela me dérange... mais tout cela c'était Fred. Par la suite il a su se mettre en valeur avec des images second degré, rigolotes, où sa beauté s'exprimait tout autant sans ce côté posé lourdingue.
Il adorait aussi se faire des looks de vilain garçon, comme l'image ci-dessous. C'est un photomaton. Mais qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas pris à la va-vite dans une gare entre deux trains. Fred ne pénétrait pas dans la cabine sans un maquillage minutieux et invisible : camouflage des imperfections de la peau, volumes redessinés en lumière, cils peignés et légèrement teintés, bouche soulignée au crayon etc. Tout cela lui allait fort bien.

C'est dommage que sur aucune de ces photos on ne voit son sourire magnifique, communicatif. Il faudra (peut-être à la faveur de cette convalescence ?) que je mette mon nez dans mes boîtes de diapos pour retrouver une image qui rende justice à cet aspect solaire de Fred. Paix à son âme.

dans les nuages

Voici donc une semaine que je suis rentré à la maison, materné jusqu'à ce matin par mon ami Alain.

Oui je l'avoue j'avais rêvé d'une convalescence idyllique, légère comme une meringue, et moi plus léger encore, angelot à peine émacié par le choc opératoire, survolant le tout l'air ravi sur le mode : le plus dur est passé.
Je crois que j'avais juste oublié que j'avais été vraiment opéré. Donc, au menu : grosse fatigue, problème de sommeil, gêne perpétuelle, pointes de douleur, méga essoufflement, intestins à l'envers... La grosse meringue sera peut être pour la semaine prochaine...

Et comme j'ai du mal à ne pas partager les moments d'émotion intense ressentis lors de ce périple hospitalier, je vous livre mon "histoire d'amour" post anesthésie.

Je me trouve en salle de réveil, dans le brouillard de la narcose, la pièce me parait immense et je me dresse un peu pour regarder plus loin d'autres lits où sont d'autres malades en attente de réveil ou d'opération,  je ne sais si les images saisies durent une seconde ou une minute, il y a aussi des infirmiers qui passent rapidement. J'ai la bouche très très pâteuse, il me semble que je m'endors et me réveille sans cesse, je devine à la tête de mon lit une silhouette qui s'active à qui je glisse "j'ai besoin qu'on m'aime", comme si je demandais un verre d'eau.
L'infirmier se penche sur moi pour savoir ce que je réclame et je répète plus distinctement "J'ai besoin qu'on m'aime" ce qui visiblement le met en joie puisqu'il partage à la cantonade cette demande inédite :
- J'en ai un qui a besoin qu'on l'aime
- C'est dans mes cordes, répond un autre.
C'est cet autre qui plus tard me caresse le bras, le visage et la nuque me disant je ne sais quelles phrases qui sonnaient comme des encouragements (mais peut-être se moquait-il tout simplement de moi?!) mais où surtout étincelait à cet instant le fait qu'il me tutoyait, tutoiement qui m'apparut dans ce brouillard post opératoire comme le sceau secret et complice de son affection. Un instant, alors qu'il avait l'air de régler une perf à mon côté je tente de fixer son visage : je crois voir des yeux ciel et une barbe de trois jours mais je n'ai pas pu voir une barbe de trois jours puisqu'il portait vraisemblablement un masque de papier bleu layette et n'est-ce pas cette couleur là que j'attribue faussement à ses yeux ? Je ne sais évidemment plus rien précisément sinon que je lui touche le bras à mon tour pour lui dire
- Toi tu es bien gentil toi.
Est-ce lui aussi (je l'ignore) qui passant outre les consignes (se contenter de compresses d'eau sur les lèvres) m'a permis de me rincer entièrement la bouche avec un verre d'eau ? Là non plus je n'en sais rien mais ce fut bêtement des instants magnifiques qui m'ont donné le sentiment étrange d'assister à ma naissance, de rejoindre quelque chose du nourrisson tout juste sorti à l'air libre et qui a besoin d'une perf d'amour.
Bon commencement, bonne année.